samedi 27 juin 2020

Ali Baba


Publié au Défi du Samedi sur le thème Droguiste



Au village il y avait une famille de droguistes qui tenait une sorte de caverne d'Ali Baba même si le père s'appelait Ali Ben Youssef.
C'était le seul endroit que je connaisse où vous entriez pour acheter une serpillière et d'où vous ressortiez avec des tringles à rideaux et des tapettes à souris !
Dans la famille Ben Youssef j'ai souvent pioché la mère, une femme acariâtre attachée à son tiroir-caisse comme un kebbab à sa broche.
Je n'ai jamais compris comment on pouvait avoir autant de poils sous les bras quand on vend des lames de rasoir par paquets de cent !
Dans la famille Ben Youssef j'aurais préféré – façon de parler – piocher la fille Aïcha mais le père Ali veillait comme un cerbère sur sa marmaille et se méfiait des piocheurs ...
Le benjamin qui se prénommait pourtant Djamel tenait la partie mercerie et vendait des boutons, lui qui en exposait de nombreux échantillons sur sa figure.

J'y allais surtout chercher des asticots pour la pêche et des wassingues pour la mère et quand je réclamais une ristourne, Ali hurlait « Des clous ! » même s'il ne m'en donnât jamais la moindre poignée …
La plupart des gens boudaient la caverne, préférant les grandes enseignes où « il y a tout ce qu'il faut » et où « les envies prennent vie ».
Et puis le jour vint – il fallait bien que ça arrive – où la vieille Simca 1000 du maire explosa sa tête de delco au milieu de la grand'rue.
On chercha partout dans le canton de quoi faire redémarrer l'antique carrosse de notre édile … mais que dalle, nib comme ils disent au bled !
Persuasif, je réussis à traîner le premier adjoint – celui qui porte trois stylos à la poche de son costume – jusqu'à la droguerie.
Le brave Ali Baba ayant fouillé une heure dans son souk en extirpa du fin fond une tête d'allumeur des années 60 de chez Ducellier qu'il eut tôt fait d'adapter à grands coups de lime et de tournevis.
La Simca repartit sur trois pattes sous les Hourra des villageois et quelques pétarades qui laissèrent sur la chaussée un bon morceau de pot d'échappement rouillé mais Ali venait de gagner ses lettres de noblesse.

Le jeune garagiste du village – féru d'électronique, d'ABS et de GPS et ignorant tout des tronches de Delco – rentra chez lui en haussant les épaules.
Madame Ben Youssef empocha les 18,71 euros avec un rictus non feint tandis qu'Aïcha m'envoyait le plus beau sourire du monde.




3 commentaires:

  1. excellent !!! je me suis bien bidonné comme si je connaissait Ali

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  2. Excellent petit texte et bravo à Ali!
    Bonne journée à toi,
    Mo

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  3. comme toujours jai adoré ton humour
    mais une question me taraude ,que pense Germaine de ton envie de piocher Aicha. ?😃

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