mardi 23 mai 2017

Fèqueniouze

Publié sur MilEtUne d'après l'illustration




T'as vu Germaine que l'maire y veut plus qu'on clamse à domicile?
Où qu't'as vu jouer ça, la Yolande?
Ben, c'est dans l'journal... l'maire de Laigneville il a signé c'qu'on appelle un arrêté!
Moi j'm'en fiche, j'suis née à Maigneville!
P't'êt ben mais t'as épousé l'Marcel de Laigneville alors t'es concernée, tout comme nous autres
Et les frontières, qu'est-ce que t'en fais des frontières?
Et où qu'elle est la frontière entre Laigneville et Maigneville?
Ben c'est l'fossé que l'Marcel il avait sauté pour venir me marier.
Ah ouais? Il avait pas sauté que l'fossé, vu comme t'étais grosse!!
Arrêtez d'vous chamailler les filles... c'est juste une fèqueniouze
...

Hein? C'est quoi ta fèqueniouze?
C'est un nouveau truc qui vient d'sortir... c'est des chars, des menteries, des trucs à la noix mais c'est en anglais pour faire plus nouveau
Pourtant l'maire de Laigneville c'est pas un fèqueur de niouzes... c'est pas n'importe quel féqueur, c'est l'cousin germain d'la Madeleine!
Ouais sauf que la Madeleine elle a cassé sa pipe la s'maine dernière alors ça risquait pas qu'elle soit arrêtée par son cousin...
En tout cas moi j'veux clamser dans mon lit, çui qu'on avait acheté au Mammouth avec le Dudule pour not' mariage!
T'as encore le lit d'ton mariage, toi? Y doit sacrément êt' défoncé!
Pas tant qu'le tien, la Fernande! Y'a eu qu'un homme dans ma vie et dans mon lit!

Arrêtez d'vous chamailler pour une fèqueniouze, les filles! C'est pas l'maire qui vous traînera dehors par les pieds au moment du dernier soupir...
T'as raison... et pis avant qu'on clamse il a tout l'temps d'arrêter son arrêté.
Ben... comment on fait pour arrêter un arrêté?
La Madeleine elle devait savoir ça, rapport à son cousin germain, mais c'est trop tard pour lui d'mander
Laissez tomber les filles, pisque j'vous dis qu'cest une fèqueniouze!



lundi 22 mai 2017

Le crapaud et le paradoxe

Publié aux Impromptus d'après ma photo





Décidant de quitter la mare et son troupeau
au fond d'un arrosoir qu'il avait repéré
un crapaud retraité fumeur invétéré
comptait dilapider sa retraite-chapeau

Le voici crapotant cibiches et mégots
dans un épais brouillard il s'adonne à son vice
sous lui le cendrier est en libre-service
le zinc est son tripot, vicié, son Chicago

Un zélé jardinier croyant à l'incendie
crie au feu et s'emploie à noyer l'arrosoir
comble du paradoxe, adieu l'assommoir (*)

Le piteux amphibien patauge en décoction
en appelle au troupeau, à sa congrégation
mais le sonnet fini... ce qui est dit est dit


(*) Assommoir: Débit de boissons alcoolisées

samedi 20 mai 2017

Les Quatre-fers-en-l'air

Publié aux Défis Du Samedi



Je l'avais rencontrée à la Va-comme-je-te-pousse – une guinguette pour célibataires endurcis dont la devise était «Célibataire optimiste: votre lit est à moitié plein» – où on nous avait rangés sur deux lignes-de-mire: la ligne des Quatre-fers-en-l'air et celle des Feu-au-derrière.
J'étais dans celle des Quatre-fers-en-l'air et donc celle que j'appellerai Germaine se trémoussait d'impatience sur l'autre rang-d'oignon.
La lumière des vessies-pour-des-lanternes était si tamisée qu'on se serait crus aux toilettes; on n'y voyait goutte-qui-fait-déborder-le-vase, pourtant je vis qu'elle avait d'immenses yeux-plus-grands-que-le-ventre et une façon de pousser-mémère-dans-les-orties qui l'avait propulsée au premier plan-foireux.
Moi je n'avais que mes yeux-de-merlan-frit comme tous les vendredi et je ne voyais pas comment j'aurais pu en changer.
Pour nous mettre dans l'ambiance les organisateurs nous avaient proposé des canapés au beurre-dans-les-épinards et un cocktail tout-sucre-tout-miel à base de pissenlit-par-la-racine mais vu l'heure tardive j'optai pour un bouillon-de-onze-heures et elle une soupe-à-la-grimace dont elle but juste un doigt-dans-l'engrenage mais avec le sourire.
J'eus tout le loisir d'admirer sa belle paire de jambes-en l'air et ses chevilles-ouvrières, ses cheveux-sur-la-soupe qui frisaient-le-ridicule et ses airs-de-ne-pas-y-toucher.
De son côté – celui des Feu-au-derrière – elle ne semblait pas indifférente à mes poils-de-la-bête à défaut d'en deviner plus-si-affinité.
Comme elle me frottait le dos-de-la-cuillère, je la tempérai un peu, beaucoup, passionnément, pas enclin à me coucher-avec-les-poules.
Elle insista quand même pour monter-sur-ses-grands-chevaux malgré l'exiguïté de l'escalier.
Je pris sa main-au-panier mais sans le panier dans un premier temps.




Je trouvai la chambre ordinaire... Germaine non plus, alors je cessai de siffloter ce tube qui ne marche qu'avec les Félicie...


Tandis qu'elle ôtait sa jolie robe verte-et-des-pas-mûres, j'enlevai mon habit-ne-fait-pas-le-moine réparé à la diable-par-la-queue et cousu-de-fil-blanc faute de moyens.
Impressionnés – surtout moi – on se glissa sous la peau-de-l'ours-avant-de-l'avoir-tué; en effet la chambre-de-commerce empestait l'ours, un subtil mélange de gibier-de-potence et d'huile-de-coudes.


Avant même qu'on commence à crier-sur-les-toits, derrière les murs-ont-des-oreilles j'entends chanter un oiseau-de-mauvaise-augure. Tout ça ne présage rien de bon, Nom d'un chien-dans-un-jeu-de-quilles! je crois bien que c'était une levrette... on n'est jamais très sûr.


Comme elle m'avertit que son chat-échaudé-craint-l'eau-froide je la prends-avec-des-pincettes, je la mange-à-tous-les-rateliers, lui offre mon manche-après-la-cognée jusqu'au bout du rouleau-de-printemps (Passez-moi l'expression... non, ne me la passez pas)
Alors elle m'appelle son petit bonhomme-de-chemin, me baptise son cadet-de-ses-soucis, son inconnu-au-bataillon, puis son polichinelle-dans-le-tiroir, son as-de-pique et enfin son autre-paire-de-manches.
Je lui dois-une-fière-chandelle... je n'aime pas devoir.
Elle tourne-sept-fois-sa-langue-dans-ma-bouche, elle trompette-de-la renommée, elle aboie-et-la-caravane-passe (il y a foule tout à coup), elle rue-dans-les-brancards, elle s'en tamponne-le-coquillard... il va être temps de conclure quand un homme-averti-en-vaut-deux pointent leur tête à la mords-moi-le-noeud en demandant-si-c'est-du-lard-ou-du-cochon?


Péniblement je me remets-sur-mon-trente-et-un, je chausse petit.
Tuée, ma poule aux œufs dort-sur-ses-deux-oreilles, un ange passe-comme-une-lettre-à-la-poste... pas moyen d'être tranquille.
Dans le doute, absente-toi!
Je prends-mes-cliques-et-mes-claques, surtout mes claques... je me souviendrai du Va-comme-je-te-pousse.









lundi 15 mai 2017

Impur hasard

Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème: Un pur hasard




Elle dansait à l'Alcazar
dans une revue dévêtue
moi je bossais aux Impromptus
j'étais le roi des partouzards
y'a pas d'lézard

J'ai pris un hachis Parmentier
elle une salade Caesar
j'en ai barbouillé mon falzar
et éclaboussé son bustier
fâcheux hasard

On a galopé au vestiaire
elle était plus leste que moi
j'avais le bazar en émoi
le caleçon en serpillière
un peu vasard

On s'est détachés de concert
et attachés à corps perdus
dans ma fièvre je l'ai mordue
comme on croque dans son dessert
un pur nectar

Au final elle était couillue
et s'appelait Jean-Dominique
je la trouvai moins volcanique
je me trouvai bien ingénu
piteux hasard




dimanche 14 mai 2017

Un bon coup de fouet

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration




On aurait dit un peloton d'exécution mais en plus joyeux, ça crépitait de partout!
Ce qui plaisait le plus à Germaine c'étaient tous ces flashs comme on en voit sur la Croisette... enfin, quand on regarde la télé qui filme la Croisette.
Ca avait commencé tôt le matin sur les Champs-Déguisés.
Germaine avait mis son beau tailleur bleu ciel, celui qu'elle avait troqué chez Emmaüs contre notre grille-pain qui grillait trop le pain.
On avait eu la bonne idée de vouloir aller ramasser tout ce crottin que les chevaux laissaient derrière leur cul après le passage du nouveau président.
Pas tellement pour lui éviter d'avoir à faire le ménage après tout le tintouin mais parce qu'on venait juste de refaire notre potager et qu'on avait besoin d'un bon coup de fouet pour les tomates!
A propos de coup de fouet, je dois dire que le service d'ordre est plutôt musclé et que leur taser chatouille pas mal! J'avais le palpitant coupé et Germaine un mal au fondement dont elle se souvient comme de sa première épisiotomie.

Germaine a pas eu le temps de remplir son sac à main de crottin – y donnent plus de sacs plastic dans les supermarchés – qu'on nous a aussitôt emmenés manu-militari c'est à dire sous bonne escorte mais on n'a pas eu droit au Véhicule Léger de Reconnaissance et d'Appui parce qu'il n'y avait pas assez de place ou que ça sentait pas très bon; on se doutait aussi qu'on n'irait pas dans la même direction que tout le tintouin pour pas déranger le protocole.
On a eu droit à un panier à salade fermé, c'était pas plus mal puisqu'il s'est mis à pleuvoir un peu – juste des gouttes d'eau, pas des baffes parce que c'était jour d'investiture – jusqu'au commissariat du 8ième.
C'était vachement bien organisé puisqu'on était attendus par le peloton de photographes comme j'ai dit plus haut...
Germaine était aux anges, pas fâchée d'étrenner son beau tailleur malgré la pluie qui le délavait un peu... on devrait se méfier des grandes marques de chez Emmaüs.
Alors par orgueil on a posé comme on a pu sous la mitraille et les flashs pendant que le service d'ordre nous traînait à l'écart.
C'est pour ça qu'on a un air penché sur les photos mais Germaine dit que ça fait plus naturel, moins Sophie Stiqué – je peux pas connaître toutes les Sophie – alors on a acheté tous les exemplaires de Paris-Match ce matin chez notre libraire pour les revendre un bon prix aux voisins de notre quartier.
Ils vont en baver des ronds de chapeau... et nous on nous a promis une citation dans notre casier subsidiaire.


samedi 13 mai 2017

Ubac or not ubac ?


Publié aux Défis Du Samedi





Depuis le jour où ont été créés le soleil, l’hémisphère Nord, les montagnes et les vallées les ubacquois et les ubacquoises vivent dans l’ombrée tandis que les adretois et adretoises vivent dans l’adroit.

Tout le monde ne peut pas naître du « bon côté » de la montagne sinon la montagne déséquilibrée basculerait, de même que le soleil ne peut éclairer les deux versants de la même manière sinon à quoi servirait l’ubac ?

Ainsi les ubacquois vivaient dans l’ombre quand les adretois vivaient dans la lumière et c’était ainsi, les uns condamnés à grelotter et choper la crève quand les autres grillaient et se ratatinaient au soleil.

Un versant sentait la tisane et le grog quand l’autre versant sentait la merguez et l’huile solaire.

Alors chaque année ceux qui n’en pouvaient plus de grelotter votaient pour élire le roi de l’adroit et ceux qui en avaient assez de griller votaient pour élire le roi de l’ombrée.

Bizarrement le roi de l’adroit était cousin du roi de l’ombrée; ils avaient eu la même nurse, les mêmes couches culottes, avaient été élevés dans les mêmes principes, avaient suivi les mêmes études de roi et régnaient pourtant sur deux peuples qui s’enviaient à tout instant.

Certes l’herbe était plus verte chez les uns que chez les autres mais qu’y faire ?

Un jour vint à passer au creux de la vallée celle qu’on baptisa aussitôt la reine des tièdes et dont les deux rois tombèrent éperdument amoureux tout comme tous les ubacquois et tous les adretois.

Le roi de l’ombrée en fut tout cramoisi quand le roi de l’adroit fondit sur place bien plus qu’il ne le faisait chaque jour. 

Mais dans les contes une reine – fut-elle reine des tièdes et pas farouche – ne peut épouser deux rois tout comme le soleil ne peut sourire aux deux pentes d’une montagne en même temps.

Elle leur raconta qu’elle venait de l’hémisphère Sud, un endroit curieux où ceux exposés au Sud grelottaient et ceux exposés au Nord grillaient et s’enviaient tout autant… ce qui ajouta à leur confusion.

Il décidèrent donc que le mieux était de ne rien faire et de laisser la reine des tièdes choisir son amoureux.



Des siècles plus tard les ubacquois continuent à grelotter, les adretois à griller et les deux cousins-rois à se morfondre… et tous les hommes quel que soit leur versant élisent et réélisent leur célibataire reine des tièdes.














samedi 6 mai 2017

Paris s’éveille


Publié sur le site MilEtUne sur le thème: Pièces à conviction






“Cinq heures du matin, Paris s’éveille“ sifflotte l’inspecteur La Bavure.
Alice, escortgirl parisienne, et Marcel, amiral de la marine suisse, sont retrouvés morts et menottés l’un à l’autre sur un banc du parc Monceau.



“Y a une marine en Suisse?“ s’interroge Ouatson en se grattant la tête.

“Faut croire“ lui répond Ouatelse, assistante fraîchement recrutée afin d’assurer la parité dans ce monde de brutes du 36 Quai des Oeufs Frais “puisque le chef l’a lu sur son passeport“.



“Vous trouvez pas ça bizarre, chef que ce Marcel porte justement un jersey blanc comme  Bruce Willis dans Piège de cristal ?“ ose Ouatson coutumier des questions saugrenues.

L’inspecteur semble perdu dans ses pensées, ignorant la question de Ouatson :“Ces deux-là menottés sur un banc… ça me fait penser à Musso“.

“Vous voulez dire Musseau… le patron du Café Laurent en bas de chez nous, chef?“ ose Ouatson en se grattant la joue.

La Bavure soupire :“Musso, l’auteur du roman Central Park, Ouatson!“



Le médecin légiste a extrait l’objet de la bouche de l’amiral et le tend à Ouatson :“C’est un harmonica Hohner, le modèle Marine Band… des millions d’exemplaires dans le monde, on en tirera rien“

Ouatson le porte à sa bouche :“On doit bien pouvoir en tirer quelques notes“ dit-il en recevant une violente bourrade de son supérieur.

“Non mais vous êtes taré mon vieux! Une pièce à conviction, ça ne se met pas en bouche!“ hurle t-il “Allez plutôt faire un tour chez cette Alice avec Ouatelse, c’est juste en face!“



L’appartement est en grand désordre mais les deux experts ont tôt fait de dénicher des indices majeurs: deux tickets de cinéma et un tube de rouge à lèvres d’une grande marque en 4 lettres commençant par D.

Ouatson avise la cafetière “la même qu’oncle Hubert… une Black&Brown FA833“ déclare t-il fièrement “ça maintient au chaud pendant 4 heures… d’ailleurs ça tombe bien c’est encore chaud“.

Ouatelse s’impatiente :“Non, Ouatson! On n’a pas l’temps d’en prendre une tasse“.



Elle prend pourtant le temps de retoucher ses lèvres avec ce tube-indice-majeur qui aurait de toute façon séché dans une boîte au 3ième sous-sol des archives.

Ouatson s’impatiente à son tour :“J’aurais eu l‘temps de prendre un caoua! Bon, qu’est-ce qu’on fait des tickets d‘cinoche?“

“Ben… rien… y doivent être foutus“ répond la donzelle aux lèvres repeintes.

“C’est marrant“ remarque Ouatson “les numéros se suivent et se ressemblent… 0546794 et 0546795“

„Ils devaient surement être assis côte à côte“ conclut Ouatelse en s’observant dans une glace  “c’est Dior Addict! Elle s’emmerdait pas la fille!“

“Dior Addict? Connais pas ce cinéma dans le quartier“ bredouille Ouatson en empochant les deux tickets.

“C’est pas un cinéma, Ouatson… c’est la marque du rouge à lèvres!“ rectifie Ouatelse “Allez! On se tire“



“Six heures du matin, Paris s’éveille“sifflotte l’inspecteur La Bavure qui bat la semelle devant le banc où les deux corps ont été recouverts d’un drap :“C’est pas trop tôt! Alors? Des indices?“

Ouatson soupire :“Des banalités, chef. Y z’étaient ensemble au cinéma et la fille se maquille chez Dior par contre quelqu’un a fait du café y’a moins de 4 heures!“

La bavure fulmine :“Et vous pouviez pas l’dire plus vite? L’assassin était peut-être encore là!!“



Ouatson n’a pas son pareil pour esquiver les sujets qui fâchent :“En tout cas chef, l’amiral avait une drôle de façon de jouer de l’harmonica!“ et il ajoute avec un clin d‘oeil à Ouatelse “y risquait pas de s’irriter les lèvres, hein?“




Téléscopage


Publié aux Défis Du Samedi







La souillarde – d’autres disent cuisine –  était déserte, aucun témoin oculaire en vue à l’heure sacrée de la sieste, Jeannot se haussa à la hauteur d‘une des boîtes de lentilles, s’en saisit puis remit de l’ordre dans le placard.

Tante Jeanne n’y verrait que du feu.

En faisant deux petits trous dans cette boîte de lentilles, Jeannot ne visait qu’un seul objectif: se construire une lunette à bas coût, une comme il en avait tant vu dans les vitrines de Noël mais à des prix astronomiques; il en bavait d‘envie.

Maintenant il devait tester son invention et il ne s’agissait pas de regarder tous azimuts; il lui fallait trouver une cible de choix.

Il monta à l’étage où tante Jeanne était allée se reposer et braqua machinalement sa boîte magique sur le trou de la serrure de sa chambre.

Au début il ne vit rien qu’une nuit sans étoiles mais comme il allait pester contre son invention, il y eut comme un ronflement puis un mouvement sur le lit et une lune apparut, une grosse lune parfaitement ronde qui semblait lui sourire.

La planète callipyge rayonnait malgré un certain flou qu’il qualifia d‘artistique, elle palpitait comme un coeur ou bien c’était le sien qui explosait dans sa maigre poitrine!



Haletant, il observa l’astre blême pendant un long moment jusqu‘à s’en tordre le cou, jusqu’au bruit alarmant des pas d’oncle Hubert dans l’escalier.

Jeannot s’éclipsa dans sa chambre, serrant crânement son télescope de fortune dans ses bras: il n’en croyait pas ses yeux, ça avait fonctionné !

Derrière la mince cloison, des chuchotements puis des soupirs et des bruits divers s’étaient installés.

C’était donc vrai ce qu’on racontait sur les pouvoirs insoupçonnés de la lune… la mer qui montait, les cheveux qui poussaient, le sang qui bouillait, les femmes qui pondaient leurs marmots!



Après un temps interminable comme on peut en mesurer à l’heure où les grands font la sieste, les bruits divers cessèrent d’un coup; Jeannot attendit un peu avant de sortir discrètement de sa chambre non sans avoir caché son invention sous son lit. Demain, il se faisait fort d’aller observer les planètes jumelles de ses cousines.

Dans la pénombre il ne vit pas Oncle Hubert sorti vivement de sa propre chambre et qui le télescopa en s’empêtrant dans les bretelles pendantes d’un pantalon tout aussi pendant :“Cré vindiou!“ tonna t-il de sa grosse voix “tu peux pas plutôt aller traînailler déhors avec ce soleil?“



Jeannot faillit lui faire remarquer que l’astre du jour ne présentait plus aucun intérêt pour lui dorénavant mais il se ravisa. Oncle Hubert ne devait rien savoir de sa nouvelle passion.

Plus tard il serait astronome ou voyeur… si les boîtes de lentilles n’avaient plus de secret pour lui il ignorait le terme exact pour décrire ce si beau métier.







 




















lundi 1 mai 2017

La guerre de Troie


 Publié aux Impromptus littéraires avec les 4 mots et la phrase imposés





Depuis que son mari avait été élu chorège par décision du Conseil municipal pour le concours de tragédie grecque d’Issy-les-Moulineaux, madame Dugenou la concierge ne vivait plus ou plutôt elle vivait à l’heure d’Eschyle et de Thémistocle soit quinze bons siècles d’écart.

Je l’avais baptisée madame Dugenou car c’est dans cette position ambiguë que je l’avais toujours croisée pour ne pas dire enjambée dans l’escalier en partant à mon travail.

Dans son bel enthousiasme et par souci du détail le mari l’avait obligée à chausser des cothurnes ce qui lui faisait une belle jambe pour passer la serpillière!

Car un va-et-vient incessant d’artistes amateurs et de va-nu-pieds animait l’immeuble du rez-de-chaussée jusqu‘au “ciel“, le dernier étage où s’entraînait la troupe composée à la hâte.

Par le judas de sa loge Madame Dugenou crut reconnaître tour à tour les serveurs du Café de la Paix, un contrôleur du RER, un chargé de clientèle de l‘agence Picsou, le bedeau de la paroisse saint Benoît et même une besogneuse du quai Stalingrad à la crinière flavescente et au décolleté bien rempli.



Calfeutrée dedans sa loge, la concierge priait en vain pour que cesse ce marathon de satyres beuglants et de bacchante dépoitraillée. Son mari ne l’appelait-il pas maintenant Hélène dans ses nuits au sommeil agité ?

Elle l’aurait bien envoyé se faire voir chez les grecs mais Monsieur Dugenou était devenu intouchable au propre comme au figuré, il avait pris la grosse tête: c’est qu‘il montait la guerre de Troyes, et non pas la guerre de Troie car ses origines champenoises venaient de ressurgir sous la forme de bouffées d’orgueil qui lui donnaient le teint rubicond et l’oeil pétillant du créateur investi d’une haute mission.

Dorénavant le Maître ne portait plus que socquettes Olympe et slips Athena.

Pour monter une telle tragédie, monsieur Dugenou se perchait dès le matin à califourchon sur une haute chaise d’arbitre empruntée au club de tennis voisin; de son perchoir il dirigeait sa troupe hétéroclite au rythme désordonné d’un absentéisme sauvage et au gré des vocations contrariées…



Dans l’escalier qui mène à la gloire, la belle Hélène – j’appris plus tard qu’elle se prénommait Raymonde – chaussée de ses cothurnes s’échinait de plus belle.

“Je vois bien que nous ne sommes, nous tous qui vivons ici, rien de plus que des fantômes ou que des ombres légères“ déclamait celui-là même dont elle décrottait les traces boueuses sur les marches.

“La parure des femmes, femme, c'est le silence“ clamait un autre quand elle se retenait de crier “Essuyez vos pieds, Bon Dieu!“.

Et dire que la copropriété unanime avait rejeté toute idée d’un ascenseur!

Un acteur peu scrupuleux osa même : “Un jour suffit pour faire monter ou descendre toutes les fortunes humaines“ sous les applaudissements de la troupe conquise.



C’en était trop!

Monter ou descendre… telle n’était plus la question, elle fit son choix.

Raymonde Dugenou dite Hélène quitta sur le champ ses cothurnes pour des chaussures plus adaptées à la fuite et apposa ce petit mot sur la loge – non sans avoir hésité sur l’accent circonflexe – à l’attention de son mari:



Je quitte Issy pour Pâris.

Adieu



La guerre de Troie était officiellement déclarée.

Monsieur Dugenou chercha vainement Hélène pendant huit ans dans le 16ième rue Giraudoux où ils avaient vécu autrefois…

Pourquoi diable quitter ici pour Paris? Il cherche encore la réponse