lundi 14 mai 2012

Cosaque-choc

 
Et si nous dansions maintenant? Mais attention, pas n'importe quelle danse. Une danse magique qui a fait basculer une vie, la vôtre, celle de votre grand-père... celle de MON grand-père !
 
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Si Pépé avait cru avoir échappé au pire en revenant de la grande guerre sur ses deux jambes, il ignorait que cent ans plus tôt en 1814 les cosaques de la garde impériale russe - non contents d'avoir fait valser Napoléon - nous avaient laissé un cadeau empoisonné, le "cosaque-choc", un truc aussi compliqué à prononcer qu'à faire mais qui semblait amuser nos charmants envahisseurs et gratteurs de mandoline.
Si Pépé avait cru épouser Mémé pour le meilleur, c'était sans compter sur cette folie qu'elle eut de vouloir à tout prix lui apprendre à danser ce qu'on appelait selon Pépé le "cosaque-choc" et selon d'autres kozachok, kazatchok ou encore Vertpeny Kozackok pour les plus vicieux.
Le principe en était sournois et peu orthodoxe pour l'époque puisque Mémé menait la danse tout en tapant des mains pour indiquer les changements de figure à l'homme qui tentait de l'imiter, en l'occurrence Pépé.

Si le mouvement paraissait aussi simple et linéaire que marcher au pas, il n'en était pas moins rapide dès le départ et sur un tempo en constante augmentation qui imitait juste avant l'inévitable chute, le franchissement des tranchées et déclenchait chez le pauvre homme ce cri hystérique: "Tous aux abris". 
D'ailleurs après quelques atterrissages musclés Pépé ressortit bien vite ses bandes molletières dont la mise en place lui garantissait une bonne demi-heure de répit avant ce qu'il nommait les grandes manoeuvres.
Il y aurait bien ajouté le casque lourd si Mémé ne l'avait pas avantageusement recyclé en pot à géraniums.

Au fil des assauts quotidiens et à mesure que montait sa haine envers les ukrainiens, Pépé en venait à regretter que Napoléon n'ait jamais fait la guerre aux argentins ou aux tahitiens, enfin à quelque peuple aux moeurs festives moins athlétiques.
Il disait que quand on possède une mer noire et qu'on pêche au harpon on ne peut pas être tout à fait normal...
Perfectionniste, Mémé multipliait les variantes, alternant le kuban-kazachok connu de quelques initiés russes du Sud et le ter-kazachok du Nord Caucase dont les différences selon l'expression de Pépé étaient 'frappantes'!

Mais la ténacité légendaire de Mémé allait donner un tournant particulier à l'apprentissage du "cosaque-choc" lorsqu'elle décida de remiser le phonographe pour faire venir des musiciens joueurs de cithare et de bandura plus couleur locale.
Les "Poupées cosaques du Vertep" ainsi nommées - traduction fidèle de kazatchok - étaient trois authentiques blondes particulièrement plantureuses dont les attraits eurent tôt fait de faire perdre la tête et les molletières de Pépé.
Après quelques chants, échanges d'oeillades complices et frémissements de moustache, Pépé fut sommé de retourner "aux abris" c'est à dire au fond de son jardin, les poupées à leur Dniepr natal (si tant est qu'il le fut), Mémé à ses confitures de mirabelle et on n'entendit jamais plus parler du cosaque-choc.

On était en 40 et depuis cet épisode le sempiternel entremets franco-russe qui ponctuait nos repas du dimanche n'eut plus jamais le même goût  
 
 
(Je rassure mes proches, ce récit est une pure fiction) 


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