mardi 13 octobre 2015

L'effet Mikado

 Publié aux Impromptus Littéraires






Qui aurait pu imaginer qu'en Chine cinq siècles avant J-C, la chute malencontreuse d'une baguette jaune dite “samouraï” et valant dix points allait révolutionner le monde feutré des jouets pour enfants sages et créer un véritable scandale qu'on appellerait l'effet Mikado?
Dès lors, l'Empire Céleste ouvrait grand la porte à tous les excès.
 On vit alors des enfants jouer au boomerang au risque de se faire prendre à leur propre jeu, la baballe-à-son-toutou devint une activité dominicale incontournable; on eut dit que chaque marmot prenait un malin plaisir à faire tomber ses cubes et ses constructions.
La pesanteur s'en prenait aux objets les plus anodins, aux jeux les plus ludiques, les plus innocents.
Que le fait d'une golden tombée perpendiculairement sur le crâne d'un certain Isaac Newton ait été considéré avec gravité par le monde scientifique, passe encore, faire tomber des cailloux, des choux ou à la rigueur des hiboux mais des joujoux?
On créa bien vite un ministère des JTNI, les Jouets Tombants Non Identifiés afin de recenser les chutes, en mesurer les conséquences, chiffrer les effets à long terme sur la planète et prendre les mesures qui imposent et qui s'imposent.
C'est ainsi que - par arrêté ministériel - on mit une ficelle aux bilboquets, des roulettes aux petits vélos, des ventouses au bout des flèches de tir à l'arc, des airbags aux voitures à pédales et des genouillères aux poupées.
 Les filets des paniers de basket furent cousus, on gonfla les ballons de football à l'hélium, on alla même jusqu'à souder entre eux les cubes de Rubik's cube... un vrai casse-tête!
 On interdit l'usage du cheval à bascule du moins dans sa forme d'origine, ainsi que le dépôt de cadeaux de Noël dans les conduits de cheminées !
On supprima les pales des boomerangs, on retira le lest des okiagari-koboshi - culbuto en français - pour remonter leur centre de gravité et au jeu de dames on interdit de superposer deux pions pour représenter une dame par crainte des chutes de pion, réduisant grandement l'intérêt du jeu.
Le cavalier des jeux d'échecs ayant été obligé de mettre pied à terre, il fut pris pour un fou et les joueurs le devinrent aussi !
Alors de nombreuses petites voix commencèrent à s'élever puis des voix plus fortes contre tant de mesures drastiques; ainsi naquit le MJLJ, le Mouvement des Jeunes pour la Libération des Jouets.
Le MJLJ armé de frisbees, de sarbacanes et boulettes en papier campa sous les fenêtres du ministère, on en vint aux menottes puis aux mains jusqu'à décréter l'état d'urgence.
Soixante dix mille personnes dans mille huit cent magasins Toysrus durent subir une formation adaptée.
Déstabilisé, le ministère proposa alors des solutions étonnantes comme créer des salles de jeu en apesanteur - des vols paraboliques en avions Barbie - ou même supprimer l'usage des jouets.
Inévitablement un monde parallèle, sournois se développa, c'était gonflé mais on vendait de vrais ballons de foot sous le manteau, on lançait le boomerang dans les caves ou les sous-sols des parkings, bref les jeux interdits étaient nés...
Un petit malin en fit même une musique, cette Romance Anonyme que le crooner Frank Michael a immortalisée ainsi : “Il y a longtemps, Un film en noir et blanc Dessinait sur l´écran Le chagrin d´une enfant Et ses larmes coulaient Sur son air préféré, Une musique si jolie, Celle des jeux interdits”
Il était grand temps que ça cesse, qu'on fasse taire Frank Michael, que les enfants retrouvent leur insouciance et leur joie de vivre, il fallait une solution, un Zorro, bref un sauveur.
Là où certains attendent la chute, il fallait une contre-chute, un parachute.
Ça allait venir...

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