lundi 11 mars 2019

Pinsonneux

Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème renouvelé des Plaisirs minuscules



On venait de fusionner les équipes de Vancouver et de Paris et j'avais été affecté au 318ème projet après l'abandon des tests sur le parfum d'un shampoing papaye et mangue.
Cette fois-ci je m'attelais au LA 440 Hertz qu'on avait décelé dans le chant d'un pinson qui s'était invité en plein hiver sur le balcon enneigé du grand patron …
Je devais cette mutation au Canada à mes brillants résultats sur la voie somatosensorielle de la caresse, étude qui m'avait – à en croire les jaloux – trop rapproché de mes sujets d'étude.
Germaine restée en France avec les enfants avait finalement lancé la procédure de divorce, une décision qui perturbait une région particulière de mon thalamus que j'avais explorée autrefois et que je connaissais bien (la région, pas Germaine).
J'en étais là de mes sombres réflexions devant cette grotesque cage à oiseaux où s'agitaient quelques pinsons des Canaries quand mon supérieur m'annonça la grande nouvelle : j'étais promu au grade de « Pinsonneux » en chef !
A cet instant j'étais bien loin d'être aussi gai que ces oiseaux chanteurs, ces pinsonnes d'un gris fauve dont j'allais partager la vie pour une durée indéterminée …
J'avais insisté pour tester des femelles, persuadé que leur chant mélodieux stimulerait l'ACTH – l'adrenal cortico-trophic hormone – objet de toutes les attentions des trois cent personnes qui bossaient comme moi sur les plaisirs minuscules.
Si les pinsonnes chantèrent, je dus déchanter ; l'assistante trompeusement acariâtre qu'on m'avait attribuée se révéla toute autre dans la machine à IRM et ses orgasmes à répétition faussaient tant les résultats des mesures que je dus la congédier, d'autant plus que mes pinsonnes baroques traumatisées jouaient un LA à 415 Hertz et non pas 440 !
Je portai alors mon choix sur un cobaye autochtone, un bucheron musclé et barbu façon ZZ Top dont j'envoyai immédiatement la photo à Germaine dans l'espoir de la convaincre de me revenir.
Je ne reçus qu'un SMS laconique en retour, un « Je te souhaite bien du plaisir » qui ruina mes derniers espoirs de sauver notre couple.
Je me noyai dans le travail, aidé de Aaron mon barbu musclé soumis aux gazouillis de mes pinsonnes et à la redoutable tomographie par émission de positrons, le dernier cri de la recherche scientifique.


Un matin, alors que je traversais la cafétéria du Centre de Recherche « Au Bon Plaisir » je surpris une jolie blonde à fredonner devant une chocolatine et un grand bol de café fumant et odorant ...
Je ressentis alors une sensation de chaleur intense au niveau du circuit mésocorticolimbique que je mis sur le compte de sa blondeur.
Pourtant, n'était-ce pas simplement cela que je cherchais éperdument depuis cinq ans ?
Non, ça ne pouvait pas être ça, ça ne devait pas être ça.
A l'autre bout de la cafétéria, Aaron me souriait, une jolie pinsonne bleue posée sur son deltoïde saillant … à mon poignet le détecteur de dopamine s'emballa.

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