dimanche 31 mai 2015

L'huître de ma Reine

Publié sur le site MilEtUne d'après la photo de Anita Anti Photography




Voilà exactement deux mois que Blanche - qu'on appelait Cappucetto Rosso ou petite cape rouge - se repose (et les lecteurs aussi) depuis qu'elle s'est endormie, adossée à une grande rame de haricot écossais à écosser - un tartan d'Edimbourg - aussi est-il grand temps qu'elle se réveille... ou alors qu'elle s'endorme à jamais.
Deux mois que sa marâtre ronge son frein au château dans l'attente d'ingrédient ou deux pour confectionner son masque de beauté de Cesare Frangipani... etc (on ne va pas tout répéter non plus)
“Nom d'un petit pot de beurre” baille Blanche en s'étirant “j'ai l'impression d'avoir dormi dix ans!”
Ça m'étonnerait fort” répond une voix toute proche “vous avez à peine dix ans”
Etonnée, Blanche découvre un fringant écuyer, un de ces jeunes imberbes vêtu de rouge et bleu et coiffé d'un chapeau comme on n'ose en porter que dans les contes et dans les jeux de cartes.
“Quésaco?” demande en provençal Blanche à qui sa great-mother-fucker a conseillé de se méfier des fringants écuyers imberbes.
“Je suis La Hire mais appelle-moi simplement Lahire” répond-il en se découvrant “compagnon d'armes de Jeanne d'Arc mais appelle-la simplement Pucelle et je suis valet de cœur atout et avant tout!”
“Le copain d'une pucelle?” s'esclaffe Blanche “et moi je suis la Reine de cœur, gros naze”
“Reine de cœur, assurément” réplique l'écuyer toujours fringant et toujours imberbe “toute jeune que vous êtes je vous ai reconnue, vous êtes la Reine Judith... quant à moi je suis Lahire et pas Gronaze!”
Sidérée, Blanche se cramponne à sa rame de tartan d'Edimbourg :”Tu commences à me courir sur le haricot avec ta Judith! Je me nomme Blanche ou Cappucetto Rosso ou à la rigueur petite cape rouge mais pas Judith, valet de cœur de pacotille!”
“Pourtant vous portez l'habit rouge et bleu ainsi que le voile bleu de la Reine de cœur” rétorque t-il.
“Où t'as vu jouer ça?” s'emporte Blanche qui en oublie son provençal.
“Mirez-vous donc dans cette pièce d'eau” rétorque l'écuyer imberbe mais astucieux “et vous vous verrez telle que je vous vois, ma Reine”
“Ça suffit à la fin! Je suis Blanche et pas Marennes”
Alors Blanche lâche sa rame, s'approche de la pièce d'eau et s'y penche.

De l'autre côté du miroir improvisé, une créature semble en faire de même - une greluche sapée de rouge et bleu et d'une burqa bleue - lui renvoie un timide sourire en lui tendant une rose de la main droite.
“Qui es-tu, femme sans âge?” bredouille Blanche toute chose en prenant la pose et la rose.
Dans les contes, les reflets ont réponse à tout, y compris à ceux qui bredouillent.
“J'essaie d'être ton reflet” répond le reflet “celui de Judith, la Reine de cœur mais c'est pas fastoche avec cette pollution”
“Qu'est-ce que je disais?” persifle l'écuyer imberbe.
Loin d'être convaincue par cette image trouble, Blanche porte la rose à son nez pour la flairer comme on fait dans les contes et partout où on veut sentir la rose..
“Alors si je suis la Reine de cœur comme tu le prétends” minaude Blanche “qui serait mon Roi de cœur?”
“Vous ne pouvez pas ignorer notre bon Roi Charles, ma Reine” s'étonne l'écuyer imberbe et stupéfait “ce Charles qu'on nomme Grandes esgourdes!”
“Je ne connais que ma marâtre... et c'est bien assez” répond Blanche.

A ces mots la rose se transforme en vulgaire caillou et dans un grand plouf tombe dans le miroir improvisé et pollué.
“Quésaco encore?” insiste Blanche en provençal.
“On aurait dit une huître de ma Reine” suggère l'écuyer imberbe “une numéro deux, pour le moins!”
“Une huître de Marennes?” s'étonne Blanche “alors qu'attends-tu pour aller me la chercher?”
Ne faisant ni une ni deux ni trois, l'écuyer imberbe plonge à sa suite et disparait dans un monstrueux splash comme on n'en voit jamais dans les contes mais cette fois-ci, oui.
Restée seule, Blanche se met à danser :”Reine de cœur, Reine de cœur... après tout, pourquoi pas?”
“Et qu'est-ce qu'on fait pour le caillou?” l'interpelle le reflet du miroir improvisé, pollué et splashé.
“Est-ce ainsi qu'on s'adresse à la Reine de cœur?” s'écrie Blanche “pour le caillou... pas de quoi en faire toute une histoire mais j'en causerai à un Poucet, à l'occasion”










samedi 30 mai 2015

Sonnet cash-noisette

Publié aux Défis Du Samedi à nos petits amis rouquins





Quand on est retraité de la Caisse d'Epargne
après avoir porté les couleurs des banquiers
offert notre profil au talon des chéquiers
on aspire aux douceurs, sans humeur et sans hargne.

Alors redescendu de la fameuse enseigne
et rangé au placard notre queue en plumeau
on rentre dans le rang, celui des animaux
qui chinent l'acacia, le gland ou la châtaigne.

Il nous faudra alors monter au noisetier
chercher des provisions c'était notre métier
notre cash-noisette, notre assurance-vie.

Faisons gaffe au dentier, on n'a qu'un ouvre-boîte
on est ankylosé, l'allure maladroite
et le chasseur planqué tire sans préavis!




mardi 26 mai 2015

Sacré grabuge

Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème Animaux imaginaires





On sait que pour les sauver du grabuge du Déluge, Noé embarqua il y a 4800 ans sur son arche refuge hydrofuge tous les couples d'animaux répertoriés dans le Grand Bestiaire illustré.
Par contre on ignore que, ces derniers n'ayant pu faire abstinence pendant quarante jours dans cette obscurité et cette promiscuité, il naquit des animaux dits impurs ou “arrangés” aux caractéristiques très particulières, parmi lesquels on trouve encore de nos jours:

Le rhinocervoise
Préférant les mares à bière aux mares à boue, il possède une corne qui - réduite en poudre et parfumée aux herbes aromatiques comme la menthe - soigne le rhume des foins. Ses propriétés sont connues comme le houblon (on dit souvent à tort: comme le loup blanc)
Le rhinocervoise est du même ordre que les chevaux-vapeur et les tapirs-persans.
Il ne doit cependant pas être confondu avec l'autorhinocervoise qui appartient à l'ordre des rhinomnibus.

Le bouquetintamarre
Muni d'une protubérance dite cloche “tintouin” qui fait tin et touin - perfectionnée en 1866 par M. Seguin - le bouquetintamarre éloigne ainsi ses prédateurs naturels et tous les handicapés du bulbe qui pensent que sa corne broyée peut soigner l'impuissance sexuelle.
Il préfére les tintamares au mares à boue où il peut rafraîchir son popotintamarre.
Le bouquetintamarre se nourrit exclusivement de picotintamarre contrairement au bouquetin-tout-court qui ne se nourrit pas car il a disparu depuis longtemps, victime de prédateurs de tout poil.

Le dromaderviche
Originaire des Balkans et contrairement au chameauderviche, il ne possède qu'une seule bosse, ce qui permet à la variété tourneur - le dromedarius circonvolus - de tourner plus vite que les autres.
L'attraction gravitationnelle de sa bosse se nomme force centripète que les zoologistes nomment - en se pinçant les deux narines entre le pouce et l'index - échelle de flatulence.
Le dromaderviche diesel tourne moins vite que le dromaderviche essence mais plus longtemps.
Par contre il rejette des particules fines appelées grains de sable qui forment d'immenses dunes.
Un groupe de dromaderviches diesel ou essence s'appelle indifféremment une caravane.

Le flamangouste rose
Cet échassier à la fourrure couleur herpès vésiculeux appartient à la famille des Herpestidés dont on connait surtout les cousins, le suricatmandou népalais (népalais, bien au contraire) et le suricatStevens de la région d'Arbanville.
Il vit dans des flamangroves sous les pas, sous les lés, sous les palétuviers roses dont il prend la couleur. On notera que la femelle est rose contrairement au mâle qui est rose.
Le flamangouste possède un cri guttural, le “goeidag” qui veut dire Oups ou Désolé en flamand et qu'il pousse lorsqu'il rate son décollage en formation.
Dans le cas contraire son autre cri guttural, le “geslaagd” signifie “J'ai réussi, c'est d'la balle”.


… et bien d'autres encore comme le castorticolis à tête fixe, le cachalogarithme qui dérive de façon népérienne, le tamanoirdésir (fourmilier rocker), le héronpetipatapon (heiger en flamand mais on s'en fout) ou le koalasagne (marsupial bolognais). 

 

lundi 25 mai 2015

Calendos de mongol

Publié sur le site MilEtUne




Au second jour Le Tout-Puissant appela le sec terre et le mouillé mer, il créa les montagnes sur la terre et les couvrit de neige, de verdure et d'arbres puis - entre la poire et le fromage - il convoqua Saint Nectaire et lui dit : «Mon bon Nectaire, ma bonne pâte, que crois-tu qu'on pourrait foutre sur ces pentes verdoyantes ? N'as-tu pas idée d'un truc utile, rentable, décoratif, un truc vivant quoi »

Nectaire se gratta un moment les croûtes - conséquences de cette varicelle qu'avait crû bon d'inventer Le Tout-Puissant - et répondit: » On pourrait y mettre des vaches qui paîtraient! »

« Pouahh ! » s'exclama Le Tout-Puissant « des vaches qui pètent ? A quoi ça sert que je me sois décarcassé à créer la couche d'ozone?»

« Euh... je parlais de pâturer, de brouter au conditionnel Tout-Puissant» répondit Nectaire.

Le conditionnel fraîchement arrivé restait encore nébuleux pour son créateur qui commençait à se demander si c'était bien utile.

“Admettons” dit-il “je t'apporte les montagnes sur un plateau avec cette chaîne himalayenne et ses neiges éternelles comme Moi, mets-y des vaches qui pèteront si tu veux pourvu que ça rapporte!”

“C'est que ça doit cailler dans le haut Himalaya” fit remarquer Nectaire.

“Arrange-toi pour que le caillé rapporte, Nectaire” répondit Le Tout-Puissant.

“OK” abrégea Nectaire qui avait fait anglais troisième langue après l'hébreu “je vais consigner tout ça par écrit”.

“N'en fais pas des tomes” s'impatienta Le Tout-Puissant “on a encore du boulot avant dimanche”

“Justement” répliqua Nectaire “c'est que j'aimerais en faire des tomes!”

“Fais à ton idée, Nectaire pourvu que ça rapporte... et comment appelleras-tu ça?” demanda Le Tout-Puissant.

“Je veux en faire un label, Tout-Puissant, quelque chose d'authentique, une AOC”.

“Une AOC, dis-tu? Quèsaco?” questionna Le Tout-Puissant en provençal.

“Une Appellation d'Origine Chrétienne, Tout-Puissant!” s'enflamma Nectaire.

Le Tout-Puissant buvait du petit-lait: “Ca c'est bon pour l'image, Nectaire... et ces vaches on pourrait les appeler yacks. Ca vaudrait 20 points au scrabble rien qu'avec le Y et le K!”

“Ouais mais pas facile de faire son beurre avec le yack, Tout-Puissant” fit remarquer Nectaire “vu que ça sera compliqué de traire le mâle... appelons-la plutôt dri”

“Va pour dri, Nectaire pourvu qu'elle paisse sans péter, qu'elle ait des mamelles et que ça rapporte. Il fera jour demain, Nectaire” conclut Le Tout-Puissant.

“Mais si ça caille trop, Tout-Puissant... si ça flocule, si ça vermicule comment veux-tu, comment veux-tu qu'ça coagule?” s'inquiète Nectaire.

“T'inquiète Nectaire, je vais créer la présure, ça sera surement plus utile que le conditionnel! Et puis c'est Moi le Créateur, non?” répond Le Tout-Puissant.

Ainsi, il y eut un soir et ça caillait, et il y eut un matin et ça caillait encore: ce fut le Troisième jour puisqu'il avait dit qu'il ferait jour demain, le jour des luminaires, du soleil, de la lune, des yacks et des dri qui furent féconds et copulèrent à tout va puisque telle était la consigne.

“De l'air pur, de l'herbe, du lait, du fromage... que demander de plus” pavoisait Nectaire.

“Euh... Nectaire, fais-moi penser de créer des bipèdes, mâle et femelle pour mettre de l'ordre dans cette partouze” grommela l'Eternel insatisfait.



samedi 23 mai 2015

Méfie-toi du sherpa qui porte l'Epoisses

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration de Michal Karcz




Michal nous avait envoyés une fois de plus pour une de ses expéditions abracadabrantesques censées nous faire découvrir un monde parallèle, bien au-delà des plus hauts sommets terrestres.
Nous avions mis le cap sur l'Himalaya et c'est en tutoyant l'Everest de notre ballon gonflable que la chose se produisit... une intense lumière sortie des nues inonda tout le panorama jusqu'au plus profond des vallées enneigées.
Je m'y revois comme si c'était aujourd'hui... du fin fond de la Terre monte une voix caverneuse.
Est-ce l'écho ou bien l'altitude qui m'a rendu sourd?
Je demande à Karl - le chef d'expédition - d'où vient cette voix et s'il y comprend quelque chose.
“On dirait un porteur, un sherpa” dit-il en me montrant un minuscule point sur l'immensité blanche.
“Et que dit-il?”
Karl qui parle couramment les dialectes tibétains me répond au bout d'un moment :”Chetup”
“Shut up? Il veut qu'on la ferme, à cause des avalanches?”
“Non... chetup... ça veut dire Couper... couper les gaz”
Alors Karl coupe les brûleurs et petit à petit le sherpa grandit, ce qui parait normal même au Tibet.
Jamais vu un sherpa faire de l'autostop ou du ballonstop!
“... … … ….. .. ….. ..”
“Qu'est-ce qu'il dit?”
“Il dit: Hé ! bonjour, Messieurs de la montgolfière.
Que vous êtes jolis ! que vous me semblez fiers!”
“Des vers? Il a une drôle de façon de parler pour un tibétain”
“... … … ….. .. ….. ..”
“Et là, qu'est-ce qu'il dit?”
“Il dit: Sans mentir, si votre caquetage
Se rapporte à votre emballage...”
“Euh... c'est vraiment du tibétain ça?”
“Oui, je crois... ou alors il a les lèvres gercées”
“... … … ….. .. ….. ..”
“Et là, qu'est-ce qu'il a dit?”
“Il a dit: Vous êtes les Félix des chats de ces bois."
“Et ça veut dire quoi? Y serait pas en train de se foutre de nos gueules avec son Félix le chat?”
“Attendons de voir ce qu'il veut”
“... … … ….. .. ….. ..”
“Qu'est-ce qu'il espère? Un chèque au porteur?”
Karl ne relève pas la vanne ou alors il n'a pas d'humour...
“Je crois qu'il parle d'enfumage ou d'assurance-chômage... enfin un truc en mage!”
On n'avait pas grand chose en mage et en réserve mais il me restait du fromage, un vieil Epoisses qui aurait réveillé un anosmique chronique et dont le 'subtil fumet adoré des gourmands' nous avait emboucané pendant tout le voyage.
L'occasion était trop belle de nous en débarrasser et puis nous n'avions ni enfumage ni assurance-chômage avec nous.
Je lâchai du lest et du même coup l'Epoisses - roi des fromages - qui atterrit juste sur la tête du sherpa.

Il nous remercia longuement mais Karl refusa toujours de me traduire ce qu'il avait baragouiné pendant dix minutes.
Le sherpa bizarrement honteux, confus et coiffé d'une pâte molle reprit sa route tandis que la nuée lumineuse avait laissé place à des nuages noirs et menaçants.
“Il est grand temps de rentrer” dit Karl en remettant les gaz “le monde parallèle attendra”.
Ce sherpa nous avait-il jeté un sort? En attendant je respirai à pleins poumons, m'enivrant de l'air retrouvé des hauts sommets.



Le cheval à bascule

Les Défis Du Samedi nous proposent d'exprimer nos "J'en ai marre!", alors voilà




Pourtant tout avait bien commencé.
Cette année là - alors qu'Al Capone et son mythe disparaissaient à la fleur de l'âge - naquirent David Bowie, Carlos Santana, Elton John et moi.
Fort heureusement ils n'avaient pas encore la notoriété qu'on leur reconnait aujourd'hui et donc ils ne firent pas d'ombre à mon arrivée.
A propos d'ombre, cette année là on la chercha beaucoup car ce fut une année de canicule, une année comme on les aime en Bourgogne, promesse de grands millésimes avec juste ce qu'il faut d'orages d'été pour relancer la végétation et obtenir une maturité inégalée des raisins.
Pas folle la guêpe, j'avais attendu début novembre et la fin des vendanges - cramponné à mon cordon ombilical - pour pointer ma tronche au sein de ma mère.
Ce n'est peut-être pas ce que j'ai tété de meilleur dans ma vie mais je n'ai pas protesté ni fait la fine bouche, d'abord parce qu'on ne parle pas la bouche pleine et parce que je ne parlais pas encore.
Quand j'ai commencé à le faire, tout le monde s'est pâmé, extasié alors que je n'avais rien d'important à formuler sinon quelques borborygmes qui signifiaient que j'avais faim ou sommeil ou les deux à la fois.
Déjà à l'époque une grande agitation régnait autour de moi, des choses que les grands appelaient des évènements et qui prouvaient qu'on était bien vivants.
Ainsi Fausto Coppi remportait son premier tour de France tandis que dans une autre discipline mais également en jaune Mao Tsé-toung proclamait la république chinoise alors que Boris Vian venait goujatement de cracher sur nos tombes... mais encore une fois je n'avais rien dit car on ne coupait pas la parole aux grands et puis je n'étais pas en âge d'avoir une tombe.
Je n'étais pas du genre à m'insurger et je suis resté assez longtemps ainsi d'humeur égale, flegmatique face aux petits et grands évènements qui survenaient, jusqu'à ce qu'on m'offre ce foutu cheval à bascule en sapin des Vosges.
Malgré bien des tentatives suivies de chutes spectaculaires je n'ai jamais réussi à le dompter, même en tentant de l'étrangler avec la corde de mon bilboquet tout aussi sauvage que lui puisque sa tige ne tomba jamais en face du trou!
A cet instant j'avais senti monter à l'intérieur de moi quelque chose de sauvage, une sorte d'agacement, d'irritation comme une vague d'exaspération venue du ventre et qui venait exploser jusqu'au sommet du crâne... alors j'ai jeté mon foutu cheval sauvage et mon bilboquet aux oubliettes, dans la cave comme on dit chez nous.

Le psy me regardait bizarrement: “Continuez”.
Plus tard, ça a été le tour de Margot.
Elle avait fait irruption dans ma vie avec le printemps et mes premiers boutons d'acné; ça faisait beaucoup de bouleversements à la fois et comme je ne pouvais rien contre le printemps et pas grand chose contre ces affreuses pustules (à l'époque l'acné se soignait avec du froid mais chez nous on ignorait les glaçons) c'est cette foutue Margot qui en a fait les frais.
Elle était gironde avec ses nattes blondes et ses grands yeux étonnés mais j'ai vite réalisé qu'elle aussi était indomptable, alors je l'ai rangée à la cave avec mon cheval d'où mes vieux sont venus la sortir en l'entendant chouiner.
Plus je grandissais et plus les vagues d'exaspération se rapprochaient et s'amplifiaient comme si mon ventre avait du mal à contenir une mer en furie.
Puis j'ai été appelé à troquer mes boutons d'acné contre ceux d'un treillis du 42ème régiment de transmissions à Rastatt en Allemagne où je passai une année à contenir mes vagues, bien aidé par cette infâme mixture qu'on appelle caoua mais qui contient avant tout des sédatifs.
Je contenais mes vagues et c'est tant mieux car j'étais trop éloigné de ma chère cave pour pouvoir y séquestrer tout ce qui m'exaspérait: rangers, MAS 36, casque lourd, tout un barda et aussi cette meute de sous-officiers qui aboyait comme de mauvais chiens et que j'aurais volontiers mis au trou.
On disait MAS 36 pour le fusil car parait-il les abréviations font moins peur aux appelés.
Enfin je fus libéré - comme on libère un esclave de ses chaînes - et, retrouvant ma chère cave j'entrai aussitôt dans la vie active après ces douze mois d'inaction.

La vie active est une manoeuvre compliquée qui consiste à se lever le matin et à se coucher le soir avec au milieu une alternance de moments d'agitation et de somnolence, de métro et de marche à pied, de grandes contrariétés et d'infimes satisfactions, comme le flux et le reflux des vagues d'un océan qu'on appelle carrière professionnelle.
Dans ce labyrinthe je croisais du matin au soir des Margot de tout poil - je veux dire des blondes, des brunes et des indéfinissables - des sténodactylos, des psychos, des intellos et des chefaillons, sortes de sous-officiers en uniformes d'actifs qui aboyaient comme de mauvais chiens ainsi que des tonnes de paperasses que j'étais censé trier selon d'improbables critères.
Autant dire que mes vagues d'exaspération avaient repris de plus belle et qu'on m'envoya souvent voir ailleurs si on y était!
Le psy avait l'air de dormir, pourtant il répéta: “Continuez”.

Pour calmer mes pulsions je trouvais un certain réconfort à “détourner” les plus belles paperasses que j'entreposais au fil des années dans ma chère cave, des bordereaux, des inventaires, des bilans, des tableaux d'amortissement, des récépissés, des fac-similés, autant de noms bizarres qui constituent le langage codé des actifs.
A chaque disparition de document c'était des suspicions, des remontrances et à chaque remontrance, c'était un dossier de plus qui venait alourdir mes étagères parmi les caisses de Chambertin et de Pouilly-Fuissé au point que la place vint à manquer dans ma chère cave.
C'était un signe. Il était temps pour moi de prendre ma retraite, comme on prend le dernier bateau du soir pour l'île d'Alcatraz, temps de quitter la vie active pour cette mer d'huile qu'est la non-activité.
Finies les contrariétés, les brimades, les ricanements mais finies aussi ces vagues d'exaspération sorties de mon ventre et qui venaient exploser jusqu'au sommet du crâne pour mon plus grand bien.

Cette fois le psy dormait tout à fait.
Depuis des mois et quand j'eus fini de brûler toute cette paperasse je commençai à m'ennuyer, j'étais comme mort.
“Vous comprenez, je suis mort, MORT!!”
J'avais dû crier car le psy ouvrit les yeux, stupéfait de cette rafale soudaine dans le calme plat de son cabinet.
Je lui sautai à la gorge :”J'en ai marre!!”
Il se cabra comme l'avait fait jadis mon cheval sauvage en sapin des Vosges et tout en lançant quelques ruades pour me désarçonner il tenta de hennir, enfin... de crier, alors je serrai du mieux que je pus.
Combien de gens s'évertuent à couper le cordon avec leur psy, ce lien d'accoutumance, de dépendance, un piège, une foutue drogue.
Moi au contraire je serrais comme je pouvais l'invisible cordon de mes doigts.
On devrait toujours avoir une corde de bilboquet sur soi...



mardi 19 mai 2015

4 heures du mat, sans clé, sans bagnole et sans toit, et sous la pluie.

Publié aux Impromptus Littéraires




4 heures du mat, sans clé, sans bagnole et sans toit, et sous la pluie.

Je crois avoir tout fait comme le demandait cet étrange message que j'ai reçu, pourtant celui ou celle qui me l'a envoyé me connait mal car j'ai raté mon permis de conduire cinq fois avec à la clé la certitude de n'avoir jamais un jour une bagnole à moi.
Habiter à deux pas du circuit Bugatti sans jamais pouvoir poser son cul dans son propre baquet et faire rugir les chevaux, c'est vexant, infamant, c'est exactement comme habiter Plougastel en étant allergique aux fraises ou bien être client chez Free et n'avoir rien compris...

Alors venir au rendez-vous sans clé de contact c'est pour moi une évidence, sauf si le message parle de clé à molette ou de clé à bougie. Qui aurait l'idée farfelue de se rendre à un rendez-vous à 4 heures du mat avec sa caisse à outils sinon pour réparer une fuite nocturne?
Et même... réparer une fuite sous la pluie, ça n'a pas de sens, c'est un peu comme vouloir regonfler un pneu crevé.
4 heures et demie du mat. Je n'ai jamais été ni un lève-tôt ni un couche-tard, moi qui pique du nez dès 22 heures devant Koh-Lanta pendant que mes héros sans abri se déchirent pour une boulette de riz!
Sans toit! Le message demandait de venir sans toit, comme les Kanawa ou les Boros de TF1, comme un Robinson ou un Vendredi... inutile que j'aille chercher ma Quechua à la cave.
Je relis dix fois le message à la recherche d'un quelconque indice, d'un mot-clé qui m'informerait des véritables intentions de ce messager, de cette messagère qui me file rancard sous la pluie à 4 heures du mat. Si c'est Alain Grognard, il aurait pu signer... ou alors c'est Sandrine Le Marchand... non, elle c'est Shanghai Express.
Il faut que je me reprenne en mains.
5 heures du mat. Insidieusement je lis entre les lignes et commence à comprendre, un rendez-vous sous la pluie ça pue l'aventure, une pluie tropicale ça vous met dans le bain tout de suite, une pluie de mousson diluvienne, une pluie malaise. Rien que l'expression “pluie malaise”, ça fout le vertige, la gerbe.
Sûr qu'il y en a qui auront décliné l'offre - les dégonflés - alors on fait appel à moi!
5 heures du mat, en comptant les formalités de douane et l'immigration ça doit permettre d'atterrir en Malaisie ou aux Philippines juste pour l'apéro du soir.
Qu'est-ce qu'ils peuvent bien servir à l'apéro les malais, les philippins? Une bière tiède, une infusion, au mieux de l'alcool de riz?

Bon sang mais c'est bien sûr, sans clé ça veut dire qu'on devra fabriquer les “outils” sur place, peut-être des hameçons pour la pêche ou des huiles essentielles d'arbre à thé contre le moustique-tigre?
Avec un peu de chance il y aura Téhéiura! Il faut absolument qu'il y ait Téhéiura sinon je ne pars pas.
Lui saura faire le feu mieux que personne et on mangera chaud.
Ouf! Je réalise que je n'aurai pas à planquer d'allumettes entre mes miches comme je l'avais appris en stage commando quand j'étais troufion à Kehl.
C'est dingue comme “troufion” - même en un seul mot - ça fout aussi la nausée.
5 heures trente du mat. A la boussole je suis imbattable mais est-ce que je saurai encore ramper, passer une tyrolienne et traverser un marigot?
S'ils m'ont choisi c'est qu'ils doivent savoir des choses sur moi... sauf pour la bagnole.
Et si c'était Ginette qui les a mal rencardés? Ouais, ça sent Ginette tout ça.
Elle dort à côté en ronflant comme un sonneur mais ses éternels petits sourires ne trompent personne.
Je mets de la bouffe au hasard dans un sac à dos et un mot sur la table:”Ne m'attends pas”.
”Ne m'attends pas”, ça ne veut rien dire vu que Ginette n'a jamais su attendre, alors je déchire le mot.
Dans quelques heures elle cherchera son “poussin” partout dans la maison.
Est-ce qu'il y aura aussi des bombes sur l'île? Des Jennifer, des Christina, des Manon?
Un coup d'oeil par la fenêtre: il pleut toujours et c'est bon signe.
Par contre je me demande si mes chaussures à glands sont bien appropriées... et puis qu'est-ce que je vais bien pouvoir foutre d'un prix de 100 000€? M'acheter une bagnole?
C'est ridicule...




samedi 16 mai 2015

La pendule pour les Nuls


Publié sur le site MilEtUne d'après le mot imposé Remontoir et la photo suivante








En France, dès 1890, les travailleurs-manifestants du 1er mai ont pris l'habitude de défiler sur les Champs-Elysées de Paris en portant à la boutonnière un triangle rouge.

Ceux qui ne peuvent se rendre sur les Champs-Elysées de Paris défilent quand même ailleurs en portant à la boutonnière ce même triangle rouge.

Depuis l'invention de la géométrie euclidienne, tous les triangles rouges ou de n'importe quelle couleur ont cette particularité d'avoir trois sommets. Dans le cas contraire ce ne sont pas des triangles même s'ils sont rouges.

Ceux qui ne possèdent pas de boutonnière sont libres de défiler ou pas, les retoucheuses-fileuses étant absentes pour cause de défilé; dans tous les cas on défile pour la même cause.

Toutes les catégories sociales de travailleurs-manifestants peuvent défiler, de la plus humble à la plus huppée comme les modistes.

On notera que les modistes défilent aussi à la sainte Catherine mais ça les regarde...



L'instauration de la journée de travail de 8 heures au lieu de 10 ou 12 a permis de diviser la journée en trois parties: 8 heures de travail, 8 heures de sommeil, 8 heures de loisirs, ce qui rentre à la minute près dans une journée de 24 heures et permet donc de recommencer le lendemain à la même heure (sauf si l'on est en retard).

Les notions d'heure et de retard nécessitent quelques explications:

La journée de 24 heures a été inventée mais on ne sait plus par qui ni surtout quand.

Par contre on sait précisément que depuis 1659, Huygens a chié une pendule à oscillation naturelle tout à fait intéressante même si elle s'arrête au bout d'un moment.

Dans les moments où elle fonctionne, elle permet de mesurer les heures aussi bien de travail que de sommeil que de loisirs qui durent chacune une heure, même si les heures de sommeil sont moins faciles à mesurer puisqu'on dort.

Si l'on a du mal à dormir, les heures dites de sommeil sont plus longues et c'est normal car elles grignotent sur les heures de travail ou de loisirs.

L'horloge fonctionne au moyen de poids - c'est le poids des ans - qui descendent sous leur propre poids d'où leur nom de poids.

Qu'elle soit tressée, paraffinée, torsadée, en boyau ou en chanvre, la corde qui retient le poids s'arrête elle aussi au bout d'un moment.

A bout de corde, les poids s'arrêtent. Dans le cas contraire, la corde est dite élastique.

C'est la fin de la descente qui correspond à la remontée de bretelles de celui qui aura oublié de remonter la pendule.

Le préposé au remontage - généralement l'aïeul car il a plus de loisirs et de bretelles - dispose d'un remontoir en forme de clef-papillon ou de manivelle.

Une fois par semaine à heure fixe - appelée heure de remontage - l'aïeul est sensé remonter les poids de la pendule jusqu'à un certain point en tournant la clef dans les deux sens jusqu'à trouver le sens qui fonctionne le mieux: c'est le bon sens.

Il tourne la clef jusqu'à ne plus pouvoir la tourner mais s'il tourne pendant plus d'une heure, on en conclura que le ressort est cassé. Seul l'aïeul est habilité à faire la réparation, celle-ci n'étant pas du ressort des autres.

En dernier ressort, on s'évitera de chercher midi à quatorze heures en contactant un horloger-réparateur mais pas le 1er mai.

La pendule comtoise d'origine jurassienne - et non pas jurassique - est en forme de cercueil posé à la verticale; les poids ne fonctionnent pas à l'horizontale car on a essayé et ça ne marche pas.

Les mécanismes sont traditionnellement distribués partout en France par des colporteurs. On notera que les colporteurs comme tous les travailleurs-manifestants ne colportent pas le 1er mai, quelle que soit l'année.

De nos jours il existe des machines qu'on appelle machines à remonter le temps mais qu'on voit surtout dans les films de science-friction (la friction est le nom moderne du remontage de bretelles).



Enfin, “Remettre les pendules à l'heure” signifie faire une mise au point afin que les choses soient claires pour tout le monde... j'espère que c'est le cas.