samedi 25 novembre 2023

Le chat de Geppetto

 

Publié au Défi Du Samedi sur le thème du Quant-à-soi


Dans l'ombre douce de mon âme solitaire
Le quant-à-soi se tisse en filigrane d'or,
Un refuge secret où le temps se dévore,
Où les étoiles dansent, éternelles lumières.

Quant à moi, il ne me reste plus qu'à m'excuser platement – 
étant sec sur le sujet – pour avoir sous-traité l'exercice
en demandant à l'Intelligence Artificielle d'écrire un bout
de poème à ma place. Je promets solennellement d'essayer de
ne plus y avoir recours.
Quant à Elle, ma Germaine me regarde comme si j'étais Ronsard
ou Beaumarchais ! Il faudra que je lui explique que ce
ChatGPT – elle dit « chat Geppetto » – n'a rien à voir avec
un greffier d'autant que le chaton de Geppetto s'appelait
Figaro mais qu'il n'a rien à voir avec le mariage de
Beaumarchais … quant à vous, j'espère que vous me
pardonnerez cette digression.

Quant à Eux – tous ces anonymes qui enrichissent « l'intelligence »
en question, tous ces gens qui m'intriguent et m'inquiètent –
je ne sais comment les remercier, alors je leur ai demandé
de se remercier eux-mêmes, ce qu'ils ont fait ainsi :  

Félicitations, chatGPT, pour tes prouesses conversationnelles
! Ton intelligence artificielle est un véritable atout pour
les utilisateurs. Continue à éblouir avec tes réponses et
ton savoir-faire. 


samedi 4 novembre 2023

Le Normographe pour les Nuls

 

Publié au Défi Du Samedi sur le thème du normographe





Né dans les années 1900 on utilisait cet engin au nom barbare de Kurvenlineal zum Aufzeichnen von Schriftzeichen  pour tracer des lettres.

De nos jours on a simplifié le nom de l'engin en Normographe, évitant la panique dans les salles de classe lorsque le prof demandait avec un accent guttural «Afez-fous pensé à apporter fotre Kurvenlineal zum Aufzeichnen von Schriftzeichen ?»


On a également étendu son usage réservé jusqu'alors aux cours de technologie et aux arts graphiques.

On l'utilise de plus en plus pour la rédaction de lettres anonymes qui facilite grandement la délation, la balance et le mouchardage.

Ceci favorise la dénonciation anonyme de son voisin de classe qui a oublié son Kurvenlineal zum Aufzeichnen von Schriftzeichen …


En Corée du Sud il existe des écoles pour apprendre à dénoncer ses camarades. Les récompenses varient de 30 000 wons jusqu'à des millions de wons, ce qui permet d'acheter des quantités de Kurvenlineal zum Aufzeichnen von Schriftzeichen.

On n'a trouvé à ce jour aucune traduction du mot normographe en coréen, et encore moins un exemple de normographe adapté à ces caractères tarabiscottés qu'est l'alphabet coréen.


Plus récemment on a inventé Internet pour faciliter la délation et il est probable que le normographe soit bientôt rangé au rayon Antiquités à l'instar du poste à galène et du téléphone arabe.

Que les nostalgiques conservent précieusement leur normographe ; celui-ci pourrait plus tard valoir son pesant de cacaouettes.



samedi 28 octobre 2023

Misérable imprimeur

 Publié sur le site MilEtUne sur le thème des romans rebaptisés




« Bonjour... je souhaiterais parler à Monsieur Victor »

« Je suis Victor, Victor Hugo »

« Votre nom c'est Victor ou c'est Hugo ? »

« Je viens de vous le dire … Hugo, prénom Victor »

« Ah... il va falloir changer ça, vos lecteurs vont s'y perdre »

« Excusez-moi mais qui êtes-vous ? »

« Hector Gallimatias, imprimeur et en charge de l'impression de ces cinq pavés au titre tarabiscoté . Je vous fais remarquer au passage que cinq pavés c'est maigre pour une barricade... Ah Ah Ah»

« Comment ça mon titre est tarabiscoté? »

«Les personnes en situation de précarité... c'est un titre long comme un jour sans pain, vous ne trouvez pas ? »

« Au contraire, je trouve que Long comme un jour sans pain, ça résume bien l'atmosphère du roman – ça marche comme ça chez les Thénardier – et d'abord je n'ai pas à recevoir de conseils de quelqu'un qui a juste le devoir de mettre des caractères à la suite les uns des autres sans se poser de questions ! »

« Moi ce que j'en dis c'est par rapport à la longueur.. trente trois caractères ça fait beaucoup pour un titre et je ne vous compte pas les espaces »

« Encore heureux que vous ne comptiez pas les espaces, ça n'est que du blanc »

« Justement j'avais pensé qu'on pourrait enlever les espaces pour gagner sur la longueur »

« Vous êtes un grand malade Monsieur Gallimatias »

« Ou bien comme il y a cinq tomes, on pourrait répartir le titre sur les cinq tomes, ainsi le premier tome pourrait s'intituler Les »

« Les ? »

«Je n'insiste pas. Et ce type qui se prénomme Madeleine, c'est bizarre pour un ancien taulard devenu maire, non ? »

« Excusez-moi mais Madeleine c'est son nom»

« Ah ? »

« En tout cas je constate que vous avez lu le roman contrairement à beaucoup de vos confrères »


« Oui j'ai tout lu mais je trouve qu'un roman en cinq tomes c'est trop lourd... j'aurais plutôt vu une comédie musicale avec Sarah Bernhardt dans le rôle de Fantine et ... »

« Vous alors, vous êtes un doux rêveur ! Une comédie musicale, pourquoi pas un opéra ? »

« Bon, on fait quoi pour ce titre Monsieur Victor ? »

« Appelez-moi Victor tout court et ne changez surtout rien à mon texte »

« Comme vous voudrez mais ça marchera pas. Vous devriez essayer le théâtre»

« Le théâtre ? Hernani, Marie Tudor, Ruy Blas, ça compte pour du beurre ? »

« Oh vous savez, moi l'opérette c'est pas mon truc. Allez, à tantôt Hugo»


(Soupir hugolien)

« Victor, pas Hugo »


samedi 7 octobre 2023

Au piano, Germaine

 Publié au Défi Du Samedi sur le thème Jam-session 




Germaine a le don de me surprendre quand elle me lance depuis sa cuisine : « Ce soir, on se fait un bœuf ! »

Je m'apprête à filer pour dépoussiérer ma vieille Ibanez qui a bien besoin d'être accordée mais je me ravise : »On sera combien ? »

« On sera deux, pauvre pomme … toi et moi »

« Ah … c'est un duo, alors »

Germaine est perplexe : »Qui veux-tu qu'on invite ? »

«Ça va » et j'ajoute « tu joueras de quoi ? »

« Du piano de cuisson, mon bichon. De quoi veux-tu que je joue ? »

« De la mandoline par exemple »

« Evidemment ! Tu t'imagines que je vais couper les légumes avec mes doigts ? »

Je commence à n'y rien comprendre : »Tu crois pas qu'on aurait pu inviter un batteur ? Bébert par exemple »

« Un batteur pour du bœuf ? T'es vraiment nul en cuisine »

J'ose enfin : »Quelle cuisine ? »


Germaine soupire ...

Je m'éclipse et reviens avec ma guitare : »On commence par un pot-pourri ? »

« Un pot-pourri ? Il est temps que t'apprennes les termes culinaires mon bichon … sache qu'on dit un bouquet garni »

« Ah ouais ? T'en as d'autres comme ça ? »


« Si j'te dis Julienne ou Maryse, ça te parle ? »

Un peu que ça me parle ; si Germaine se décide à inviter deux copines notre jam-session ça va être du sport !

Germaine m'indique une sorte de pot qui déborde un peu comme ma caisse à outils : »Rends-toi utile, attrape moi la Maryse »

« Hein ? »


Je sais d'avance comment ça va finir. Germaine va m'éjecter de son royaume pour m'expédier dans le mien, celui en forme de canapé et d'écran plat.


Des coups sourds me parviennent de la cuisine … Germaine doit taper le bœuf et je ne voudrais pas être à sa place


samedi 9 septembre 2023

Canular radio-alphabétique

 

Publié aux Défis du Samedi sur le thème du Fox-trot





« Allo JULIETTE? C'est CHARLIE»

« Hein ? »

« Tu me reconnais pas ? BRAVO !

« C'est une blague ? »

«Y a de l'ECHO sur ta ligne... parle plus près du MICRO »

« Qu'est-ce que ça veut dire ? »

« Ça te dirait un tour au QUEBEC en NOVEMBRE avec PAPA ? »

« Papa, Echo, Charlie ? C'est qui à l'appareil ? »

«C'est OSCAR ! T'es pas drôle JULIETTE »

« Oscar ? J'connais pas d'Oscar »

« Ou bien on va faire un GOLF à l'HOTEL, après je t'offre un WHISKY »

« Ça suffit ces conneries ! »

« Raccroche pas JULIETTE, c'est RAOUL »

« Raoul ? Quel Raoul ? »

« Ecoute, on se retrouve au YANKEE. T'es toujours fan de TANGO ? »

« Euh... le tango c'est pas mon truc »

« C'est quoi ton truc ? »

« Le fox-trot »

« Ah ? Mon oncle avait un fox-trot à poil dur qu'il appelait ZOULOU... une vraie teigne. Tu préférerais pas plutôt qu'on aille... »

(Clic)


« Complètement taré ce Raoul... et j'm'appelle pas Juliette » 



mardi 11 juillet 2023

Au détour de la RN159…

 Publié sur MilEtUne





C'est à Château-la-Vallière – à 33 kms de Tours – que fut enregistré pour la première fois le boléro de Ravel en version longue.
Afin que l'oeuvre tienne entièrement sur la galette de vinyle, les ingénieurs de Columbia Records inventèrent le fameux 33 Tours.
Auparavant tous les enregistrements avaient lieu à 78 kilomètres de Tours dans un trou de la Sarthe nommé Crosmières.
On avait tenté d'enregistrer le boléro de Ravel à 45 kilomètres de Tours mais l'oeuvre ne rentrait pas entièrement sur la galette et la moitié d'un boléro ça ne ressemble à rien puisque le crescendo s'arrête brusquement.
Je vous laisse imaginer Ravel dans une petite veste qui s'arrête au dessus du nombril !

Vous me direz que la galette – vinyle ou pas – n'est pas la spécialité de Tours tout comme les rillettes puisque c'est votre serviteur sarthois qui écrit cette chronique.

Pour ceux qui ne connaitraient pas Maurice, précisons que Ravel et son boléro est né à Ciboure dans sa maison natale puisque c'est là qu'il naquit, c'est à dire à 560 kilomètres de Tours ; ainsi cette anecdote est-elle parfaitement hors sujet.

L'invention du 33 tours par des ingénieurs de Columbia Records fera aussi les beaux jours de Luis Mariano, Mireille Matthieu, Johnny Hallyday et Manitas de Plata.
Certains d'entre eux auront été « galettisés » chez Pathé, à ne surtout pas confondre avec les rillettes sous peine de lourdes sanctions.

Ainsi ai-je fait le Tours du sujet.

Je vais pouvoir reposer mon bras comme disait Emile Pathé.




samedi 18 mars 2023

La coquille

 

Publié au Défi du Samedi sur le thème de la pistache 


Dimanche matin au bar de l'Escapade à Chaloux-Moulineux


« Dis donc Marcel, t'as l'air d'avoir pris une sacrée pistache ! »

« Euh... juste trois pastiches... ch'est tout »

« Tu veux dire des pastis »

« Ch'est ch'que j'ai dit... trois pastiches, pas vrai patron ? »


Le patron pince-sans-rire : « C'est un canular »

Marcel s'emporte : « Non ! C'est du pastiche»

Le patron est en train de faire les comptes : »Y'avait un perroquet, une tomate, une mauresque … et aussi... »

« Une mauresque ? Marcel, tu prends des mauresques maint'nant ? »

« Non... j'ai pris une maurechque »

Le patron lève le nez du comptoir : «Non c'était une mauresque et ça va faire... »

« Dis donc Marcel, depuis quand tu fais dans l'exotisme ? D'habitude t'es au vrai p'tit jaune, au pastaga, vains dioux ! Tu m'déçois»

« J'ai bien l'droit de voyager puichque ma bergère veut pas décaniller de chon canapé »

« Tu m'fais un sacré voyageur, Marcel ! En attendant y'a l'commandant de bord qui voudrait qu'tu règles la croisière »


Le patron tend la note : « Avec les pistaches ça fera dix huit euros »

« T'as aussi pris des pistaches, Marcel ? »

« Euh... non... juste trois pastiches... et des cacahouètes »


« Allez Marcel, paie ta croisière avant que j'te ramène chez toi … et crache cette coquille que t'as entre les dents »



samedi 11 mars 2023

A'r'nage

 Publié au Défi Du Samedi sur le thème de l'ordalie (jugement de Dieu)





Au Moyen Âge dans un petit bourg de la Sarthe – à la sortie du Mans en direction d'Angers – les villageois avaient décidé de soumettre une méchante sorcière au jugement de Dieu en la jetant dans la rivière La Sarthe.

A l'époque on appelait ça plaisamment La baignade.

Si la prétendue sorcière coulait elle était innocente mais noyée, si elle flottait elle était coupable !

Dans un cas comme dans l'autre, être soumis à la question n'offrait aucune réponse convenable.

Sourde comme un pot elle n'eut pas le temps de demander «vous pouvez répéter la question ? » qu'elle fut jetée à l'eau mais à l'aide de ses pouvoirs maléfiques et malgré ses entraves, elle sut refaire surface et les villageois effrayés s'écrièrent en choeur «A’r’nage» !


Ainsi fut baptisé le village, Arnage célèbre aussi par son virage – le virage d'Arnage – une épingle très serrée jamais modifiée depuis 1923 et que les pilotes des 24 Heures négocient en première vitesse pour le plus grand plaisir des fans qui y viennent en pélerinage.


Chaque année au mois de mars le carnaval de la sorcière perpétue cette légende.

Dépêchez-vous ! Cette année les festivités se dérouleront du 10 au 26 mars

samedi 4 mars 2023

Le Totem Pole

 

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration





Sur la Valley Drive écrasée de chaleur, un véhicule cahote dans un nuage de poussière âcre avant de s'arrêter.

Sorti de nulle part, un vieil homme au visage buriné s'approche.


« Vous allez où comme ça ? »

«Euh … à Monument Valley»

«Ugh ! Ça c'est une sacrée révélation ! Figurez vous que tous ceux qui prennent la 163 vont à Monument Valley mais vous comptez aller où exactement avec ce chariot ? »

« Euh … c'est pas un chariot c'est un Chrysler Grand Caravan de 260 chevaux et on vient voir les pitons rocheux. Vous sortez d'où, vous ? »

« Ugh ! Je suis ici chez moi comme tous les indiens navajo et vous pouvez m'appeler Marlboro »

«Comme les clopes ?»

« Quelles clopes ? Je suis Marl Borrow mais la tribu m'appelle Marl»

« O.K. Marl. Si vous êtes du coin vous nous conseillez quel piton? »

« Ugh ! »

« Euh... moi c'est pas Hugues c'est Marcel »

« Ugh ! Pour résumer vous avez 'Le grand chef indien' là où fut tourné Easy rider et 'L'oeil qui pleure' là où fut tourné Forrest Gump et 'Les trois sœurs' là où fut tourné Lucky Luke ou bien... »

« Pardon mais 'Les trois sœurs' c'est pas plutôt Tchekhov ? »

«Tchekhov ? Whatelse ? »

« Laissez tomber ! On va jamais pouvoir visiter tout ça avec vos satanés chemins caillouteux »


« Comment ça nos chemins sont caillouteux ? La chevauchée fantastique de John Ford est passée là en 39 sans problème et y z'avaient pas 260 chevaux, mais avec un bas-de-caisse comme ça vous irez pas loin »

«John Ford ou Chrysler, on va pas chipoter et puis vous connaissez pas Marcel ! Au boulot les copains m'appellent PassePartout »

« Ugh Passe-Partout ! Alors contente toi d'aller voir le Totem Pole »


« Ça vaut l'coup d'oeil le Totem Pole ? »

« Ugh ! En tout ça plaisait à Clint Eastwood qui l'a escaladé lui-même en 75 en tournant 'La sanction' »

« Et ben … c'est fou ce qu'on a pu tourner ici »

« Ugh ! Y en a qui tournent encore … on compte plus les étrangers qui se sont perdus, c'est pour ça qu'on fait payer en arrivant ; c'est 20 dollars pour vot' charrette et 4 personnes »

« Vous perdez pas le Nord, vous les navajos »


« Ugh ! Le Totem Pole, tu le rateras pas, nous on l'appelle Le doigt d'honneur, c'est notre message pour les visages pâles comme vous»

« Merci bien Ugh. Trop aimable »

« Ugh ! »

« On vous a déjà dit que vous êtes un peu à l'Ouest, les navajos ? »

« Ugh ! Et surtout ne ratez pas la boutique de cadeaux de Goulding avant de repartir au diable»









samedi 4 février 2023

C'est étudié pour ...

 

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration




Quand j'ai découvert que quelqu'un avait sans mon accord résilié mon abonnement au minitel et qu'autour de moi les gens ne parlaient plus que de « sans fil » et de GSM, j'ai compris qu'une révolution était en marche.
J'ai réalisé que le dernier refuge pour me préserver des portables restait la cabine téléphonique. Il fallait que je contacte ce quelqu'un qui me privait brutalement de mon 3615 !
Au grenier j'avais déjà dû remiser la TSF au côté du poste à galène de mon arrière grand père … le monde devenait fou.


A Asnières au coin de ma rue il y avait encore quatre de ces merveilleuses boîtes rouges et c'était bien le diable si je n'arrivais pas à joindre le sagouin qui venait de débrancher ma messagerie rose.
Par malchance la première cabine était occupée par deux jeunes gens en proie à un charivari indescriptible que je me gardai bien d'interrompre d'autant plus que leurs regards courroucés et une forte odeur d'herbe exotique n'incitaient pas à la négociation.


La deuxième cabine était vide, déserte et dévastée ; son mécanisme éventré témoignait de la violence avec laquelle un sinistre individu l'avait étripée pour quelques maigres pièces de monnaie !


La troisième me parut exigüe au point que je ne pus glisser que deux doigts par la petite porte ! J'ai toujours pensé que la miniaturisation nous perdrait et qu'à vouloir faire toujours plus petit, on n'en sort pas grandi.


Bref, j'avisai la dernière cabine et m'y précipitai avant qu'on ne me grille la politesse.
Un hurluberlu y avait entreposé sa bibliothèque. Un panonceau indiquait « Cabine à livres », vantait l'économie circulaire et demandait qu'on laisse le lieu en bon état.
Vous me croirez si vous voulez mais j'eus beau retourner chaque étagère, je n'y trouvai aucun bottin.

J'allais rentrer chez moi pour écrire une lettre de réclamations aux PTT quand une jeune femme me heurta au seuil de la cabine à livres.
Découvrant le désordre que j'y avais mis en cherchant, elle s'écria « Quel sauvage a fait ça ? »
Je pris une mine contrite : «Ils n'ont même pas de bottin »

Elle fronça les sourcils : «Le quoi ? »

« Le bottin … l'annuaire téléphonique » insistai-je.

Elle éclata de rire : «Vous venez de quelle planète ? »

J'ai dit « J'habite ici à Asnières … au 22 ».

Je la trouvais bien indiscrète, alors j'ai demandé à mon tour : « C'est quoi votre petit nom ? »

« Ulla » a t-elle répondu.

« C'est vous la Ulla du 3615 ? »

Elle a froncé les sourcils.

« Vous ne pouvez pas savoir à quel point vous avez marqué mon imaginaire » ai-je bafouillé sur le ton de la confidence.

Elle a dû me prendre pour un pervers ou un demeuré ; elle a pris un livre au hasard dans la cabine à livres et elle est sortie précipitamment.
J'ai eu le temps de lire le titre «Heureux … L'intégrale des sketches de Fernand Raynaud ».

J'ai pensé que cette Ulla n'avait pas assez d'humour pour goûter pleinement ces histoires.
J'ai repris la route du 22 … j'avais une lettre urgente à écrire aux PTT.

 

samedi 14 janvier 2023

Insomnie

 Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration





Quand j'en ai eu assez de compter les moutons je me suis mis à compter des marches.
Parvenu à la dernière marche je ne dormais toujours pas, alors j'ai ouvert cette porte qui me barrait le sommeil.

« Pourriez frapper ! » a dit une voix somnolente «on n'entre pas ici comme un âne dans un moulin »

Je me suis excusé … en effet ça n'avait rien d'un moulin; il y avait un grand mur couleur de ciel auquel s'accrochaient des nuages blancs.

« Vous cherchez quelque chose ? » a demandé la voix.

Bêtement j'ai répondu « je cherche le sommeil »

« On n'en a pas » a répondu la voix « ici on bâtit des rêves … tous ces petits nuages blancs que vous voyez là »

« Ce sont tous les mêmes ?» ai-je demandé.

« Ça dépend » a dit la voix « Z'avez remarqué quoi en montant les marches ? »

J'ai réfléchi et j'ai dit « euh … quelques mauvaise herbes »

La voix a soupiré « Des mauvaises herbes … et l'important ? la rose ? Z'avez même pas vu la rose ? »


Je n'avais vu aucune rose en comptant les marches, j'ai dit « Non »

La voix a encore soupiré et elle a dit «Si vous n'avez vu que les mauvaises herbes, j'ai pas grand chose pour vous en magasin»

La voix s'est adressée à un sous-fifre « Dis Georgette, tu peux regarder en réserve si y resterait pas quelque chose pour un pisse-vinaigre ? »

Le pisse-vinaigre, l'esprit chagrin ça ne pouvait être que moi puisque j'ét ais le seul client.

Celle qui s'appelait Georgette a cherché un moment avant d'apporter une sorte de nuage blanchâtre léger comme un oreiller mais froid comme la neige.

« C'est un rêve de quoi ? » ai-je demandé en prenant la chose livide et froide.

« Vous verrez bien » a dit la voix «et fermez la porte en sortant. On voudrait pas que les rêves s'échappent et tombent dans de mauvaises mains »

J'aurais préféré essayer mon rêve sur place, au cas où il ne me conviendrait pas mais le ton de la voix était impérieux.


J'ai refermé la porte en tenant mon piètre rêve à bout de bras.
En effet il y avait bien une rose et il m'a semblé que ses pétales gloussaient doucement.

Bien sûr j'ai raté la première marche – la dernière dont j'ai déjà parlé – j'ai dévalé l'escalier de pierre et j'ai bien failli me rompre les os.



J'ai repris mes esprits dans mon lit avec cette chose froide et blanchâtre sous la tête.

A côté de moi, Germaine ronflait comme un sonneur tandis que les premières lueurs de l'aube éclairaient la chambre.
J'ai remis mon rêve à plus tard.

Je maudissais ce médecin qui m'avait dit récemment « Contre l'insomnie, surtout dormez beaucoup »