dimanche 30 novembre 2014

Le verso

Publié sur le site MilEtUne Histoires
d'après le trompe-l'oeil “Escapando de la critica” de Pere Borrell del Caso
 
 
 
 
 
Un jour je braverai, j'enjamberai le cadre
où mon maître me mit à grands coups de pinceaux,
je veux de son labeur connaître le verso,
découvrir les secrets de l'obscur et du gladre.
 
Je saurai comment naît un sourire innocent,
la courbe d'un giron, la houle des cheveux,
d'où vient cette stupeur qu'il jeta dans mes yeux,
et sur mes joues d'enfant cet éclat rosissant.
 
De ceux qui ont posé et qu'on nomme modèles
j'aimerais tout savoir, celles qui posaient nues,
celles qu'il rehaussait de divine aquarelle.
 
Du maître del Caso ayant tout mesuré
je rejoindrai - comblé - ce châssis convenu
où je vivrai reclus, certes mais rassuré.
 

mardi 25 novembre 2014

La jolie cul-terreuse

Publié aux Impromptus Littéraires 
 
 

 
 
Elle prenait comme moi le 18h45 avec tous ceux qui comme nous - s'étant fait piéger par la douceur bucolique du canal et l'odeur enivrante des collines surchauffées - n'avaient comme planche de salut que les trois wagons brinquebalant du tortillard pour regagner la capitale bourguignonne.
Notre sauveur avait gardé le nom de Train des Pêcheurs, de l'époque où les dijonnais endimanchés ou chargés de leurs équipements débarquaient dans les gares de la vallée de l'Ouche jusqu'au terminus de Gissey-sur-Ouche pour venir taquiner le goujon ou la perche sur les bords du canal.
Aujourd'hui le petit train de la Côte d'Or vivait ses derniers instants...
Je ne sais pas pourquoi je m'étais laissé aller à lui raconter tout ça mais elle avait l'air si captivée dans sa jolie robe Vichy bleue assortie à deux grands yeux étonnés.
 
Elle avait abandonné sa Saône-et-Loire natale pour la première fois pour visiter une cousine le temps du week-end et s'inquiétait déjà de sa correspondance à Dijon pour Mâcon.
Ici elle était une cul-terreuse et cette expression bien de chez nous la fit éclater d'un rire cristallin!
Joliment garni son décolleté Vichy tressautait aux moindres cahots du wagon au point que je réalisai qu'on avait déjà passé la halte de Sainte-Marie et même la gare de Pont-de-Pany, soit la respectable distance de six kilomètres!
Mais on allait bientôt arriver au pont métallique qui franchit en biais le canal vers Fleurey, et il y avait de quoi raconter...
 
Autour de nous les voyageurs - repus d'un solide pique-nique et autant saoulés d'air vivifiant que d'aligoté - beucalaient et ronflaient à qui mieux mieux.
Je dirai que nous étions seuls au monde dans les remugles de fumée et de bourriches poissonneuses.
Un vacarme assourdissant de ferraille torturée annonçait la traversée du canal par le vieux pont métallique et elle dût incliner la tête vers moi pour m'entendre raconter. Cette intimité soudaine et l'ourlé délicat de son oreille achevèrent de me donner le virot.
Adieu poutrelles et rivets, péniches surchargées, fonderie de cloches et usine de moutarde... délaissant notre patrimoine, je plongeais effrontément dans le balcon d'une étrangère!
Une fois passé le pont, un silence tout relatif s'installa et sa main dans la mienne également.
 
Déjà le village de Velars et le viaduc de la Combe Bouchard se profilaient et le souvenir encore récent de la catastrophe ferroviaire de 62 ressurgissait à chaque fois que j'approchais du lieu.
Pourquoi gâcher un si bel instant en évoquant la terrible chute des treize voitures de l'express 53 et ses quarante morts?
Je me contentai de décrire le grand viaduc de pierre et la majesté de ses onze travées cramponnées à la roche à plus de quarante mètres de haut.
Elle buvait mes paroles, et moi ses grands yeux bleus.
Chaque secousse nous tarbeulait et nous rapprochait un peu plus sur l'étroite banquette de bois ciré.
Vindieu! Pourquoi ce tortillard allait-il si vite pour une fois? J'en venais à regretter une de ces pannes qui stoppait l'antique locomotive sur l'unique voie et nous laissait des heures sur le bas-côté en plein cagnard!
 
Une pression plus forte de ses doigts me sort de ma réflexion; elle s'extasie à la vue des tuiles vernissées d'un clocher annonçant l'arrivée toute proche dans la capitale des ducs de Bourgogne.
L'église Saint-Baudèle de Plombières-les-Dijon rutile aux rayons du grand sulot de Juillet.
Non, je n'ai rien à dire sur saint-Baudèle dont le nom la fait encore rire, de ce rire cristallin qui m'a envouté depuis notre départ.
Je ne lui parlerai pas des tuiles polychromes dont les dessins losangés décorent nombre de nos toits, ni d'oncle André et tante Henriette qui vécurent heureux dans l'ombre de cette église et chez qui j'allais si souvent.
Je veux juste profiter de ce voyage d'un autre temps avec ces doigts mêlés aux miens et cet océan bleu...
 
Terminus Dijon-Ville: A propos d'océan, nous n'avons rien vu des trente sept hectares du lac Kir.
Les voyageurs s'étirent. Comment peux t on dormir et se priver du spectacle de tels paysages champêtres?
Un berlodiau au pantalon déniapé déplie ses jambes en nous adressant un clin d'oeil goguenard:”Faut jarter les amoureux!”
Ma bouche a trouvé la sienne.
Ma jolie cul-terreuse plaque ma main fermement sur ses genoux découverts.
J'ai bougrement envie d'aller visiter Mâcon...
 

samedi 22 novembre 2014

Roudoudous

Publié aux Défis Du Samedi d'après l'illustration suivante
 
 
 
 
Ornant une demi-couronne de lauriers
trônent trois mots: travail, industrie et sciences
il est bien défraîchi mais c'était mon cahier
témoin de mes exploits et de mes défaillances.
 
J'y gardais les bons points âprement disputés
un buvard aux couleurs d'un fameux dentifrice
les pleins et les déliés d'une mine affutée
et les appréciations de notre directrice.
 
Dans ses pages flétries je cherche les odeurs
de l'encre d'autrefois, d'une gomme hévéa,
celle des roudoudous d'un voisin chapardeur.
 
Mais où sont ma candeur et mon insouciance
je crois les deviner à chaque alinéa.
Aux marges raturées je cherche mon enfance...
 

lundi 17 novembre 2014

Bémol majeur

Publié aux Impromptus Littéraires qui nous invitent cette semaine à nous allonger...
 
 
 
 
 
Au début je parlais peu.
Et ELLE moins encore, si ce n'étaient ces “Oui et ensuite?” que sa bouche carmin susurrait sournoisement dans mon dos quand j'interrompais le grand déballage de mes lieux communs.
Oui et ensuite?”
Alors j'ai raconté Germaine et ses trois greffiers angora qui foutent du poil partout... pas tant les greffiers.
Je racontais nos vacances à Pornichet, l'appart de l'avenue du Littoral, le casino Partouche et puis la varicelle du gamin.
Oui et ensuite?”
Ensuite... il s'était gratté et on avait remplacé les bains de mer par des bains tièdes additionnés de farine d'avoine. Allez trouver de la farine d'avoine à Pornichet en plein mois d'Août!
ELLE était dotée d'une patience infinie et de deux jambes interminables qui finissaient au bord d'une micro-jupe moulante et qu'elle croisait et décroisait avec un petit bruissement soyeux des plus pernicieux...
Pendant ce temps je durcissais et mon fauteuil aussi, plus raide et plus inconfortable à mesure que je consultais.
Oui et ensuite?”
Ensuite j'ai évacué la farine d'avoine pour raconter le bureau, l'informatisation du fichier immobilier, la scannérisation du stock, les tickets restau et aussi cette soudaine promotion obtenue dans la douleur et l'écoeurement et qu'on appelle familièrement promotion-canapé.
Pour l'heure le sien était fait d'un vieux cuir crevassé et malgré son aspect fatigué par tant de fondements qui s'y étaient abandonnés, j'étais sûr de gagner au change.
Mais je devais le mériter - c'est ce qu'ELLE m'avait fait comprendre - quand j'aurais abandonné sur son paillasson tout ce fatras qui constituait mon 'Moi conscient' et qui m'empêchait de lâcher prise.
 
Lâcher prise... c'est pourtant ce que j'avais fini par faire dans les bras vigoureux de mademoiselle Gagnepain, Chef du service informatique à la Conservation des Hypothèques et je n'omis aucun détail des dispositions de l'article L.123-1 du Code du Travail même si les “Oui et ensuite?” avaient cessé et que les jambes interminables ne bougeaient plus.
Bizarrement je n'avais pas honte de ce déballage, de cet indécent strip-tease que j'exécutais juste pour ELLE dans la douce intimité de son appartement.
Habiter à deux étages au dessus de sa psychothérapeute peut présenter quelque avantage mais aussi des inconvénients.
Car j'y venais maintenant chaque jour - sauf le samedi à cause des réunions du club de scrabble et des courses au Mammouth avec Germaine – et je constatai que je parlais moins du fait qu'ELLE parlait de plus en plus.
Certes j'étais phobique, névrosé, limite parano mais bien moins qu'ELLE.
J'aurais été tellement déçu de la savoir normale!
Je me surpris même une fois, à lui lancer un “Oui et ensuite?” qui ne l'offusqua aucunement.
 
Un jour où j'arrivai en retard - essayez de descendre deux étages quatre à quatre - je butai sur un foutoir devant sa porte qui s'avéra plus tard être son 'Moi conscient' à ELLE - c'est à dire son 'Soi conscient' - bref, je réalisai en la trouvant alanguie sur le canapé que j'étais définitivement guéri.
Pour me conforter dans cette idée, je la gratifiai d'un “Je vous aime” éperdu qui acheva de la transformer.
ELLE commençait à renouer avec son statut d'enfant et s'abandonnait sans pudeur; c'est du moins ce qu'ELLE tenta de m'expliquer mais je ne l'écoutais plus. L'enfant qu'ELLE était redevenue gardait de sublimes jambes et comme elle achevait de se débarrasser de tous ces oripeaux qui n'étaient pas ELLE, je la trouvai nue et en fis tout autant...
Ne croyez pas tout ce qu'on dit à propos du passage à l'acte entre un psy et son patient, j'ai lu tant de choses sur les idylles de divan... et ce jour-là il ne se passa rien sinon qu'il ne me restait plus qu'à emménager chez Georges et c'est ce que j'ai fait le soir même.
 
D'autres que moi auraient fui mais Georges Sand n'était-elle pas d'abord une femme? Chopin pouvait en témoigner même s'il en doutât au début de leur relation.
Oui et ensuite” me direz-vous “que vient faire là, Chopin? Il serait interessant d'en parler”
Et bien, parlons-en.
Georges adore Chopin, ELLE en est folle et ne s'endort qu'avec la ritournelle de sa nocturne en mi bémol majeur au dessus de son lit rose.
Je fais preuve à mon tour d'une patience infinie car je sais bien qu'un jour ELLE cessera de m'appeler Papa.
 
 
 
 
 
 

samedi 15 novembre 2014

Valentine Pétasse

Caser levantine, nummulitique, puchoir, travoul, freloche, courtauder et mutir dans l'histoire d'un vol dans un grand magasin, c'est pas de la tarte.
Si vous n'y comprenez rien, essayez vous même ou allez vous plaindre aux Défis Du Samedi!!
 
 
 
 
 
Ouatson exultait: “Ca y est, chef! On l'a serrée!”
L'inspecteur La Bavure n'avait jamais aimé finir sa daube froide et il rejeta le puchoir à la fois dans son caquelon et dans un geste d'agacement.
Venez-en au fait, mon vieux”
Figurez-vous qu'elle marchait au travoul, chef! C'est pas croyable, hein?”
Au quoi?”
C'est Ouatelse qui l'a fouillée et elle a trouvé un travoul dans son soutif, chef!”
Comprends rien... c'est quoi un travoul?”
J'étais comme vous chef... avant d'apprendre qu'un travoul c'est un machin qui sert à plier les lignes”
Des lignes? Vous avez serré une dealeuse?”
Euh... non chef! Des lignes de pêche... ça sert à plier les lignes de pêche! Un plioir si vous préférez en langage de sardinier ou d'morutier”
Attendez... vous êtes où là? A la criée de Rungis?”
Euh... non, chef. On est aux Galeries Lafayette, Boul'vard Haussmann”
Et qu'est-ce qu'on peut bien foutre aux Galeries avec un travoul?”
Attendez, chef!”
Mais la daube n'avait pas attendu et des échalotes nummilitiques figeaient dans leur vin rouge pétrifé...
L'inspecteur La Bavure soupira.
 
Elle avait aussi une grande freloche sur la tête et c'est ça qui nous a intrigués, chef”
Et en quoi c'est intrigant une freloche?”
Inspecteur! La freloche est interdite dans les lieux publics depuis qu'on est passés en vigilance niveau Deux!”
S'cusez-moi... j'avais zappé ça... et c'est quoi au juste une freloche?”
Euh... Ouatelse dit qu'ça ressemble à un filet à chignon mais bizarrement Levantine n'avait pas d'chignon!”
Le vent... quoi?”
Levantine, chef! J'vous ai pas dit qu'elle s'appellait Levantine... Levantine Pétasse!”
C'est quoi comme origine, Levantine? Egyptien, jordanien?”
J'crois plutôt qu'c'est d'origine verlan, chef... une déformation d'Valentine. Se faire serrer quand on s'prénomme Valentine, c'est un peu relou quand on s'appelle déjà Pétasse, non?”
J'en conviens... autre chose, Ouatson?”
Les échalotes fossilisaient au fond du caquelon.
 
Oui chef. Cette Pétasse porte plainte, rapport au fait qu'on l'aurait un peu voire beaucoup courtaudée!”
Vous l'auriez courtaudée? Pour qui elle se prend la Valentine? Est-ce qu'on est seulement formés pour courtauder au 36 Quai des Oeufs Frais?”
Bien sûr que non, chef! Si on savait courtauder, j'dis pas, mais là... non. On l'a juste serrée, si vous voyez c'que j'veux dire”
Mais vous l'avez serrée légalement ou un peu plus que légalement?”
C'est pas l'envie d'la mutir qui nous manquait chef, mais on l'a juste serrée, croyez-moi!”
Au fait, elle avait volé quoi?”
Euh... rien chef. Elle a pas eu l'temps. Et pis faucher un truc au rayon des cocottes en fonte, c'est pas c'qu'y a d'plus discret! Elle avait p't'être l'intention d'mijoter d'la daube, chef?”
Et vous trouvez ça drôle?”
(Clic)
L'inspecteur La Bavure tenta de se persuader qu'un ragoût est toujours meilleur réchauffé...

lundi 10 novembre 2014

Vapeurs de soupirs

Publié aux Impromptus Littéraires
 

 
 


Moi Léon Montaigu, moulé de bleu, obscène
et Fatou Capulet de pourpre fagotée
avions été poussés à jouer cette scène
devant tous les parents à la fête d'été.
 
Elle portait si bien ces ailes de l'amour
qu'elle avait découpées dans du polystyrène,
je n'étais qu'un puceau, imberbe troubadour
j'étais le taurillon que l'on mène aux arènes.
 
Je bredouillai mes mots tout à la queuleuleu
que personne n'ouïssait, la main en chasse-mouches.
« Oh! gentil Roméo, si tu m'aimes, dis-le »
explosa t elle enfin en me prenant la bouche.
 
Au décor du jardin je crois avoir buté
je me suis accroché aux ailes entoilées,
contre moi je sentais deux roberts effrontés
qui frémissaient autant que mon coeur ébranlé.
 
« L'amour c'est la fumée qu'exhalent les soupirs »
avait affabulé le singulier Shakespeare,
celle qui m'asphyxiait montait d'un projecteur
j'aurais dû déclamer: »Avançez l'extincteur ! »
 
Dans mon collant roussi, je gagnai la coulisse
Juliette riait, saluait, shakespearienne
ce jour jusqu'à la lie, j'avais bu le calice
mais je n'oublierai pas ses lèvres sur les miennes...
 

lundi 3 novembre 2014

Immersion

Sur une idée des Impromptus Littéraires
Dans un musée, une exposition, voire même en regardant une reproduction dans un magazine, vous êtes fasciné par un tableau, une photo, une affiche ... Vous ne pouvez plus en détacher votre regard. C'est alors que tout bascule brusquement : vous êtes projeté à l'intérieur même de l’œuvre...

 

 
 
 
La mer était à l'huile tout comme la peinture
et la toile tendue fouettait au sirocco
quand un coup de tabac en brisant la mâture
me fondit au tableau qu'avait peint Gericault.
 
De tous les naufragés j'étais le plus dodu
au milieu de ces fous, affamés et reclus.
Allez faire avaler un tel malentendu
quand quinze paires d'yeux vous dévorent tout cru.
 
Le grand noir édenté lorgnait sur mes pinceaux
tandis qu'une harpie visait les bas morceaux
J'étais l'espoir charnu parmi les macchabées
 
qu'un horrible barbu essayait d'enjamber.
Quand quelqu'un a crié: ”On va fermer! Qu'on sorte!”
J'ai compris tout l'attrait d'une nature morte