Vous
vous souvenez certainement que mon oncle Hubert avait ramené sa
polonaise Anastazia par le train - mon père disait par l'arrière-train
et sans crier gare - mais il avait surtout rapporté un
talizman, une maskotka pour dire comme elle, un gri-gri pour dire
comme nous.
L'oncle
employait souvent l'expression 'gris
comme un polonais' et j'avais deviné que le niveau de gris s'exprime
en degrés d'alcool mais je ne pouvais imaginer ce que vaut un gri-gri à
part un très fort mal de tête.
Toujours
est-il que le gri-gri ne quittait
jamais sa poche, qu'il porte un jeans, un survet ou son costume du
dimanche de même que sa main ne quittait pas la poche et tripotait le
machin à longueur de journée.
Je dis machin car il n'avait aucune forme
définissable ni aucune couleur répertoriée tant il avait dû être malaxé.
L'oncle
Hubert prétendait le tenir du petit
fils du grand-père de l'arrière grand-père d'un soldat inconnu qui
l'avait arraché en 1683 sous les murs de Vienne au grand vizir Kara Mustapha en personne, juste avant sa décapitation
par le sultan Mehmed IV... ou peut-être Mehmed V, car à cet instant du récit l'oncle Hubert s'embrouillait beaucoup avant de s'éclaircir la gorge d'une double lampée de wodka
!
Dans
cet instant sublime où l'objet prenait
une dimension mystique, j'étais autorisé à l'effleurer du bout du
doigt tandis que l'oncle concluait son récit guerrier dont la plus
grande conséquence selon lui avait été l'invention du
croissant, première viennoiserie dont la forme rappelle le symbole
du drapeau ottoman !
Comme
cet ultime détail culinaire me mettait
toujours l'eau à la bouche, l'oncle - pour m'accompagner - y allait
d'une dernière lampée de wodka et renvoyait le gri-gri dans les abîmes
de son pantalon...
Jamais
je n'ai osé demander quels pouvoirs
magiques et quelle protection lui apportaient son machin, toujours
est-il qu'il ne l'a pas empêché de perdre ses cheveux ni de mettre le
feu à son lit en allumant un cigare.
Mon père disait en rigolant qu'il avait
confondu allumette et amulette mais je ne vois toujours pas en quoi c'était risible.
Aujourd'hui feu l'oncle Hubert est feu et je
garde précieusement son gri-gri qu'Anastazia m'offrit plus tard à Noël comme mon plus beau cadeau au monde.
Je l'observe souvent en le faisant rouler
sous mes doigts et je me demanderai toujours qui pouvait être ce Madein China qui y grava un jour son nom...
Joli récit Monsieur Vegas sur Sarthe
RépondreSupprimerMerci Monsieur bongopinot
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