samedi 31 août 2013

La porte, bon Dieu!

Publié aux Défis Du Samedi d'après l'illustration suivante
 
 
 
 
Puisqu'il avait déjà créé la nuit au premier jour, dans la nuit du cinquième au sixième jour, le Tout Puissant créa la porte.
Mais pas n'importe quelle porte: il conçut la fameuse porte-conseil... depuis on dit souvent la nuit porte conseil même si on l'entrebâille pour y laisser passer un jour.
De quoi y perdre son latin mais les motivations du Tout Puissant sont impénétrables et c'est la porte ouverte à bien des questions.
Il faut reconnaître que vingt quatre heures à voir passer et repasser Adam par les fenêtres, c'en était trop!
“Qui d'autre à part MOI pourrait me pardonner cette erreur de Genèse?” se lamentait-il.
 
Alors il prit Adam à part - ce qui était assez facile à faire à l'époque - et lui enseigna comment l'ouvrir et surtout comment la fermer car Adam était bavard de surcroît. Sans le savoir et à mesure qu'il expliquait, le Tout Puissant venait d'imaginer simultanément le concept des portes ouvertes et du huis clos.
Les gros animaux comme le boeuf ne furent pas en reste pour qui il créa la large porte cachère ni les matous pour qui il fit la chatière.
 
Bien conscient qu'un jour Adam et Eve finiraient en espèces de vieux gonds, il créa la Grèce pour lubrifier tout ça et préserver ses tympans mais c'est une autre histoire et d'ailleurs on chambranle.
 
Alors qu'il tentait d'expliquer à Eve - parce qu'elle le vaut bien - le dormant et l'ouvrant, un nuage s'insinua par l'huis - du genre stratus nébulosus - celui qu'il avait créé quelques jours auparavant.
“Qu'es aquo?” demanda Eve qui débutait un cours d'occitan.
“N'aies crainte Eve” dit le Tout Puissant “ce n'est qu'un stratus nébulosus”.
Eve commençait à regretter de n'avoir pas choisi l'option latin et ne fut pas plus rassurée par ces nébuleuses explications.
“Vois-tu Eve” dit le Tout Puissant qui voyait tout “je t'ai donné Adam et le bonheur mais sache qu'il n'est point de bonheur sans nuage”, et elle allait le découvrir plus tard mais pour l'heure on chambranle aussi.
 
“Tiens! Un stratus nébulosus” dit fièrement Adam qui passait par hasard et aimait déjà ramener sa fraise.
“Comment sais-tu ça?” s'étonna Eve, subjuguée. Personne ne le sait mais Eve fut la toute première femme subjuguée au monde. Aujourd'hui il en faut bien plus pour subjuguer une femme mais on chambranle toujours.
“Parce que j'écoute aux portes” rétorqua Adam en éclatant d'un rire gras. L'éclatement d'un rire gras doit se faire prudemment, derrière une porte par exemple.
“C'est malin” souffla Eve en ajoutant “Allô, pero no ho Allô” initiant sans le savoir la version occitane de Nabilla. Et elle ajouta en français pour qu'on comprenne “c'est comme si j'te dis t'as la serrure mais pas la clé”.
 
C'est ainsi qu'Adam prit la porte, Eve le mors aux dents et le Tout Puissant un coup de vieux...  
 

lundi 26 août 2013

Voir le Pied-mont et mourir

Publié aux Impromptus Littéraires
 
 

 
"La région du Pied-mont est propice aux excursions pédestres tout comme l'ensemble de la botte italienne".
C'est ainsi que parlait Sarah Toustra - la guide du syndicat d'initiative - à notre petit groupe baptisé Les Mocassins, fraîchement débarqué à la gare de Turin et qui croyait bêtement trouver du jambon à Aoste.
Cette semaine de vacances supplémentaire promettait d'être riche en émotions.

Notre première émotion due à une overdose de carota grattugiata - des carottes râpées - eut raison de notre transit digestif et on peut dire qu'on en a chié pour passer le Pô.
C'est un marabout de Corda - ficelle en français - qui nous a remis en selle en nous faisant prier au pied des stalles d'une tour située Place des Miracles et qui d'après moi penchait vachement.



On avait prévu de rejoindre Florence - pas la ville - une copine basque qui s'était fourrée dans un gai pied en quittant son job de podologue à saint-jean-pied-de-port pour suivre un homo podophile; j'ai découvert plus tard qu'un podophile n'est qu'un fétichiste du pied, même en italien. On n'a pas vu Florence, alors on a vu Parme comme le chante un certain Berliscuno, le Brel local.
Voyez-vous, Parme ça ressemble beaucoup à Aoste, surtout les charcuteries.


Au loin on apercevait le sommet escarpin - la guide disait escarpé - du Mocassin; les italiens disent le Mont Cassino bien qu'on y trouve pas la moindre machine à sous. Finalement ça fait beaucoup de marche pour rien quand on prend les noms au pied de la lettre.
Alfredo a dit comme ça que ça nous faisait les pieds; ça a fait pleurer Britney qui trépignait et ne voulait plus continuer. Heureusement on a fait tourner la grole à huit becs remplie de gnôle locale qui a requinqué tout le groupe. Je ne sais pas pourquoi requinquer se dit tourista en italien, enfin bref.

Alfredo voulait voir le Monte di Pieta - le Mont de Piété - mais on l'a jamais trouvé sur la carte; on était pourtant venus pour découvrir les spécialités italiennes.

Alors on est redescendus en lacets dans la vallée en traînant la semelle; Johnny fermait la marche, fier de porter sa musette et son surnom de Dernier des Mocassins. Il faisait déjà nuit mais avec nos ampoules on devinait bien nos pieds.
Il nous restait encore à voir Naples et ses ateliers de chaussures, là où parait-il à l'ombre du Vésuve travaillent des picciotti douze heures par jour... finalement on n'a pas eu envie d'acheter et comme on s'est fait racketter nos pompes à la gare par des mafiosi, on a pu voyager les doigts de pieds en éventail jusqu'à la frontière française.

On nous a dit plus tard que c'était la camora, qui aussi bizarre que ça paraisse n'en voulait pas du tout à nos appareils photo... un sacré pied de nez à la mafia!

A Chambéry on a filé au premier magasin de pompes venu: c'était un Sport-Vingt-Mille où on n'a trouvé que des moon boots pointure quarante six, mais qu'est ce que c'est le pied, même en plein mois d'Août!  



samedi 24 août 2013

Le saperon rouze

Publié aux Défis Du Samedi d'après l'illustration ci-dessous
 
 
 

 
 
 
“Allez! Accouche!”
“Oh... Ze suis pas une massine. Laisse moi d'abord lire ce qu'y z'ont écrit sous les zimages”
“Ca sert à quoi puisque tu connais ce livre depuis... depuis quand déjà?”
“Ze sais pas... ze sais pas compter”
“Et tu sais pas lire non plus!”
“Passequ'un nounours, ça peut parler peut-être?”
“Si je ne parlais pas, il n'y aurait pas de dialogue et tu serais tout seul dans ton coin à regarder des images que tu as vues mille fois, autant de fois que ta nounou t'a lu ce bouquin avant que tu t'écroules dans ton pieu, gros naze!”

“Où z'en étais moi? Avec tes remarques ze sais plus où z'en suis”
“D'abord, tu devrais tenir le livre à l'endroit...”
“Comment ça à l'endroit?”
“T'as pas vu que le chaperon rouge a la tête en bas?”
“Le saperon rouze? Quel saperon rouze?”
“Ben là, en bas de ta page c'est bien le chaperon rouge!!”
“C'est toi le gros naze! Y a zamais eu de saperon rouze dans Pinocchio!”

“Et à côté, c'est pas la grand-mère peut-être?”
“Y a pas de grand-mère dans Pinocchio... c'est Zepetto le menuisier!”
“Tu veux dire Gepetto?”
“C'est bien ce que z'ai dit... Zepetto!”
“Gros naze, y a pas de Gepetto dans Cendrillon!”
“Tu m'énerves! C'est pas Cendrillon puisque c'est Pinocchio!”
“N'empêche que ton bouquin est à l'envers et que je me casse!”
“Et ben casse-toi... sauf que tu sais pas marcher”
“Je marche tout comme toi... sur quatre pattes, gros naze”  
 
 
 
 
 

samedi 17 août 2013

La maison close

 
 

 
 
Le vantail était rouge ainsi que la lanterne
que quelque écervelé avait laissée clairer
j'étais m'avait-on dit le seul de la caserne
à n'être pas venu m'y faire déflorer.
 
J'étais là tout confus, troublé et sans escorte
les jambes flageolant, conscient qu'au moindre geste
on allait m'humilier et me foutre à la porte
sans avoir consommé ni demandé mon reste.
 
Je me souvins qu'un jour un oncle m'avait dit:
qu'une poignée de chance vaut mieux qu'un tas d'échecs
je serrais celle-là, bravant mes interdits.
 
Au-delà j'entendais de bruyants boute-en-train
des râles étranglés, je n'étais qu'un blanc-bec
mais je poussai d'un coup les cerbères d'airain...   

samedi 10 août 2013

Le critérium des Vieux Clous

Publié aux Défis Du Samedi
 
 
 
 


Trois jours avant le Critérium des Vieux Clous, l'oncle Hubert ne dormait plus au point que sa polonaise lui imposait de faire chambre à part.
Non pas à cause de l'enjeu de l'épreuve mais parce qu'il abusait de cette wodka frelatée dont Anastazia avait le secret et qui le mettait dans un état second pour ne pas dire troisième!
Trois jours avant, les biclous sortaient religieusement du grenier, enveloppés de ces toiles d'araignées tissées tout l'hiver et qui font le prix des vieilles choses et couverts d'une copieuse couche de rouille aux ravages plus ou moins irréparables.
Mais pour leur redonner un semblant de jeunesse l'oncle avait ses recettes infaillibles, des secrets hérités de la Baltique et d'Anastazia: un verre d'huile pour le dérailleur, un verre de wodka, un verre de graisse rouge pour la chaîne, un petit verre de wodka, un demi-verre d'huile pour le pédalier, un grand verre de wodka...
Pour tenter d'assouplir le vieux cuir des selles il les frottait avec un demi-verre de wodka et s'enfilait le reste sans sourciller.
A ceux qui s'inquiétaient de le voir s'acharner sur des roues plus voilées qu'une fatma il répondait entre deux verres qu'il en connaissait un rayon!
 
Quand bien même il dut finir le troisième vélo - cramponné au guidon - et la dernière bouteille de Zubrowka désespérément vide, il mettait un point d'honneur à bichonner nos montures, persuadé que l'un d'entre nous remporterait l'épreuve et le premier prix tant convoité: un caddie garni du Mammouth de Bouze-lès-Beaune.
 
La bataille était rude pour ne pas hériter du dernier vélo dont les patins de freins copieusement huilés, la selle branlante, les garde-boue tordus et le guidon de guingois nous garantissaient un séjour prolongé au poste de secours!
Tout au plus le meilleur vélo préparé dans les toutes premières effluves d'alcool tenterait de porter haut les couleurs de la famille puisqu'il avait distingué en son temps un lointain ancêtre sacré roi de la pédale et surnommé 'Gros braquet' comme l'attestait un médaillon imitation bronze planté pour l'éternité sur la cheminée du salon.
 
Sa mission accomplie, l'oncle Hubert s'octroyait une sieste de soixante douze heures entrecoupée de remontants - bière au jus de framboise et liqueur de miel - de telle manière qu'en dix ans de compétition on ne le vit jamais sur la ligne d'arrivée.
D'un autre côté, nos piètres résultats se passaient amplement de sa présence et nous évitâmes ainsi les quolibets de celui qui mettait en jeu chaque année son honneur et son foie au service du plus noble des sports...
De toutes ces merveilleuses années, chacun retiendra une chose à jamais gravée dans nos mémoires: si notre cher oncle était le maillon faible dans cette chaîne que nous formions mes cousins et moi, l'Oscar de la meilleure descente lui revenait incontestablement.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

samedi 3 août 2013

Ardoise angevine

  Publié aux Défis Du Samedi d'après l'image suivante
 
 
 
 
“Jardin des Tuileries à votre service... j'écoute”
“Euh... je suis bien là où on vend des tuiles?”
“Parfaitement Monsieur. Nous sommes mondialement connus et même classés au patrimoine mondial de l'Unesco”
“Ah! J'avais peur d'avoir raté le numéro”
“Vous êtes dans le spectacle? Et comment nous avez-vous connu?”
“Et bien c'est un ami couvreur qui m'a parlé de vous”
“D'habitude le bon mot c'est de dire: J'ai un ami couvreur qui m'a parlé de toit”
“Euh... je ne me permettrais pas de vous tutoyer!”
“Pardon?”
“En fait je vous appelle car j'ai un trou dans ma couverture”
“Je tiens à vous dire tout de suite que la maison ne fait pas les reprises”
“J'ai juste besoin de tuiles, voyez-vous et j'espérais que...”
“Ca tombe bien- c'est une expression de mon oncle Hubert - chez nous ça part comme des petits pains!”
“J'ai seulement besoin de tuiles, voyez-vous”
“J'avais bien compris mais venons en au faîte - comme disait aussi mon oncle Hubert - quelle sorte de tuile cherchez-vous?
A ce jour nous devons avoir quelques trois mille références... en terre cuite, en béton, en canal, en plate, en panne?”
“Justement, je suis en panne. J'ai épuisé mon petit stock avec ces nombreuses intempéries et...”
“Vous êtes chanceux, la panne flamande est notre spécialité: une tuile grand moule, double emboîtement caché latéral et supérieur, aspect prévielli, traitée au silicone, sécurité de fixation, nous l'exportons en Angleterre et même jusqu'en Suède”
“Euh... c'est que j'ai une ardoise angevine et...”
“Je tiens à vous dire que la maison préfère vous faire des facilités de paiement - un quatre fois sans frais par exemple - plutôt que devoir couvrir un chèque en bois”
“Vous faites dans le bois aussi?”
“Oui monsieur, du pur bardeau de Honfleur!”
”Je ne savais pas Bardot à Honfleur mais plutôt à Saint Trop. Bref, revenons en au faîte comme disait votre oncle Hubert et pour mon ardoise?”
“Nous avons une agence à Angers, Monsieur et nous allons étudier ça favorablement”
“Super, je vois que mon dépannage se présente sous les meilleurs auspices”
“Pas vraiment! Les meilleurs hospices c'est en Bourgogne et nous sommes malheureusement en rupture de stock de nos tuiles vernissées à cause d'un souci de sels de plomb”
“Ah? Les problèmes de transit, je connais bien. Ca c'est la tuile!”
“Savez-vous qu'on nous la fait dix fois par jour celle-là et je dois dire que je la trouve assez lourde... entre nous on appelle ça de la lauze de schiste, y a pas plus lourd. Vous ne seriez pas de l'Aveyron par hasard?”
“Non. Je suis désolé... je n'ai pas pu m'en empêcher”
“On a l'habitude vous savez, et je ne vous parle pas de ceux qui nous sortent leur tuile aux amandes!”
“Si j'osais je dirais que celle-ci est plus légère et...”
“Oui et pas de risque d'avoir des selles de plomb!”
“Pardon?”
“Laissez, celle-là c'est pour moi, un cadeau”
“Euh... et pour mon ardoise angevine?”
“On va devoir vous mettre à l'amende! Non! Je plaisante! J'appelle tout de suite notre agence d'Angers”