lundi 31 mars 2014

A Maurice Guigoz et sa poudre blanche

La vie est un sport d'endurance, un effort de longue haleine qui mérite qu'on en parle, comme le suggèrent les Impromptus Littéraires
 
 
 



 
 
Très tôt je m'suis rendu compte que ça s'rait pas d'la tarte!
Même sans mes dents j'aurais préféré d'la tarte aux cerises avec les noyaux plutôt que c'morceau d'caoutchouc sensé épargner le téton maternel mais qui n'en avait ni le velouté, ni le goût et encore moins ce je ne sais quoi d'indéfinissable qui vous fait monter aux rideaux avant de descendre au fond d'la couche...
Bon Dieu! Si j'avais eu l'choix entre l'caoutchouc et une grosse mamelle de nourrice même moustachue j'aurais pas hésité une seconde!
De mal en pis et après des jours d'intense mastication - c'que j'appelle téter et s'entêter - j'me suis rendu à l'évidence: c'était pas comestible.
 
Si on m'avait d'mandé mon avis je serais né plus tard; j'aurais au moins connu l'frisson du danger et cette ivresse de la tétine gazée à l'oxyde d'éthylène, la même saloperie qui donna aux poilus d'la grande guerre ce p'tit goût d'moutarde.
C'est fastoche de critiquer aujourd'hui l'plastoc et le “bisphénol A” quand on n'a pas connu l'biberon en verre et qu'on découvre avec horreur que ces machins qu'on vient d'cramer en deux secondes c'étaient des doigts.
 
Tenir... il fallait tenir le biberon et tenir bon pour espérer un jour ressembler à sa frangine qu'on autorisait à s'enfourner toute seule - comme une grande - une cuillère de potage dans l'oreille.
Moi qui aspirais plus au repos que leur mélange plombé à la blédine, je trouvais que la barre était déjà haute.
Pourtant les grands prenaient un plaisir sadique à la monter plus haut à chaque progrès réalisé: d'abord la tétine monotrou, puis à deux trous, puis à trois trous - façon ocarina - et le fameux rototo obligatoire, celui qui cocote, qui arrose souvent mais qui soulage tant les grands!
 
A cinq semaines - soit un nombre incalculable de rototos - constatant qu'on me foutrait jamais la paix je décidai de faire la gueule: les grands appelèrent ça un sourire et jusqu'à ce jour je ne les ai jamais contredits.
Mis à part le sourire - sur lequel je ne m'étendrai pas puisque c'est pas l'sujet d'la semaine - et le Areu que j'avais assimilé pour leur faire plaisir, je m'exprimais maintenant en Grouic de cochon et sifflements de mainate que mon entourage interprétait à sa guise; de toute manière mon avis importait peu.
A l'échelle du chiard que j'étais, cinq semaines ça f'sait déjà un bail, alors quand on m'a expliqué qu'j'm'assoirais dans six mois j'ai compris qu'y s'passerait du temps et des centaines de rototos avant d'avoir le plaisir indicible de tasser ma couche et tout c'qu'y a dedans...
 
S'accrocher... y fallait s'accrocher si j'voulais un jour être grand comme les grands, avoir le même appareil dentaire qu'la cousine Philomène, des poils roux comme Oncle Hubert et goûter au fameux bortsch de tante Anastazia.
Mais s'accrocher, c'est facile à dire quand tout bouge autour de vous et qu'on vous a pas expliqué les règles.
Les grands appellent ça l'expérience.
Alors dans l'genre expérience j'me suis frotté au déambulateur de pépé, à mon ch'val à bascule et aux soutifs à armature de tante Anastazia.
Les grands pensaient que j'souriais à chaque tentative mais moi j'sais bien que j'faisais la gueule.
 
Chez nous l'dimanche, les grands sortaient les bons crûs et s'les descendaient sans même un regard pour celui qui biberonnait le picrate du père Guigoz . Quand j'pense à tous les Ruchotte-Chambertin qui m'sont passés sous l'nez et que j'reverrai plus jamais, ça m'fout la glotte en capilotade.
Pour nous les chiards, le dimanche c'était la barboteuse bouffante avec les p'tits élastocs qui serrent les cuisses à vous couper l'sang... mais comme j'voudrais pas casser l'moral aux chiards qui viendront après moi, j'préfère arrêter ici les souvenirs.
 
J'leur souhaite bien du plaisir! Parait qu'maintenant les tétines sont en silicone et les seins aussi!
Alors j'ai qu'un mot à leur dire, à tous ceux qui décideraient d'poursuivre l'aventure dans ce monde implacable: “Tenébon”.
 
 
 
 
 
 

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