mercredi 30 septembre 2015

Green-Wood cemetery

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration






Du Bronx jusqu'au cimetière de Green-Wood par la ligne 5, il faut exactement trente neuf minutes avec le changement à Atlantic Avenue.
Je le sais parce que je fais le trajet chaque premier dimanche du mois.
C'est là qu'elle dort au 375 de l'avenue des sassafras; les gens disent qu'elle repose mais je préfère dire qu'elle dort.
Avant qu'elle repose elle dormait déjà beaucoup - surtout la journée - parce que son métier de chanteuse et danseuse l'occupait une partie de la nuit.
Je guettais depuis mon petit lit le claquement de ses escarpins dans l'escalier puis je m'endormais, harassé et rassuré.
Elle a toujours aimé les chrysanthèmes, je ne sais pas pourquoi mais il y en avait une pleine brassée chaque semaine à la maison... sans doute des admirateurs.
Ici on dit que c'est une fleur pour les mariages mais ça faisait marrer mon père qui n'était pas jaloux pour deux cents.
C'est d'elle que je tiens ma passion pour le jazz. Plus tard je serai batteur de jazz comme Buddy Rich avec le trio d'Oscar Peterson.
C'est encore elle qui m'avait pistonné pour pouvoir approcher mon idole depuis les coulisses du Blue Note... j'en tremble encore.
Trente neuf minutes à tenir un bouquet de chrysanthèmes à bout de bras, ça n'est rien par rapport au supplice du noeud papillon mais c'est ainsi qu'elle aimait me voir - endimanché pour le cérémonial de l'église - alors je le mets pour elle aussitôt que je suis dans le métro; j'ai bien trop peur qu'un pote me surprenne.
Porter un noeud pap dans le Bronx, c'est signer son arrêt de mort... ou au mieux mourir de honte.

Au cimetière je me sens bien parce que de grands noms dorment pas loin d'elle, l'immense Leonard Bernstein, Henry Steinway et cette Lola Montez la danseuse “espagnole” à qui elle ressemblait beaucoup.
Je sais que là dans cet immense dortoir de six cent mille lits fait d'étangs et de vallons où paissent des animaux en liberté, mes bouquets de fleurs blanches vont s'épanouir.



lundi 28 septembre 2015

Confesse


Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème du portrait d'un beau salopard


Confesse  (pas trouvé de titre moins cru)









A l'âge du lolo, des pots de confiture

déjà je préférais les prunes à l'eau-de-vie

en cachette j'avais des goûts inassouvis

fumais à pleins poumons du sureau la ramure.



J'ai gravé dans le bois tant de coeurs innocents

braqué sur les nanas ma kalach en plastic

et volé leur hymen, tiré sur l'élastique

sans le moindre remords ou signe attendrissant.



Souvent par fourberie j'ai menti à confesse

picolé les flacons remplis de vin de messe

j'étais une fripouille de grande envergure.



Serais-je une racaille à la triste figure?

Quand bien des repentis se rangeaient sur le tard

je n'ai rien regretté, je suis un salopard.


samedi 26 septembre 2015

Le décryptage pour les Nuls


Publié aux Défis Du Samedi






Enigma - c'est son nom crypté alors que son vrai nom est gamine - fut inventée par un allemand pour les allemands ce qui est parfaitement compréhensible... sauf quand c'est crypté.

Son mécanisme à base de rotors brouilleurs qui brouillent, de cliquets qui cliquettent, d'anneaux métalliques, de réflecteur, d'entonnoir, de bande velpo qui velpotte, de décapsuleur, de dérailleur, de tableau de connexion et de câblage sophistiqué - appelé fil à retordre - est si complexe que même son inventeur en perdit les pédales.

Il conçut alors Enigma2 pour décrypter la notice d'utilisation de son Enigma1.



On dit que son clavier était si dur qu'il donnait des ampoules au bout d'un moment, ce qui permettait du coup d'éclairer le clavier pour les frappes de nuit.

La gamine a été conçue dans une boîte en bois flotté qui permet de la récupérer en cas de naufrage.

La boîte de la gamine était fermée au moyen d'une clef de cryptage - ou clé de chasteté - qu'on changeait chaque jour par sécurité jusqu'à ce qu'on finisse par mettre la clef sous la porte.



Réputée inviolable, portable, incroyable, inoxydable, insubmersable et plein d'autres trucs en able, cette machine à crypter et décrypter les messages fit les “beaux jours” de la Seconde Guerre Mondiale puisqu'elle occupa à plein temps 12 000 des meilleurs scientifiques, cruciverbistes, joueurs d'échecs et mathématiciens anglais, polonais et français pour percer le secret de la gamine.

C'est pourquoi on appela cette période l'occupation.


Le secret bien gardé de la gamine résidait entre autres dans des rotors gravés en chiffre romains pour tromper l'ennemi; qui aurait pu imaginer que V veut dire 5, à part les romains ?

“Et pourtant ils tournent” aurait dit à propos des rotors brouilleurs un certain Galileo devenu célèbre.



Chaque caractère tapé est remplacé par un autre - au point que l'on dira que son inventeur avait mauvais caractère - ainsi même les redoutables sous-marins allemands (les fameux U-Boot) en firent les frais, un message “Videz les ballasts” ayant été traduit par “Ouvrez les hublots” décima la flotte allemande en quelques heures.



Le dernier message chiffré fut trouvé en Norvège, il disait “Il ne court plus, le furet du bois Mesdames” ce qui veut dire en clair “Le Führer est mort. Rangez vos gamines, Mesdames”.



On doit au célèbre mathématicien anglais, Alan Turing d'avoir brisé le codage de la gamine, défloré son secret si bien gardé et sauvé la vie de centaines de milliers de personnes.



La gamine fait aujourd'hui le bonheur des collectionneurs qui se l'arrachent chez Sotheby pour la bagatelle de 200 000 euros!

La bande velpo qui velpotte et le dérailleur qui déraille sont à ce prix.



A venir : La tapette à souris électronique pour les Nuls





mardi 22 septembre 2015

L'aigreur est hymen





Errare humanum est... est quoi? Dis Marcel, tu crois pas qu'y z'auraient pu écrire la fin ?”
“P't'être qu'y avait pas assez de place sur l'arbre”
“Quel arbre? Où tu vois du bois, toi ?”
“Chez nous on dit que c'est gravé dans l'arbre”
“Marcel ! On dit que c'est gravé dans le marbre. N'empêche que le gonze aurait pu finir sa phrase... c'est comme si je disais Un tiens vaut mieux
“Monte pas sur tes grand cheveux. T'as r'gardé derrière le marbre au cas où le gonze aurait écrit la suite ?”
“Passe que t'as déjà vu un marbre gravé recto-verso, toi ?”
“Tu veux dire hecto perso, plutôt”
“Recto-verso... ça veut dire par devant par derrière, c'est du grec, analphabète”
“C'est pas plutôt du latin ?”
“Euh non Marcel... les latins étaient pas comme ça”
“Excuse moi mais nous aussi on est latins et j'en connais qui sont comme ça”
“Qui sont comment ?”
“Ben comme tu dis, resto cerceau... enfin devant derrière”

Alphonse retourne prudemment la plaque de marbre comme si quelque grec ombrageux s'y cachait.

“Tu vois Marcel, y'a rien derrière! Le gonze s'est gouré et iI a même pas osé signer, un plein c'est tout”
“Ou alors il était d'Alzheimer”
“Puisque j'te dis qu'il était grec”
“Et si ton marbre il avait poussé à l'envers ? Tu devrais le retourner A contrario”
“Hein ? Tu veux dire A capite ad calcem ?”
“Euh... c'est encore une position de tes grecs, ça ?”
“C'est de haut en bas si tu préfères”
“Je préfère rien ! Fais comme ça t'plait”

Alphonse retourne prudemment la plaque de marbre de haut en bas comme si un grec furieux allait en tomber.

“Et comme ça tu piges quelque chose, Marcel ?”
“Que dalle comme dirait un marbrier... c'était moins pire avant”

Alphonse retourne à nouveau la plaque de marbre sous le regard courroucé du gardien du musée: “Quand vous aurez fini de tourner et retourner ce marbre, vous me ferez signe !!”

“Excusez-nous M'sieur mais on cherche l'erreur”
Le gardien soupirant :”Tout le monde cherche l'erreur... qu'est-ce que vous avez tous à chercher une erreur où il n'y en a pas ?”
“Excusez-nous M'sieur mais Errare humanum est... ça veut rien dire”
Le gardien soupirant :”Tout le monde dit ça, comme si tout le monde pouvait comprendre les maximes philosophiques; j'avais pourtant prévenu le Conservateur... allez-y doucement, Condemnant quod non intellegunt”
“Pardon ?”
Le gardien re-soupirant :“Oui, les gens condamnent ce qu'ils ne comprennent pas. C'était tellement facile d'écrire que l'erreur est humaine, mais il parait qu'en latin c'est plus class”
“T'entends ça Marcel ? Tout ça pour dire que l'erreur est humaine”
“Chez nous on dit que l'aigreur est hymen”

Le gardien, agacé :”Quand vous en aurez terminé avec vos réflexions anatomiques... d'autres visiteurs attendent derrière vous pour le décryptage”
“Viens Marcel, on s'tire”
“T'as raison Alphonse, les journées du patinoire c'est vraiment chiant”


samedi 19 septembre 2015

Le tirage du nez

Publié sur le site MilEtUne d'après le tableau de Kouzma Petrov-Vodkine






Cyrano :“Ah ! Non ! C'est un peu court, jeune homme!”
Marthe :”Pourtant, je le trouve bien assez long, moi”
Hubert :”Chuut! C'est un postiche”
Lulu :”C'est quoi un postiche?”
Hubert :”C'est un artifice”
Lulu :”Et ils vont le tirer quand?”
Hubert :”En ce moment. C'est ça une tirade”
Cyrano :”moi, monsieur, si j'avais un tel nez,
Il faudrait sur le champ que je me l'amputasse !”
Lulu :”Tonton, le monsieur il a dit Putasse!”
Arsène :”Tais-toi Lulu, tu comprends rien”
Lulu :”Fallait pas m'emmener”
Cyrano :”Que dis-je, c'est un cap? ... c'est une péninsule !”
Petit Jean :”C'est quoi déjà une péninsule?”
Hubert :”Chuut!”
Arsène :”C'est un truc qui avance”
Petit Jean :”Comme le nez du type?”
Arsène :”C'est ça... Chuut!”
Cyrano :”de quoi sert cette oblongue capsule?”
Lulu :”Elle est où la capsule?”
Hubert :”Y en a pas... Chuut!”
Lulu :”Alors pourquoi le type y parle d'une capsule?”
Albertine :”C'est une métaphore”
Petit Jean :”C'est quoi déjà une métaphore?”
Hubert :”C'est quand on dit capsule au lieu de nez”
Petit Jean :”C'est nul les métaphores”
Lulu :”Quand est-ce qu'il chante Roxanne... you don't have to put on the red light?”
Arsène :”A l'entracte.. Chuut”
Cyrano :”aimez-vous à ce point les oiseaux
Que paternellement vous vous préoccupâtes...”
Lulu :”Des pâtes comme à la maison, Tonton?”
Arsène :”Chuut!”
Cyrano :”... de tendre ce perchoir à leurs petites pattes ?”
Petit Jean :”T'as pigé? Y parlait des piafs!”
Cyrano :”ça, monsieur, lorsque vous pétunez...”
Albertine :”Pétuné? Y s'est trompé, on dit pétunia!”
Arsène :”Chuut!”
Cyrano :”la vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée ?”
Albertine :”Il aurait dû dire pétunia”
Hubert :”Non, faut que ça rime avec nez!”
Lulu :”C'est quoi des rimes?”
Petit Jean :”C'est comme Roxanne et Liliane”
Lulu :”Elle vient quand Liliane?”
Arsène :”A l'entracte... Chuut!”
Cyrano :”faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane !”
Marthe :”C'est vrai qu'il est déjà bien rouge”
Petit Jean :”Presque autant que le tien, tante Marthe”
Cyrano :”aucun vent ne peut, nez magistral,
T'enrhumer tout entier, excepté le mistral !”
Albertine :”C'est de Mistral? Moi je croyais que c'était de Bergerac...”
Arsène :”Ni l'un ni l'autre, andouille”
Cyrano :”c'est la Mer Rouge quand il saigne !”
Lulu :”Ca va commencer bientôt la castagne? C'est pas drôle”
Hubert :”T'as raison petit, c'est pas drôle”
Arsène :”Chuut!”
Cyrano :”hé, ardé ! C'est-y un nez ? Nanain!
C'est queuqu'navet géant ou ben queuqu'melon nain !”
Petit Jean :”Y cause comme le père Mathieu! Y doit être aussi de Pisseleu”
Cyrano :”voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot !”
Lulu :”T'as gardé les tickets, tonton? Fais voir”

Arsène sort les tickets de sa poche tandis que Cyrano conclut sa tirade :”Je me les sers moi-même, avec assez de verve,
Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve...
Et si ces gros couillons voulaient fermer leur boîte
Je pourrais retrouver mes rimes adéquates!!!”

Lulu agitant les tickets :”C'est quand le tirage, M'sieur?”
Cyrano, affligé :”A quoi sert que Rostand ait écrit ce mélo
quand autant d'abrutis attendent le gros lot?”
Petit Jean :”Le gros lot! Le gros lot!”
Hubert :”T'as raison petit,le gros lot! Le gros lot”

La salle, enhardie :”Le million! Le million!”
Hubert :”Qu'est-ce qu'on se marre!”
Arsène :”C'est ça Rostand, les enfants”
Cyrano tourné vers la coulisse :”LUMIERE!! Il est grand temps d'évacuer la salle”
Le souffleur :”Euh... c'est pas dans le texte”

Moi :”Je crois que ça suffira”

Le fil d'Ariane

Publié aux Défis Du Samedi





L'autre jour je décide d'aller visiter les Catacombes dont l'entrée était signalée par un panneau “Visite guidée”, le dépliant promettait un voyage hors du temps et justement j'en avais à revendre.
J'avise un préposé - légitimement le cul préposé sur un tabouret - et lui demande où se trouve le guide.
Il me répond “Cest moi”.
Je lui demande à quelle heure est la prochaine visite et il me répond “C'est commencé”.
Je m'excuse de l'interrompre, je lui demande s'il compte faire la visite assis et il me répond: “Je reste assis parce que j'ai été formé au Père Lachaise... mais vous pouvez utiliser un audioguide”.
Je lui demande ce qu'est un audioguide, il me montre un truc en disant “Voilà c'est ça, c'est un baladeur”.
Je lui répond que je ne veux pas me balader mais vraiment visiter, il me tend malgré tout le baladeur et ajoute: “Surtout, mettez bien le casque!”
Je réalise que les plafonds doivent être très bas et lui demande s'ils sont assurés en cas d'accident, il se contente de me tendre une carte.
Je lui demande si c'est l'attestation d'assurance, il me répond: “Non, c'est une carte de visite attestant que je fais des visites”.
En effet, sur la carte de visite il est écrit : Eugène Duroutard, guide-conférencier, spécialiste outre-tombe.

Ainsi c'est lui, le fameux guide Duroutard?
Je m'équipe du baladeur et du casque mais rien ne se passe, ce que je fais remarquer à celui que j'appellerai Eugène - les Catacombes créent une étonnante intimité - et il me répond: “Il faut vous brancher sur un fil”
En effet, de longs fils relient les baladeurs de mes voisins qui s'éloignent dans la galerie comme une toile d'araignée géante...
Incrédule je branche le mien, Eugène me dit, goguenard:”Vous connaissez le fil d'Ariane? Et ben c'est pareil, vous êtes filoguidé. Personne ne se perd si personne ne perd le fil de la visite”
J'hésite à demander si le fil est assez long mais voilà que ça cause dans mon casque... en italien!
Je signale à Eugène que je ne connais guère que è pericoloso sporgersi et O sole mio, il me répond:”Ca ne va pas vous aider ici, faites donc la visite radioguidée... sans fil”
Je ne demande pas mieux pourvu que ça parle français. On est quand même chez Louis XVI!
Il me présente l'engin et dit, très fier:” C'est le dernier cri... celui qui est équipé d'un GPS”
L'expression “dernier cri” ne me rassure pas, surtout dans ce lieu macabre mais j'applaudis à l'idée d'être géolocalisable par GPS.
Il me répond:”Le GPS c'est pour Guide Person Search, ça permet juste au visiteur de localiser le guide”
Je lui fais remarquer que je sais parfaitement que le guide est sur un tabouret et qu'il n'en bougera pas mais il répond que j'aurai un autre discours quand je serai perdu au fond d'un boyau.

Je lui rend son machin dernier cri et lui demande à tout hasard s'il y a quelque chose de mieux que le radioguidage.
Eugène a un sourire radieux et me désigne une sorte d'engin volant qui stationne au-dessus de nos têtes :”Ca c'est le dronoguide, la visite guidée par drone!”
Je demande si c'est fiable et il me répond, indigné:”Si ça a marché au Kosovo, pourquoi ça ne marcherait pas ici?” et il ajoute “à cent euros la demi-heure, y a pas mieux”.

J'ai visité les Catacombes sur le site officiel de la Ville de Paris, j'ai parcouru les deux kilomètres en trois minutes et deux clics de souris... et j'ai oublié le guide, s'il vous plait!

mardi 15 septembre 2015

Brian is in the kitchen

Anaphores publiées aux Impromptus Littéraires


Tout le monde sait où est Brian et que Jenny est In the bathroom
Moi seul sait que ça ne suffit pas quand on est perdu sur Piccadilly
Tout le monde souhaite manger cinq fruits et légumes par jour
Moi seul sait que la tomate est inclassable et fausse les calculs
Tout le monde sait que l'écrivain Céline est un homme
Moi seul sait que ma voisine est bien une fille
Tout le monde sait ce qu'est la chaise électrique
Moi seul sait qu'elle a été inventée par un dentiste qui jurait que ça ne fait pas mal
Tout le monde ignore que chaque année, 11.000 Américains se blessent en essayant des positions sexuelles bizarres
Moi seul connait mes limites
Tout le monde sait qu'il y a une ville nommée Rome sur chaque continent
Moi seul sait qu'il y a un rom nommé Will dans mon immeuble
Tout le monde sait que la panophobie est la peur de tout
Moi seul ai peur de ne pas m'en souvenir
Tout le monde gamberge et tergiverse avant un référendum
Moi seul vote pour un oui pour un non
Tout le monde sait assaisonner une bonne viande rotie
Moi seul connait le piment des squelettes
Tout le monde connait l'acronyme sdf
Moi seul sait que c'est un nom à coucher dehors
Tout le monde sait ce qu'est une anaphore
Moi seul sait que trop d'anaphores tuent l'anaphore

dimanche 13 septembre 2015

La poste avance

Publié sur le site MilEtUne




Je me rappelle qu'au début - vers 2012 - ils avaient inscrit “La poste à Vance” (06140) sur ma camionnette, sauf que j'ai jamais pu obtenir ma mutation sur la Côte d'Azur... trop de candidats!
J'avais suggéré “La poste à Chalou-Moulineux”(91740) mais ça plaisait pas à ceux de la Côte d'Azur...
Alors pour retrouver le moral j'ai demandé autre chose et j'ai eu droit à “Et la confiance brandit”, sauf qu'on a attendu longtemps la confiance avant de brandir des pancartes dans les manifs.

L'hiver suivant y m'ont mis “On a toux à y gagner”... je m'en souviens, c'était l'année de ma pneumonie mais j'ai pas à me plaindre, y doit y avoir plus grave vu qu'à mon retour de convalescence y z'avaient mis “Avec la peste tout est possible”.
Ensuite ça a été “Bouger avec la piste”, c'était l'année du mondial d'athlétisme et là si je peux dire, ça bien marché.

C'était avant qu'on change l'imprimeur de slogans pour des questions de budget, alors j'ai hérité d'un “Viendez comme vous êtes” qui a eu beaucoup de succès. Les clients étaient hilares et moi j'aime bien que mes clients soient de bonne humeur.
Après j'ai livré les colis avec un beau camion tout neuf marqué “Si votre coulis est dans ce camion, il peut vous le dire sur votre mobile” qui faisait penser à un livreur de surgelés.

Dernièrement on m'a mis un “Souriez, il y a peut-être une lettre d'Amar pour vous dans ce camion” et j'attends toujours de voir un client sourire. Faut dire qu'Amar c'est pas encore courant chez nous.

Finalement je suis pas sûr que ce soit une bonne idée tous ces slogans, d'autant qu'y a pas marqué la poste!

Je me demande si je ne vais pas postuler chez EDF, d'autant que l'autre jour j'ai vu passer un beau mec dans une voiture bleue avec ce slogan “Les hommes qui relient les hommes”... et si y faut en passer par là pour la promotion, je dis pas non.

samedi 12 septembre 2015

La drénaline

Publié aux Défis Du Samedi d'après l'illustration





C'était la dernière bâtisse du village qu'on appelait «le moulin», flanquée d'un panneau Fouzy-sur-la-Tronche copieusement criblé par nos savants tirs de caillasse.
On passait toujours devant à fond la caisse - au moins du dix à l'heure - sur la mob bleue d'Oncle Hubert mais jamais on ne s'y serait arrêté.
Etait-ce parce que le maire du village y avait régné en maître ou parce que la Tronche à cet endroit grondait sauvagement contre les pales pourries d'une vieille roue à aubes immobile et noire comme un loup garou?
Tout dans ce lieu semblait chargé d'un lourd secret.
Le «moulin» gardé d'une étrange cheminée de briques disjointes ne moulasse plus rien depuis belle lurette, en tout cas je n'avais jamais entendu dire qu'on y ait moudré ou moudu - ça sert à quoi de nous faire copier cent fois ces foutus verbes du troisième type - le moindre boisseau de blé ou d'orge.
Pourtant à chaque fois qu'on rebeuillait dans le coin avec les potes, ça viaunait comme une odeur de mystère qui me donnait la nausée et m'attirait en même temps.

Alors quand le Bébert a proposé d'y aller voir cette nuit-là à cause que c'était nuit de pleine lune, j'ai ressenti ce machin que les grands appellent la drénaline et qui m'occasionna aussitôt une drouille carabinée !
Pendant que je soulageais mes arrières aux cagouinces, Bébert préparait le matos en grand secret: échelle de corde, sac à dos et la fameuse lanterne de cheminot Wonder qui s'use même quand on s'en sert pas.
On a jarté sans se retourner - en chaussettes pour pas alerter Rex, le câgne du voisin qui aboyait au moindre bruit - et plus vite que prévu à cause d'une forte rabasse qui nous a gaugés avant même d'avoir passé le pont de la Tronche!

Vindiou! On était pas beaux à voir quand on est passés au travers d'une borgnotte restée entr'ouverte. Heureusement y avait personne pour nous voir.
J'appris plus tard que nononque - Oncle Hubert - y était passé bien avant nous pour aller dévierger celle qu'on appelait aujourd'hui Madame le Maire, mais c'est une autre histoire.
Bref, la borgnotte était si étroite que j'y ai déniapé ma belle chemisette - celle avec l'écusson brodé L'Héritier-Guyot “Buvez du cassis” - mais on était déjà en mode aventurier genre Lawrence d'Arabie et j'ai même pas pensé à la tisane que j'allais prendre au retour.
Dans le « moulin » c'était tout noir avec un escalier tout noir et des murs tout noirs aussi.
Faut dire que la lanterne Wonder faisait du noir à cause que nononque en avait marre de changer les piles.
Alors en tâtonnant, chacun a compté les marches de l'escalier - en espérant se rappeler qu'y en aurait autant en redescendant - mais j'ai pas trouvé pareil que le Bébert: c'était mauvais signe, tout ça sentait le mystère à plein nez et la poussière aussi.

Soudain j'ai buté sur un gros ventre mou, un peu comme celui du maire ou comme celui du sergent Garcia, le gros beusenot où Zorro s'amusait à dessiner des grands Z en noir et blanc chaque mercredi dans la télé des voisins...
C'est Bébert qui m'a retenu avant que je redescende l'escalier cul par dessus tête.
Par une croisée de l'étage, la pleine lune semblait franchement se foutre de notre gueule.
Faut dire qu'on était blancs comme les Francini de la piste aux étoiles tellement qu'on s'était frottés aux sacs qui traînaient partout.
Cette âcre odeur de mystère viaunait de plus en plus à m'en filer le virot à moins que ce ne soit la drouille qui rappliquait à nouveau...
“T'es tout pâle” m'a soufflé Bébert qui était aussi blanc que moi.
J'ai cherché un endroit pour m'isoler derrière une vieille machinerie faite de poutrelles, de poulies et de courroies de cuir reliées par d'énormes toiles d'araignées.
C'est quand j'ai baissé mon froc que j'ai entendu un grand bruit de chute puis un cri étouffé!
Je me suis traîné dans leur direction.
Le Bébert et la lanterne Wonder venaient de tomber dans la trémie, un grand entonnoir de bois dont ne sortaient guère plus que ses chaussettes et un râle de mort-vivant.
Alors j'ai tiré sur les pieds de toutes mes forces jusqu'à l'entendre gueuler plus fort.
Il était bien esquinté, les genoux couronnés, la tronche rouge et blanche avec une belle beugne sur le front et débordant de reconnaissance: “Tu m'as sauvé la vie” chouina t il en se collant à moi.
Bizarrement il s'était mis à faire grand jour - surement la fameuse drénaline dont parlaient les grands - mais en haut de l'escalier clairait une grosse lampe tempête.

Derrière la lampe, une p'tiote nous observait d'un oeil curieux, vu que l'autre était caché par ladite lampe.
Quand je dis la p'tiote, tout le monde au village l'appelait la Marcelle et elle avait toutes les raisons d'être là à c't'heure puisqu'elle était la fille du maire et d'ailleurs elle y est encore... pas dans l'escalier mais fille du maire, enfin de l'ancien maire puisqu'il ne l'est plus et qu'ils n'habitent plus ici, bref.
C'est avec elle qu'on allait autrefois nadouiller au lavoir à chaque vacance et le fait d'avoir mouillé nos culottes ensemble me disait qu'on allait pouvoir s'arranger pour qu'elle dise rien à sa mère et à son maire, enfin à ses vieux.
Je lui ai refilé deux carambars avec les blagues à Toto qui vont avec et un roudoudou à la fraise qui fondait dans ma poche et puis on a déguerpi sur nos chaussettes, la gueule enfarinée, Bébert avec sa beugne et moi avec ma chemisette déniapée, laissant derrière nous le «moulin» et son secret.
On avait paumé la lanterne d'Oncle Hubert, ce qui nous garantissait une double tisane mais c'est le prix à payer - dit-on - pour la drénaline.

La p'tiote n'a jamais cafté, du moins pas encore à ce jour... on n'a jamais su ce qu'elle foutait là en pleine nuit et si on avait un lien de parenté avec elle, Oncle Hubert a emporté le secret dans sa tombe.


Lexique du patois bourguignon:

beugne : bosse
beusenot : idiot
borgnotte : petite fenêtre
chouiner: pleurnicher
déniapé : déchiré
drouille : diarrhée
esquinté : abîmé
gaugé, tripé: mouillé
jarter : renverser, marcher très vite
nadouiller : jouer, éclabousser avec de l'eau
nononque : Oncle
p'tiote : gamine
rabasse : averse
rebeuiller : fouiller
tisane ou frottée : dérouillée
viauner : sentir mauvais
virot: nausée