samedi 18 août 2018

David Albert Lynch

Publié aux Défis du Samedi sur le thème Pour être heureux Mariez-vous



Comment Germaine avait-elle fait pour m'entraîner dans le grenier familial ?
C'est fou ce qu'on peut garder comme cochonneries dans ces musées de vieilleries qui sentent le vieux cuir et le patchouli.
En éternuant je sortis la croûte de l'étui poussiéreux qu'elle m'avait désigné d'un doigt tremblant; la tête abandonnée sur mon épaule, Germaine défaillait et pour une fois ne disait rien, ce qui mérite d'être souligné.
La toile apparut et je poussai un sifflement admiratif :"Tes vieux se sont pas fichus d'toi, ma poule"
"C'est tout c'qui m'reste d'elle" souffla t-elle et elle ajouta avant de s'évanouir : "M'man était belle, hein ?"

Ses pâmoisons ne duraient jamais longtemps, dans dix secondes j'allais savoir ; je demandai : "C'est qui qu't'appelles M'man ?"
"Ben ma mère, Paulette... ta belle-mère quoi! Tu r'connais pas ta belle-mère ?"
Les deux femmes du portrait évoquaient plus des gourgandines en goguette que des mères de famille.
Si j'avais rencontré une belle-mère comme ça, je m'en serais souvenu, je n'aurais même pas eu un regard pour sa fille et donc elle n'aurait pas pu être ma belle-mère et bref... tout ça commençait à me prendre le chou.
"Ta mère... ma belle-mère... c'est la rousse qui pose masquée ?"
Germaine avait vite repris des couleurs : "Mais non! Elle est en blanc dans sa robe de mariée en satin avec les perles assorties, celle-là même que j'ai portée à mon tour pour notre mariage mais Môssieur était bien trop pressé de m'la retirer pour s'en souvenir aujourd'hui !"
Elle sanglotait.
Là, Môssieur n'avait plus qu'à s'raccrocher aux branches pour ne pas s'enfoncer un peu plus comme d'habitude : "Maint'nant que tu l'dis, c'est vrai qu'vous vous ressemblez... elle était vachement belle à l'époque"
C'est vrai que le "à l'époque" était de trop mais c'était la vérité et puis j'ai jamais su me raccrocher aux branches.
"Normal" lança t-elle, furibonde "c'était la Belle Epoque"
Il fallait faire diversion : "et la grande rouquine qui s'cache derrière alors ?"
"Oh celle-là c'était l'Angèle Lupin, une copine d'enfance mais on n'a pas l'droit d'en parler vu qu'elle avait débauché mon père"
J'insistai pourtant : "Lupin, d'la famille d'Arsène Lupin ?"
Germaine me dévisageait : "Pourquoi ? Toi aussi tu connais une Lupin ?"
"Non, chérie... c'est juste à cause du masque, ça fait ringard, limite chelou"
Germaine explosa : "Chelou ? Un Lynch chelou ? Tu réalises que t'es devant un Lynch ?"
Je poussai un second sifflement admiratif : "Lynch ? Celui qu'a fait Elephant Man ? J'te crois pas... ta mère a fréquenté David Lynch, elle qu'avait jamais quitté Chateauroux ?"
Comme moi, Germaine s'était arrêtée de respirer.
Elle astiqua ses lunettes et se pencha sur le tableau, y cherchant la signature de celui qui avait immortalisé la sublime Paulette et la mystérieuse rouquine Angèle Lupin briseuse de couples.
"Albert Lynch !" hurla t-elle "Albert... pas David"
J'étais pourtant sûr que Lynch se prénommait David et je sentis qu'on allait encore se prendre la tête pour rien, déjà que son Angèle n'était pas une vraie Lupin, de la vraie famille de détrousseurs mondains.
J'avais du mal à imaginer Lynch barbouillant des toiles et encore moins pour des modèles comme ma belle-mère et sa rivale.
Germaine revenait à la charge : "Et le chapeau ? Tu t'souviens au moins d'mon chapeau à plume ? Tu l'avais rajouté dans ma corbeille avec la jarretière pour faire monter les enchères! Dès ce moment-là j'ai cerné l'bonhomme que j'épousais!"
Le bonhomme – c'est à dire moi – se souvenait surtout du mousseux éventé de chez Félix Potin, des chaussures André trop neuves et de l'accordéoniste, de ses canards et de sa danse des canards... et trop peu de sa belle-mère.
On dit qu'avant d'épouser une femme il faut regarder sa mère ; on dit aussi que le mariage est la première cause de divorce mais on n'en était pas tout à fait là avec Germaine.
Des farfelus ont même inventé une météo des mariages, mariage pluvieux, venteux ou soleilleux comme si l'érection du mercure dans le thermomètre garantissait un bonheur durable et sans nuages!
Le bonhomme n'avait plus qu'une envie, remballer le Lynch, la belle-doche et la rouquine ravageuse et aller faire un tour au parc.
J'aime bien les tours au parc, on y réfléchit sur soi, sur l'autre et sur les autres ; on s'assied côte à côte cinq minutes pour regarder bouffer deux pigeons idiots et ces jeunes couples aussi idiots qui s'bécotent sans voir les pigeons. J'crois qu'c'est un poète qui raconte ça... Mistral ou Mistral Gagnant, ou Brassens, un nom comme ça.

Bon, fallait faire retomber la pression, désamorcer le conflit alors j'ai enlacé Germaine en ajoutant : "T'as raison ma poule, il était doué ce David Albert Lynch mais il aurait tout aussi bien pu les filmer"


3 commentaires:

  1. Toujours aussi inspiré remerciements à Germaine qui en est la source... amitiés

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  2. comme si l' érection du mercure rendait les mariages heureux..
    cet été les unions n 'ont pas à s'en faire ,si tel est le cas😂
    ,
    Toujours un plaisir de lire les germainades vues par son bonhomme

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