jeudi 25 octobre 2012

Wood Island sunset

  Publié sur Mil Et Une
 
 
Malgré moi, je serrais mon livre de poèmes comme s'il allait s'échapper et disparaître dans les eaux sombres.
Je trouvais l'air étrangement doux pour la saison et je goûtais l'air du large à pleins poumons.
“Devriez rentrer, Miss... commence à faire frais!”
On ne m'avait pas souvent appelée Miss, surtout venant d'un vieil homme qui avait dû être gardien du phare à l'époque et qui ne me lâchait pas d'une semelle.
J'avais été suffisamment persuasive pour qu'il accepte de me laisser monter malgré les taillis et les ronces qui gênaient l'accès au vieil édifice.
 

J'en serais quitte pour raccommoder mes leggins!
Cette réflexion me fit rire, un de ces petits éclats cristallins comme j'en poussais autrefois et qui Le faisaient rire lui aussi.
Je me sentais toute à la fois guillerette et grave.
Encore éblouie des derniers rayons du soleil je ne vis d'abord rien qu'un noir total puis les murs lambrissés apparurent tels qu'ils étaient dans mon souvenir.
Je levai machinalement la tête vers les grosses lampes du phare, cherchai les loupes et les réflecteurs chromés mais le chapiteau était vide, plutôt délabré et tissé de monstrueuses toiles d'araignées semblables à des cheveux de sorcière.
On avait démonté le sublime kaléidoscope qui avait fugitivement embrasé nos étreintes et hanté tant de fois mes nuits blanches.
Au mur, la banquette de bois était toujours là, où je m'étais offerte à Lui sans retenue.
Je m'y assis comme si tant d'années après, le contact rugueux du bat-flanc pouvait réveiller la moindre parcelle de ce désir torride, cette excitation et la fougue qui Nous animait.
Il aurait pu entrer, là maintenant derrière moi que je n'en aurais été nullement surprise; mais ce n'était que le vieil homme qui balançait sur ses jambes et semblait s'impatienter.
“Faut partir, Miss” grogna t il en secouant d'un geste dérisoire un trousseau de clés qui ne fermaient plus rien...
Je me plus à imaginer que parmi tous les curieux qui osaient braver l'escalier branlant pour monter ici, Il était peut-être revenu comme moi et s'était assis à ma place sur Notre couche pour revivre cet instant magique.
Le livre de poèmes était tombé sur la banquette et je ne fis rien pour le ramasser.
Dehors, un cahot d'embruns et de déferlantes battait les rochers dans un grondement sourd.
“Il est temps” dit le vieux d'une voix forte pour bien se faire entendre.
Qu'était-Il devenu?
Il aurait pu me retenir mais Il n'avait pas osé tout simplement.
Je me retournai une dernière fois et comme un éclair d'orage zébrait le ciel, je crus voir briller pour moi la lumière de Wood Island.
Dans la voiture, Hugo s'était endormi à force d'attendre; je caressai doucement ses boucles blondes et me mis au volant.

 

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