dimanche 7 juin 2015

Dites-moi stop!

Publié sur MilEtUne d'après l'illustration






Alangui sur la fine dentelle blanche, on eut dit un mamelon doré transpirant de sucre glace.
Comme j'y posais vivement mes lèvres gourmandes, un torrent de crème tiède m'inonda sans crier gare... service rapide avais-je pu déchiffrer sur la carte, mais quand même!
J'avais dû ressentir ça il y a bien longtemps, si longtemps qu'au tréfonds de ma mémoire ne revenait ni la chaleur du sein maternel ni le moindre souvenir du frisson qui anime le nourrisson au sublime instant de la tétée.
Comment de si fabuleux moments de plénitude peuvent-ils s'effacer à jamais de nos mémoires toutes neuves?
J'en étais là de mes réflexions lactaires quand la voix répéta dans un mauvais accent:»Vous me direz stop, Monsieur».
Comment disait-on stop en flamand? Halt?
La serveuse me dévisageait bizarrement, peu habituée à voir le client lécher son toffee avant le rituel incontournable de la crème anglaise.
Engoncée dans une stricte carapace - jupe noire, caraco noir et tablier blanc de la même dentelle chère à l'image du Carpe Diem - j'avais du mal à lui donner un âge.
Situé sur Wijngaardstraat, l'établissement au nom prometteur m'avait été chaleureusement recommandé car ici, les cupcakes et les waffles étaient à tomber. Pour l'heure le généreux caraco de la demoiselle sans âge était à mourir étouffé sur place mais je réussis à bredouiller Stop pour éviter de ruiner définitivement un superbe gilet de flanelle et le pantalon du même tissu, un de ces pantalons cintrés qui laissent transparaître les sentiments...

Carpe diem, profite de la vie... j'aurais tant aimé disserter avec elle sur le sujet mais la barrière de la langue est un mur infranchissable pour un français monolingue, et encore plus avec un gilet et un pantalon dégoulinants de crème!
De toute manière je n'avais aucun dictionnaire latin-flamand sur moi.
Aux gesticulations qu'elle fit - ponctuées d'explications où il était question d'eau chaude - je compris qu'elle me proposait d'aller rincer le désastre et je la suivis gauchement jusqu'à une arrière-cuisine.
Jamais aucune femme sans âge au généreux caraco noir ne s'était si joliment agenouillée devant moi pour fourbir mon pantalon... ainsi c'était donc ça l'accueil et la bienveillance légendaires de la Venise du Nord.
A hauteur de ceinture, la commedia dell'arte s'invitait dans un salon de thé brugeois et voilà qu'accroupie sans aucune pudeur, ma vénitienne du Nord, Colombine astiquait Pantalon!

Il est dans la vie d'étranges circonstances, des ressorts inimaginables qui vont au-delà de la conscience professionnelle et à cet instant précis j'en étais le plus heureux bénéficiaire.
Lola - elle prit à peine le temps de se présenter - serveuse de métier et gourmande par plaisir ne boudait pas le sien, n'en perdit pas une goutte et n'eut de cesse de mettre un joyeux désordre dans mon costume, après quoi nous primes rendez-vous pour le soir-même sur Philipstockstraat, un bar à tapas au nom encore plus prometteur: Les Quatre Mains.
J'avais largement le temps d'aller changer de costume et le sourire que m'offrit Lola quand je sortis m'ouvrait bien des perspectives...
Aux Quatre Mains je cherchai en vain un généreux caraco sans âge; Lola débordait outrageusement d'une seconde peau léopard... ou cougar, la différence me parut mince - je n'étais pas doué en matière de taches - et sans importance. Plus rien n'avait d'importance.


1 commentaire:

  1. Et dire que Rodenbach (pas le brasseur, l'écrivain) l'appelle "Bruges la morte". Il ne devait pas fréquenter les mêmes bars que toi !

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