samedi 1 avril 2017

Ostrakon

Publié aux Défis Du Samedi sur le thème de l'ostracisme




Ostrakon: Tesson de céramique sur lequel était inscrit le nom du banni


“Dix ans! Les pourris! Ils m'en ont mis pour dix ans... qu'est-ce que je vais bien pouvoir foutre pendant dix ans?”
La sentence de bannissement prononcée à l'encontre de Karolos par l'Ecclésia – l'assemblée des citoyens d'Athènes – était sans appel.
D'une voix blanche il interrogea sa compagne Penny: “Hein? Qu'est-ce qu'on va foutre maintenant?”
Penny tenta de l'apaiser :”On pourrait peut-être organiser des courses de chars... pourquoi pas les vingt quatres heures d'Athènes? Le vainqueur recevrait une exonération fisca...”
Karolos l'interrompit d'un haussement d'épaules autant que lui permettait sa toge sur mesures :”Ca marchera jamais! Et pis si t'as rien d'autre à proposer que des cadeaux fiscaux tu peux retourner à ta quenouille et tes pelotes”
Penny se permit d'insister :”Pense à nos enfants, à notre train de vie, à notre villa de Kolonaki, à tous nos esclaves, nos métèques... il faut que tu trouves un vrai travail, Karolos”
Cette dernière remarque eut le don de l'énerver encore plus :”Dangereux. Ils me considèrent comme dangereux. Non mais je rêve! Si on peut plus accepter les cadeaux des copains ni planquer des drachmes chez Attica Bank, où va t-on?”
Consciente de ne pas avoir été à la hauteur Penny fit une dernière tentative: “Je pourrais me lancer dans la fabrication de pots à rillettes en céramique ou des plats à macédoine, ou bien...”
“Surtout ne fais rien, Penny et ne me parle plus de la Macédoine! Pas un qui a mis son bulletin dans l'urne pour moi” explosa Karolos “c'est un complot, une machination. Qu'ils aillent se faire voir chez les nôtres avec leur soi-disant Démocratie”

Les dix stratèges n'avaient pas fait dans la dentelle, ils avaient fini par en avoir ras l'acropole de ces polémiques qui brouillaient l'écoute (contrepèterie grecque).
Les scribes grattaient du papyrus sans discontinuer, le Journal de l'Après-Midi et le Journal du Lendemain s'arrachaient comme des petites pita et l'Aphrodite-Kronou-Heliou (*) – le VSD local – était en rupture de stock permanente.

“C'est temporaire mon choupinou” minauda Penny “tout ostracisme a une fin et d'ici-là ils auront tout oublié”.
Choupinou la fusilla du regard :”Qu'est-ce que tu crois qu'y vont faire tous ces clowns pendant MES deux quinquina(*): Emmanuel Platon, Zeus Ammon et même Alexandre le Petit? Encore heureux qu'il n'y ait pas de femmes”
“Alexandre le Petit?” pleurnicha t-elle “tout le monde dit qu'il a raccroché”.
Karolos explosa :”Raccroché? Tu sais combien de temps il lui faudrait pour venir du Cap Nègre par Hellenic Seaways? Trois jours en ramant bien... et il rame bien le Petit!”
Penny soupira et s'éteignit comme les athéniennes s'éteignent selon une tradition ancestrale.
Alors frappé par quelque inspiration divine Karolos se redressa subitement :”Il faut enrayer l'hémorragie! Je vais racheter ce “Papia alysodethei”(*) qui me bave sur les rouleaux depuis trop longtemps, et la Revue des deux Grèces aussi!”
Penny allait applaudir quand elle se ravisa :”Euh... choupinou... on va les racheter avec quoi?”
Karolos réfléchissait vite :”Va chez Cronos avec mes deux cadrans solaires en titane, il m'en donnera un bon prix parce que je le vaux bien”
L'ostracisé eut un sourire revanchard, sa devise n'était-elle pas “En touto nika” (en tout... nique) ?


(*) Aphrodite-Kronou-Heliou: Vendredi-Samedi-Dimanche
(*) quinquina: apéritif très très amer qui se conserve pendant cinq ans.
(*) Papia alysodethei: Journal appelé Volatile muselé en français.

4 commentaires:

  1. merci à Géhem de m'avoir fait passer par ici. J'ai appris plein de trucs et j'ai bien rigolé

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  2. C'est drôle ça me fait penser à des trucs mais j'arrive pas à savoir à quoi ! ; )

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