samedi 10 août 2013

Le critérium des Vieux Clous

Publié aux Défis Du Samedi
 
 
 
 


Trois jours avant le Critérium des Vieux Clous, l'oncle Hubert ne dormait plus au point que sa polonaise lui imposait de faire chambre à part.
Non pas à cause de l'enjeu de l'épreuve mais parce qu'il abusait de cette wodka frelatée dont Anastazia avait le secret et qui le mettait dans un état second pour ne pas dire troisième!
Trois jours avant, les biclous sortaient religieusement du grenier, enveloppés de ces toiles d'araignées tissées tout l'hiver et qui font le prix des vieilles choses et couverts d'une copieuse couche de rouille aux ravages plus ou moins irréparables.
Mais pour leur redonner un semblant de jeunesse l'oncle avait ses recettes infaillibles, des secrets hérités de la Baltique et d'Anastazia: un verre d'huile pour le dérailleur, un verre de wodka, un verre de graisse rouge pour la chaîne, un petit verre de wodka, un demi-verre d'huile pour le pédalier, un grand verre de wodka...
Pour tenter d'assouplir le vieux cuir des selles il les frottait avec un demi-verre de wodka et s'enfilait le reste sans sourciller.
A ceux qui s'inquiétaient de le voir s'acharner sur des roues plus voilées qu'une fatma il répondait entre deux verres qu'il en connaissait un rayon!
 
Quand bien même il dut finir le troisième vélo - cramponné au guidon - et la dernière bouteille de Zubrowka désespérément vide, il mettait un point d'honneur à bichonner nos montures, persuadé que l'un d'entre nous remporterait l'épreuve et le premier prix tant convoité: un caddie garni du Mammouth de Bouze-lès-Beaune.
 
La bataille était rude pour ne pas hériter du dernier vélo dont les patins de freins copieusement huilés, la selle branlante, les garde-boue tordus et le guidon de guingois nous garantissaient un séjour prolongé au poste de secours!
Tout au plus le meilleur vélo préparé dans les toutes premières effluves d'alcool tenterait de porter haut les couleurs de la famille puisqu'il avait distingué en son temps un lointain ancêtre sacré roi de la pédale et surnommé 'Gros braquet' comme l'attestait un médaillon imitation bronze planté pour l'éternité sur la cheminée du salon.
 
Sa mission accomplie, l'oncle Hubert s'octroyait une sieste de soixante douze heures entrecoupée de remontants - bière au jus de framboise et liqueur de miel - de telle manière qu'en dix ans de compétition on ne le vit jamais sur la ligne d'arrivée.
D'un autre côté, nos piètres résultats se passaient amplement de sa présence et nous évitâmes ainsi les quolibets de celui qui mettait en jeu chaque année son honneur et son foie au service du plus noble des sports...
De toutes ces merveilleuses années, chacun retiendra une chose à jamais gravée dans nos mémoires: si notre cher oncle était le maillon faible dans cette chaîne que nous formions mes cousins et moi, l'Oscar de la meilleure descente lui revenait incontestablement.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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