Publié au Défi du Samedi sur le thème du wigwam
On
avait craqué pour l'offre alléchante d'un tour opérateur consacrée
au Québec et qui vantait l'une des plus belles baies du monde, la
Baie des Chaleurs où l'on pouvait à coup sûr observer les baleines
et les pygargues à tête blanche.
Germaine
voulait surtout faire de l'apnée avec les saumons et moi je voulais
seulement découvrir ce fameux été indien qui avait fait le succès
de Joe Dassin en 75.
Pour
l'heure nous randonnons sous le soleil depuis deux plombes – moi
devant et Germaine vingt mètres derrière avec nos deux sacs à dos
– quand j'aperçois une sorte de grand tipi penché mais tout
droit sorti de la Chevauchée fantastique.
J'avise
un autochtone assis devant l'entrée occupé à fumer une Marlboro,
dommage collatéral des pubs télévisées.
« Hugh ! »
éructe t-il entre deux signaux de fumée.
O.K.
il s'appelle Hugues …
Comme
Germaine vient enfin de me rejoindre je nous présente : « Elle,
Germaine. Moi, Vegas ».
« Vegas
pas bon … pas Micmac » me répond l'autochtone à la suite de
quoi je lui demande d'étayer son jugement un peu hâtif puisqu'on ne
se connaît pas.
« Las
Vegas … Navajos. Nous … Micmacs » dit-il et il ajoute « Pas
mélanger Navajos et Micmacs sinon » et d'un coup de pied il
écrase sa Marlboro comme on enterrerait un calumet de la paix ;
je perçois une pointe d'animosité dans son regard d'aigle.
« Germaine
entrer dans wigwam » ordonne t-il en découvrant l'entrée du
tipi.
Déjà
Germaine feuillette fébrilement le guide de la Baie des Chaleurs à
la recherche d'une sortie de secours ou au mieux d'une formule de
politesse.
Elle
tente de me rassurer en m'apprenant que Micmac signifie Amis ou
Frères.
Mais
il se trouve qu'on est en Septembre – le mois du rut de l'orignal –
et je les sens tous un peu galvanisés là-dedans au spectacle d'une
Germaine échevelée portant nos deux sacs.
J'entre
à mon tour.
C'est
toute une smala qui se présente individuellement – j'ose dire en
file indienne – « Hugh ! ». Donc ils s'appellent
tous Hugues et ont tous les cheveux longs, comme les femmes.
Ça
ne va pas être facile.
« Germaine
porter gros sacs. Bon pour pagayage … charger traîneau … travaux
des champs » déclare celui qui ressemble au chef du clan car
il porte des saumons en pendants d'oreilles.
J'apprendrai
plus tard que le saumon est leur emblème ; leur chef doit les
fumer avant de se les carrer sur l'oreille car ça renifle grave !
Je
m'insurge : « C'est quoi ces micmacs ?» en saisissant
Germaine par le bras.
Une
vieille femme édentée prend Germaine par l'autre bras, lui fourre
deux doigts dans la bouche : »Bonnes dents, Germaine …
toi plus Germaine … toi Saumon Agile ».
Germaine
est servie, elle qui voulait nager avec eux la voilà saumonée.
On lui offre un « cocktail » de bienvenue, on lui enfile des mocassins qui puent l'orignal comme tout le reste.
On lui offre un « cocktail » de bienvenue, on lui enfile des mocassins qui puent l'orignal comme tout le reste.
Armés
de javelots et de frondes les hommes commencent à danser autour
d'elle et entonnent un chant surréaliste moitié Micmac moitié Joe
Dassin « On
ira où tu voudras, Hugh quand tu voudras, Hugh ».
C'est
d'un ridicule alors qu'autour de
nous des marmots turbulents jouent aux cow-boys !
Le
chef aux saumons fumés me tend une paire de bourses en porc-épic,
genre cadeaux empoisonnés remplis d'os de caribou et de verroterie
sans valeur. Si c'est ça le prix pour Germaine alias Saumon Agile,
j'ai pas l'goût comme on dit au Québec.
«Allez
Germaine, on salue et on se tire »
Germaine
est dans un état second : »Appelle moi Saumon Agile,
biquet »
Une
femme plus jeune – elle porte sa poitrine au dessus de son ventre –
me désigne au chef d'un doigt volontaire : »Vegas Navajo …
lui Castor Malingre, maintenant. Chasser castor pour moi ».
Castor
Malingre ? Non mais ça va pas ?
Je
me rapproche de la sortie mais elle est barrée par un type moustachu
qui a l'air et l'accent de Marcel Bèliveau : « Surprise
sur prise ! » hurle t-il en s'esclaffant.
Les
Micmacs s'esclaffent aussi : « Surprise sur prise,
Hugh».
Je
crois que je vais m'évanouir.
Je
trouve la force de protester : »Moi pas Hugues ni Castor
Malingre … moi Vegas … Vegas sur sarthe »
A
l'hôpital Hugues Capet tout le monde est gentil avec moi et les
infirmières m'ont même offert une toque de trappeur en souvenir.
Ah
ils sont forts les types de ce tour opérateur !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire