lundi 19 mars 2018

Aphrodite


Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème
: Ça m'a quand même coûté un bras





Si je vous dis que je suis née quelques centaines d'années avant JC sur l'île de Milos – un îlot de la mer Egée sur l'autoroute empruntée par les croisières de rêve, Poros, Santorin, Mykonos et j'en passe – vous allez me répondre ce que j'entends depuis des décennies... trop vue, trop connue, trop banalisée !
Mes parents m'avaient "baptisée" – façon de parler puisqu'on baptisait peu avant JC – du charmant nom d'Aphrodite vingt ans avant qu'un certain Alexandre, obscur sculpteur à Antioche ne m'immortalise à jamais (pléonasme) lors du concours de Miss Venus de l'an -100.
A l'époque on accourait de partout pour se faire sculpter le portrait : de Samothrace, de Médicis, de Cnide, d'Arles et même de Williams... une Vénus noire à gros bras !
Quand je pense qu'on avait tout juste vingt ans et qu'on nous classait déjà dans les antiquités, vous imaginez à quoi ressemblaient les vieilles peaux du jury, les Geneviève de Mycènes et autres Laeticia de Syracuse, bref.
J'avais vingt ans et toute cette mise en scène me laissait de marbre; ce qui m'intéressait c'était de gagner le concours et surtout la récompense : cent pièces d'or à dépenser en babioles dans les échoppes Hermès, Samsonite et en tenues de sport à Olympie avec en bonus mon image à la Une du Papyrus Libéré.
A côté de moi, celle de Samothrace se sentait déjà pousser des ailes mais j'allais lui montrer ce que valait une fille de Milos, quand...

Mais qu'est-ce qui lui a pris à cet obscur sculpteur d'Antioche de me coller des bras amovibles pour soi-disant faciliter le transport de ma statue ?
Le résultat, tout le monde le connaît puisque des millions de pékins se pressent pour voir une Milo de deux mètres amputée des deux bras...
Qui se soucie de cette inimitable posture hélicoïdale qui m'avait coûté trois jours de lumbago ? du glissement du drapé sur mes hanches, un himation en lin tissé spécialement chez Amazone ?
C'est plus fort que de jouer du bouzouki, l'humanité entière (autre pléonasme) fait des milliers de kilomètres pour venir voir la statue d'une handicapée !!
Vous qui savez, vous les archéologues visionnaires, dites leur que le modèle était canon, que je portais un bracelet de métal de chez Dolcius et Gabbanum et surtout que j'avais des bras et donc du chocolat.
Quand je pense que je me suis mise à moitié à poil pour finir comme ça, il aurait plus manqué que l'obscur sculpteur soit un harceleur ou un prédateur sexuel...
M'aurait-on plus adulée avec des bras, jouant de la guitare, portant des haltères ou tricotant de la layette ?



Je suis une immigrée et en tant que telle j'exige que ma statue revienne sur nos terres, là où la jeune Aphrodite posa un jour avec ses bras au concours de Miss Venus de l'an -100, na !














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