samedi 1 septembre 2012

Anastazia

  Publié aux Défis Du Samedi d'après cette image
 


Depuis le temps qu'oncle Hubert nous menaçait de nous montrer de quel bois il se chauffait, cette fois on était bel et bien au pied du mur! Un mur de bois haut d'au moins deux mètres et qu'il était question de charrier jusqu'à la grange quand il l'aurait débité et refendu.
L'oncle avait sorti non sans peine la vieille scie circulaire qui dormait sous les toiles d'araignée, tout fier d'exhiber ses muscles et de fanfaronner devant sa polonaise.
J'ai promis de raconter comment il l'avait dénichée - sa polonaise, pas la scie circulaire - et je le fais ici avant qu'on me le reproche... si, si, je sens bien que vous me l'auriez reproché.
 
En tant que voyageur de commerce 1ère catégorie spécialisé dans la vente d'alcools et spiritueux, l'oncle Hubert sillonnait depuis vingt ans nos belles régions de France pour y exercer ses talents - à divers degrés comme il se plaisait à dire - lorsqu'un jour il monta à Paris pour affaire.
Le futur client tenait le 'Polak assoiffé' rue Oberkampf dans le onzième, une sorte de bar-guinguette dont l'arrière salle accueillait des groupes folkloriques d'Europe Centrale.
La studieuse dégustation de vodka touchait à sa fin lorsqu'un petit groupe monta sur scène et dès la première mazurka, l'oncle reçut en plein coeur une de ces flèches qui vous clouent sur place, vous mettent le palpitant en capilotade et la glotte aux abonnés absents!   
Anastazia avait cette opulence des femmes slaves qui savent profiter des bonnes choses, le mollet humide et l'oeil galbé à moins que ce ne soit le contraire tant le récit de l'oncle fut brouillon.
Elle avait aussi un fort accent qui disparaissait parait-il après quelques rasades d'eau de vie, ce qui fait qu'en une soirée chacun apprit tout de l'autre.
Elle portait avec grâce le costume traditionnel - bustier, jupe et tablier fleuri - et aussi un nom en ski. L'oncle crut comprendre que les noms polonais finissent souvent en ski à cause d'un rigoureux climat hivernal...

J'ai connu plus tard un Leonski qu'on appelait Leon même en hiver.
Ainsi donc celle qui s'appelait Paul en ski - comme le réalisateur - allait devenir très vite Madame Chabrolle! Marrant, non?
Pour étaler sa science - ce que faisait l'oncle en très fines couches - n'avait-il pas le jour du mariage fait allusion à cette Marie Sklodowska qui était finalement devenue Marie Curie! Alors pourquoi pas Anastazia Chabrolle? 
Après quelques canons il aimait aussi à dire que si Chopin avait composé des polonaises, un amateur de chopine pouvait bien en épouser une. 
Toujours est-il qu'elle débarqua dans la famille sans que personne y trouve à redire.
Entre nous, on l'appela aussitôt la polo-niaise à cause de tee shirts trop petits pour elle mais surtout pour cet air gnangnan qu'elle affichait en permanence.
Elle avait dû dans sa jeunesse trop abuser du bortsch, nom imprononçable et soupe aux chous traditionnelle qu'on imaginait poussée de force dans le biberon des bébés.

Pour l'heure elle témoignait son admiration et son amour à celui qui s'échinait sur la scie circulaire, par des 'Kocham cie'  tonitruants. 
Ah oui, au fait! Nous en étions au tas de bois.
Finalement ils l'ont charrié sans moi; j'avais bien assez à faire à charrier Anastazia.
 

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