lundi 4 avril 2011

Des yeux dans le potache

 
  Souvenir de potache (promo 68)

Le deuxième en haut à droite, c'est bibi
 


J'ai jamais été très doué pour les souvenirs ni pour la drague non plus. De toute façon c'était la seule fille du lycée technique, alors...

Je sais, ça fait rire mais j'étais fils de Puteaux et Charlotte était fille de Garches, enfin je crois que c'est ce qu'on disait d'elle. J'ai jamais su pourquoi elle venait de si loin chaque matin au bahut.
L'immense carton à dessin et les bleus de travail de l'atelier mécanique, c'était pas fait pour elle.
L'atelier de chaudronnerie à l'odeur âcre et la salle des génératrices prêtes à s'emballer à la moindre erreur de branchement, c'était pas digne d'elle.
Pourtant elle n'était jamais aussi craquante que les mains noircies de limaille et les joues souillées de graisse rose.

Le vendredi on faisait du sport, ou bien c'était peut-être le jeudi. On nous emmenait courir au bois de Boulogne, c'était pratique. Y avait que le pont de Puteaux à traverser pour gagner le vestiaire du bord de Seine. Je me souviens que ça empestait l'embrocation et la sueur des mecs qui étaient venus avant nous. Charlotte elle venait jamais au vestiaire.

Ensuite on allait courir un cinq mille. Sur le parcours on voyait plein de filles dans des voitures mais on nous laissait pas y toucher, même si ça s'est toujours appelé Bagatelle. Parait que c'est plus des filles maintenant.
J'essayais de rattraper Charlotte mais elle courait vite, d'ailleurs je pense qu'elle y court toujours.
Et puis il y a eu le bac au moment des barricades de 68 et ça je m'en souviens car c'était un sacré bordel !
Alors j'ai eu droit de repasser l'année suivante mais c'était plus pareil.
Charlotte était partie et je courais moins vite... je crois que j'étais devenu vieux.

J'étais vieux et comme d'autres générations de vieux avant moi j'allais pousser la grande porte du marché du travail au risque d'oublier à tout jamais ce qui était sans doute les meilleures années de ma jeune vie, celles des cartables trop remplis qui vous filent la scoliose, celles des classes de neige, celles d'un vélo trop lourd qui me portait sous le poncho ruisselant des froides pluies printanières, celles de la règle à coulisse et du pied à calcul (ou bien c'était le contraire), celle du transistor au germanium, celle de ...

Promis, un jour je mettrai de l'ordre dans ma tête et je vous raconterai tout ça 
 
Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème: Souvenir de potache

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