samedi 24 mars 2018

Funambule


Publié aux Défis Du Samedi sur le thème instable et branlant des funambules



Quand j'ai rencontré Germaine, elle jouait les casse-cous sur le fil à linge de ses vieux, enjambant les culottes de mamie et les collants de flanelle du pépé.
Moi je faisais déjà de la mobylette sur mon vélo avec un bout de carton et deux pinces à linge en guise de moteur.
On avait treize ans chacun et je crois bien que c'est l'amour des pinces à linge qui nous avait réunis... et les gamelles aussi.
On en a pris des gadins chacun de son côté, elle dans sa buanderie à un mètre du sol et moi dans la descente du garage qui jouxtait leur maison.
Alors tels deux combattants de retour du front on a commencé à comparer nos blessures, nos genoux couronnés peints au mercurochrome, on a confronté notre résistance à la douleur, aux machins qui piquent et au sparadrap indécollable... et puis à force de se toucher les genoux on est passés à autre chose, on est passés du genre thérapeutique au genre concupiscent mais en un seul mot...

Dans le salon des vieux de Germaine il y avait un trésor inestimable : la première chaîne de l'ORTF et sa Piste aux Etoiles chaque mercredi soir, alors on se délectait des trapézistes volants, des clowns Alex et Francini et des funambules, collés-serrés sur le canapé à s'empiffrer des carambars.
A force de se faire des niches et des chatouilles ça dégénérait souvent sous le plaid mais on faisait gaffe à cause de la mamie qui nous espionnait derrière ses lorgnons en rafistolant sa pauvre corde à linge.
Si elle avait su qu'on avait déjà fait la chose... c'est à dire qu'on s'était embrassés avec la langue sans respirer pendant au moins cinq secondes !

Ainsi j'avais connu le grand vertige, ma piste aux étoiles à moi, ma voie lactée, cette sensation à la fois exaltante et terrifiante de tomber dans un abîme insondable tandis que Germaine – visiblement rompue à l'exercice – maîtrisait l'apnée en toute décontraction.
J'avais affaire à une pro de l'équilibre, à une funambule de la râpeuse qui prenait son pied en me laissant pantelant après l'exercice.
Germaine montrait des dispositions précoces à en juger par les anecdotes que me racontait Bébert, un voisin de quatorze ans qui se l'était "faite" l'année d'avant.

Il faut dire que pour une future funambule, elle avait déjà le mollet dur et la fesse ferme, autant qu'elle me laissait en juger.
Combien de fois remit-elle dans le droit chemin une main exploratrice par trop aventureuse qui s'évertuait à chercher l'origine du monde...
Faut dire que j'ai toujours été un manuel mais à cet âge on est plus système D que point G.
Elle ne voulait pas d'enfant avant ses seize ans ce qui m'arrangeait bien car j'avais encore de l'occupation à perfectionner mon moteur de mobylette à pinces à linges.
Comme j'étais prêt d'aboutir dans mon projet d'augmentation de cylindrée, Germaine choisit ce tournant crucial dans ma carrière pour tomber amoureuse... de Zavatta ! Elle comptait même le suivre en Russie où il partait en tournée avec le Cirque français et sa troupe de voltigeurs.

La mamie à la corde à linge ayant haussé les épaules, j'en conclut qu'il ne s'agissait que d'une passade comme doivent souvent en avoir les filles et qu'il me suffirait simplement d'être patient.
Quant à la suite, certains la connaissent... les autres devront patienter



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