mercredi 13 juillet 2016

Les souvenirs c'est comme les vieux Malabar

Publié sur le site MilEtUne d'après la citation de Saint-Exupéry







“Dis Bébert, tu f'ras quoi quand tu s'ras grand?”
Bébert me regarde avec ce regard bovin qui caractérise les beusenots, comme si j'arrivais de Mars avec une énigme pour cul-terreux (chez nous on dit pas terrien mais cul-terreux).
Après un certain temps, il me répond: “Quand j'serai grand, j'voudrais être petit”
J'ai failli prendre le même regard bovin mais j'ai toujours préféré celui du père Fouras dans Fort Boyard quand il balance la clé à la flotte devant un bougre de candidat qui sait pas que “Ce légume cultivé, n'est dans le sang pas apprécié”... c'est un navet !
Alors je prends ce regard-là pour lui répondre: “Mais t'es encore petit”.

Bébert accuse le coup mais il est buté, du genre gros beu – on dit beu chez nous et pas boeuf – ce qui va très bien avec son regard.
Sa réponse me surprend :”J'voudrais être encore plus petit”.
“Plus p'tit que t'es maint'nant? Vindiou! C'est guère possible”
“Non... juste plus p'tit que les grands”
“Mais on finit tous par être grands, mon vieux”
Bébert se brusque :”M'appelle pas mon vieux, s'te plait”

Il rumine un instant un morceau de Malabar qu'il a gardé de la veille au fond d'une poche et dit gravement: “Les grands ça grandit avec des problèmes... et les problèmes, j'en veux pas”
J'ai pas grand chose à redire à ça alors j'ajoute sans trop y croire :”Les grands ça a aussi des souvenirs de quand y z'étaient p'tits pour les aider à vivre”
“J'ai pas envie d'avoir des souvenirs” lâche Bébert en même temps que son morceau de Malabar.
“Pourtant, ton morceau de Malabar c'est qu'un souvenir de Malabar et tu viens d'le mâchouiller”
“C'est pas faux”
“Et t'as trouvé ça bon, hein Bébert?”
“Euh... Ouais, enfin ça manquait un peu d'goût”
Je lui souris :”Et ben mon vieux, les souvenirs c'est pareil qu'un morceau de vieux Malabar qu'a moins d'goût mais tu les rumines quand même”

Bébert accuse le coup mais il est buté, du genre gros beu mais ça je l'ai déjà dit.
“Tu m'jures que les souvenirs c'est pas plus dégueu que mes morceaux de vieux Malabar?”
Je prends un ton solennel :”J'te l'jure, Bébert”
Il a pas l'air d'y croire tout à fait :”Tu l'jures sur quoi?”
Pour jurer, j'ai l'choix parmi les têtes de tous ceux qu'j'aime pas :”J'te l'jure sur la tête du père Martenot”
“Le père Martenot? Mais ça fait un bail qu'il est mort!”
On peut oublier, tout peut s'oublier, qui s'enfuit déjà disait j'sais plus qui :”Bon ben disons sa veuve alors?”
“La mère Martenot? Y'a longtemps qu'elle a plus sa tête, alors comment tu peux jurer dessus?”
Ce beusenot commence à me gonfler :”Dans la famille Martenot, je choisis la fille et me fait pas chier, Bébert!”
Bébert devient tout rouge et m'attrape par le colback... il a vraiment l'air d'un gros beu :”Tu peux pas faire ça. J'ai des... souvenirs avec la fille Martenot”

“Oh ça va... je retire ça, Bébert. Tu peux m'lâcher”
Le beusenot me lâche. Faut vraiment qu'je fasse gaffe avec lui.
Et dire qu'il va grandir!
Qu'est-ce que j'ai été beusenot moi aussi d'lui demander ce q'il ferait quand y s'rait grand. Il est temps de conclure :”Tu vois Bébert, les souvenirs c'est précieux et plus tu grandis plus t'en collectionnes”.
Le regard bovin s'illumine :”Et alors?”
Alors... rien, Bébert”


8 commentaires:

  1. Le jour où tu auras compris ça, tu seras un (chewing)homme, mon fils ! disait...j'sais plus qui... ;-)

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    1. C'est à force de mastiquer (en un seul mot) que j'ai compris ça :)

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    2. Oskar Matzerath dans la guerre des boutons, une fable savoureuse

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    3. Bien vu La Licorne, j'vous connais pas mais j'aime beaucoup votre commentaire.

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  2. Vegas, je kiffe cette scénette aux accents de ché pas où. J'ai vu les 2 protagonistes, oui vu...bravo...

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