lundi 17 décembre 2012

Csiii, csiii

 Bruit, son, voix, musique, chacun possède sa madeleine de Proust sonore... et moi comme les autres.
 
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De tous les chants qui m'enchantent celui que je préfère de loin c'est le csiii, csiii.
Le csiii, csiii a ceci d'inimitable que même le silence qui le suit est jouissif.
Qu'il accompagne ma sieste, agrémente mon pastis ou la partie de pétanque sous nos platanes centenaires, il m'invite à la rêverie et même à une certaine compassion pour ses infatigables interprètes...
 
A force de jouer de la cymbale Marius souffrait de l'abdomen, mais le syndicat d'initiative - en la personne de Norine Ricard - avait
été catégorique: "Une cigale se doit de chanter tant qu'il fait chaud et avant que la bise fut venue!" et nom d'une fourmi c'est pas la chaleur qui manquait ici.
Au contraire les femelles se faisaient rares, sans doute un trop plein de cagna qui les rendait paresseuses et Marius détestait s'escagasser pour rien.
L'autre jour il en avait bien attiré une, une certaine Magali qui avait défrayé la chronique en congelant ses oeufs et tout ça l'avait un peu dégoûté des filles, mais Marius était dans les derniers instants de sa vie, ceux où l'on s'agite la membrane comme tout mâle normalement constitué parce c'est comme ça depuis que les hétérométaboles existent.
Il n'y a bien que les estrangers pour croire que la cigale a des élytres qui servent à l'hélitreuiller!
 
Sur la branche voisine, un gros cigalou s'essoufflait par de minables "Pfuii, pfuii" et on dut le dépanner avec des câbles - le fil blù sur le bouton blù - afin qu'il retrouve ce coup de cymbale réglementaire digne du folklore régional.
Depuis quelques années le touriste devenait si exigeant qu'on incitait les cigales à travailler plus - travaia maï pour gagna maï, c'était le slogan en vogue depuis Ramatuelle jusqu'à Bandol - moyennant la prime à la sève.
"Une belle arnaque" songeait Marius quand soudain une sublime brune à tête grise se présenta; il ne put retenir un "Qu'es acò ?"
Il faillit même ajouter qu'elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier et ... mais ça c'est dans la cabro de moussu Seguin et ici Daudet c'est sacré, réservé à l'élite!
 
Toujours est-il que les deux grands iueux noirs brillaient de mille facettes à tel point que Marius en oublia de cymbaler; la belle faisant mine de s'en retourner, il se ressaisit aussitôt et engagea la conversation "Coume vaï? é patin coufin".
Certes il avait un vocabulaire limité, mais six semaines seulement pour niquer, ça laisse peu de temps pour s'instruire; alors il s'appliqua à moduler un tonitruant "à la couchado !"
Le message avait le mérite d'être clair et la belle de répondre en ondulant de ses longues ailes transparentes: "Tu as lou cuou bordé d'anchoio, je sui prenable mon garri".
“Le changement, c'est aro” se dit l'opportuniste.
Marius n'avait plus qu'à conclure de son irrésistible et favorite blague:”Si tu ondules, comment veux-tu, comment veux-tu que je stridule?
Même un touriste aura compris l'invitation plutôt cavalière et, sautant les préliminaires, Marius grimpa sur la belle brune au mépris du danger et de la foule bigarrée des vacanciers agglutinés sur la grand'place.
 
Ce fut une belle chevauchée vibrante et passionnée comme Marius n'en avait jamais connu dans sa courte vie! La pitchotte était menue, à peine deux grammes, mais groumando à en faire rougir Esope et La Fontaine réunis, si bien que Marius dans un ultime coup de reins en perdit la vie.
Le gros cigalou poussif prétendit que Marius avait "peta plus aut que soun cuou", signe évident d'une jalousie légendaire chez les Cicadidae.
 
Si vous passez un jour par Sant Troupez, suivez les csiii, csiii jusqu'à la place des Lices et dirigez-vous vers le cinéma municipal, il n'y en a qu'un.
Approchez-vous du gros platane à gauche et vous y chercherez sur le tronc séculaire une entaille profonde, non pas celle-ci, l'autre plus haut! et dîtes-vous bien que c'est dans cette fente, ce nid d'amour qu'un certain Marius connut un immense bonheur avec...
Au fait il n'avait pas eu le temps de lui demander son nom, Fanny peut-être?
 

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