dimanche 4 mars 2018

Odon et Dulcinée

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration



On a rapidement flairé l'arnaque.
Malgré un fort accent des Carpathes le type s'appelait Quichotte, Odon Quichotte, militaire retraité du 11ème régiment de cavalerie légère espagnole et propriétaire d'une curiosité inestimable bien qu'estimée.

Son soi-disant moulin médiéval créchait au fin fond de la sierra Morena, un lieu isolé et sauvage où le loup ibérique croise le sanglier et l'aigle royal sans broncher... d'après un dépliant indépliable et en 5 langues offert par l'office de tourisme de Séville, ville rendue célèbre par son coiffeur et ses grands airs de calomnie.
Ce qui clochait dans l'annonce c'est qu'on n'y parlait ni de wifi ni d'héliport à proximité, alors du médiéval sans wifi ça sent l'arnaque à plein nez.
A propos de plein nez, le canasson nommé Rossinante et qui nous traînait en charrette dans cette foutue sierra Morena – repaire de bandits de grands chemins – avait une fâcheuse manie à péter tous les trois pas pour marquer le tempo et nos odorats délicats.
Finalement on arriva dans un subtil mélange de flatulences, de cistes et de myrtes, dans ce que le vieux Quichotte appelait son paradis et qu'il se faisait fort de nous céder à contre coeur pour la modique somme de 8 300 000 pesetas.

On a bien cru qu'il allait calancher quand on lui a expliqué que même l'Espagne était passée à l'euro depuis 2002 et que son bien ne valait
que 50 000 euros !
A ses cris, une grosse bonne femme était sortie de la masure en levant les bras au ciel comme deux jambons de montagne avant de nous entraîner vers "the moulin".

Dulcinée – il paraitrait que ça veut dire douce – avait elle aussi ce fort accent des Carpathes qui puait l'arnaque, doublé d'une bouche édentée d'où sortait un flot d'éloges et de qualificatifs dithyrambiques (les chasseurs locaux disent dix tirs en chèvre) pour décrire "the moulin".
D'après un historien dénommé Miguel de Cervantes ce moulin là avait été attaqué à la lance puis occupé par des urluberlus, un hidalgo au sang chaud et son larbin également Sancho avant d'être vandalisé par des pèlerins qui pèlerinaient sur les traces de saint Ignace, un saint au petit petit nom charmant qui lui venait tout droit de ses parents... bref, Dulcinée nous montra une lithographie unique signée d'un obscur barbouilleur du nom de Picassa ou Picasso qui authentifiait cet épisode barbare... je me méfie toujours des lithographies uniques, ça sent l'arnaque.
Derrière nous, Odon Quichotte ruminait son histoire de 50 000 euros... en tripotant une pétoire rouillée : "Puta madre! Cincuenta mil euros para un molino!"

On s'est assis autour d'une dame jeanne de pálinka, un machin aux accents roumains plutôt qu'espagnols et qui devait titrer 70° à l'ombre... un breuvage qui sentait la prune, la poire et beaucoup l'arnaque.
A mi-dame jeanne, maître Quichotte proposa 80 000 euros plus la lithographie unique du barbouilleur, sauf que si on faisait affaire, ça serait le premier truc qu'on foutrait à la poubelle !
En apprenant ça, Dulcinée s'était mise à chialer, la tête secouée sur ses deux jambons de montagne.
"C'est l'emoción" déclara Quichotte "ne faites pas attención".
Je me suis toujours méfié des pleurnicheries et des mots en ción, ça sent l'arnaque.
Il était trop tard pour redescendre vers la civilisación alors on a trucidé la dame jeanne et on s'est fait un nid dans la paille de la grange en promettant de conclure le lendemain.
Au dehors, une meute de lynx devait dépecer un sanglier ou un cerf vidé, en tout cas ça grognait méchamment ou alors c'était encore la douce Dulcinée...

On n'a pas dormi, entre les fantômes des pèlerins de passage sur les traces de saint Ignace au petit petit nom charmant qui lui venait tout droit de ses vieux et Odon Quichotte qui fourbissait sa pétoire avec des grands "Puta madre!"
Alors avant que le soleil ne se lève sur la sierra Morena et chasse les démons de la nuit – terre isolée et sauvage où même le wifi n'osait pénétrer – on sella Rossinante et dès ses premiers pets on prit la route fissa fissa, tournant le dos aux Quichotte et à leurs arnaques...

La prospección immobilière, c'est bien fini ! Aux prochaines vacances on se paiera la revue Féérie du Moulin Rouge, au moins il y a du jambon de qualité et puis ça parle français... enfin, je crois.

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