vendredi 23 janvier 2009

Symphonie du vent

Souvent les jolis contes naissent par un calme matin de printemps, et ce matin là était tout à la fois calme, tranquille, doux et serein et c'est tout car son auteur n'avait pas assez de mots pour décrire une telle quiétude.
Ce matin était si calme qu'on se serait cru le soir et qu'on aurait presque pu entendre péter une vache du haut de son alpage, ce qui aurait amplement couvert le bruit des mouches velues et dévolues à voler autour d'elle.
Pour toutes ces raisons, Eole s'ennuyait à mourir bien qu'il fut dieu grec et qu'un dieu grec, comme Demain, ne meurt jamais; pas un soupçon de vent, pas la plus petite brise ni le moindre bulletin d'alerte météo en prévision, et Dieu sait s'il était à l'écoute de toutes les chaînes, même les montagneuses. Il y avait dans l'air, un je ne sais quoi... non, je ne sais vraiment pas quoi.
Au bord de la dépression, il lui vint soudain une idée lumineuse comme en ont tous les dieux qui s'ennuient et qui ont des idées lumineuses, et puisque le mercure stagnait pitoyablement dans son baromètre, il décida de réunir tous ses vents pour en faire un orchestre symphonique qui jouerait à sa gloire.
Comme il était perfectionniste de son métier, il releva ses manches à air et commença à rattrouper ses fidèles outils nécessaires au dosage des éléments:d'abord la grande échelle de Beaufort que lui avait toujours envié Vulcain le chef des pompiers;puis la girouette malicieuse et ses points cardinaux qui étaient au nombre de quatre à cette époque; il y ajouta une rose des vents... pas pour la vue mais pour l'odeur, car il était aussi un peu responsable des odeurs comme celles de terre brûlée du Connemara ou du sable chaud du beau légionnaire...
Et puis vint le moment délicat du recensement de ses troupes et l'attribution d'un rôle à chaque élément; il gonfla les joues, car s'il ne l'avait fait, qui d'autre aurait pu le faire... et il cria: "Dans la famille des cordes, je demande les alizés"  réveillant les premiers sur sa liste alphabétique qui prirent place sans souffler mot; vinrent s' y joindre les zéphirs, puis les zéphyrs, avec un i grec, ainsi que la risée dont tout le monde se moqua, puis simoun et sirocco les cousins maghrébins qu'il avait choisis pour le fun. A ce propos, il avait écarté le foehn dont la tyrolienne convenait mal aux symphonies.

Pour les bois dont on fait justement les flutes, il convoqua tour à tour les bourrasques traversières, les rafales et les grains qui veillaient, auxquels il ajouta le Chocolatero bien moins connu mais bien plus exotique. Quant au chinook venu des Rocheuses, il apporterait son accent au cor anglais.

Vint le tour des cuivres dont on fait les cuivres, qu'il composa des aquilons-trompettes, mistrals à coulisses et moussons, et il faillit ajouter blizzard mais se ravisa, le trouvant d'un abord trop glacial pour faire un cuivre.

Restait à fourbir les percussions qu'il forma des vents d'autan, immortalisés par Clark Gable, auxquels il ajouta les cyclones-timbales et les typhons; il allait falloir les tenir ces gaillards ! pourtant il y ajouta la mousson pour sa constance et sa force.

Son orchestre finissait par avoir fière allure, en rangs impeccablement alignés sur l'équateur: il dut tempêter pour calmer une dispute entre la harpe-alizé et un zéphir à qui le rôle de premier violon avait donné la grosse tête, mais après les avoir menacés tous deux d'une corvée d'éolienne, le grand calme revint dans l'orchestre. La distribution des partitions jeta un froid dans le groupe, mais quand Eole eut expliqué que le quattro stagioni n'était rien d'autre que les quatre saisons de Vivaldi, un immense soupir s'éleva et ramena calme, tranquillité, douceur et sérénité et c'est tout en ce beau matin de printemps...
Les répétitions allaient pouvoir commencer, nonobstant la vache de l'alpage et ses flatulences, mais c'est une autre histoire, m'étant promis de placer un nonobstant en fin de compte.

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