mercredi 29 avril 2020

Régime Vichy

Publié sur le site MilEtUne Histoires d'après l'illustration



« T'es rouge ou vert, toi ? »
« Moi j'préfère les jaunes»
« Y'a pas de jaune ! »
« Comment ça Y'a pas de jaunes ? J'en mets dans mes ratatouilles »
« Quelle ratatouille ? J'te parle de ton département »
« Quel département ? »
« J'te demandais si ton département était rouge ou vert ? »
« Qu'est-ce que j'en sais moi … j'suis dans le Doubs »
« Ah … alors dans le Doubs, abstiens-toi … Hi Hi Hi »
« J'comprends rien à ton histoire de couleur de département »
« T'es pas au courant que Philippe vient de repeindre les départements pour le déconfinement ? »
« Philippe ... Pétain ? Alors c'est la fin de l'Occupation ?»
« J'te parle d'Edouard Philippe … y'a longtemps que t'as pas écouté les nouvelles à la radio ? »
« Pas depuis que ma TSF a rendu l'âme … alors c'est quoi ton histoire de déconfinement ? On va avoir une pénurie de poivrons jaunes ?»
« Ça serait trop long à t'expliquer, Marcel. Tu devrais d'abord aller t'acheter un transistor »
«Je crois qu'ça vient d'la lampe»
« De quoi tu m'parles ? »
« Ben, de la lampe de ma TSF qui s'allume plus, pas facile à trouver une double-triode ECC81»
« T'es exaspérant Marcel ! Tu sais quoi … pour allumer ta TSF, tu devrais essayer les allumettes »
«Et toi tu devrais arrêter le picrate»
« Pas de risque Marcel, je suis au régime Vichy depuis longtemps »
« Ah … comme moi, alors »





samedi 25 avril 2020

Pecunia non olet

Publié au Défi du Samedi sur le thème de l'urinoir



L'endroit est froid, épuré, aseptisé aussi n'y vais-je que quand j'en éprouve le besoin.
Le lieu est quasiment désert à part ces deux vieux que j'appelle des vieux à débit immédiat et qui secouent sauvagement leurs bourses en quête d'une ultime liquidité.
Moi j'ai terminé de déposer les miennes depuis longtemps; j'étais pressé de me débarrasser de ce fardeau accumulé au fil des heures.
On dirait qu'ici tout le monde est pressé – certains triturent on ne sait quoi dans leur poche – il y en a même qui vous bousculeraient malgré les restrictions de proximité pour vous prendre la place.
On nous serine qu'en cette période d'incertitude ça ne sert à rien de thésauriser et que garder ça sous son matelas ou dans l'armoire sous une pile de draps ça n'est pas très sain …
Qui possède encore une pile de draps de nos jours ?

Ici un écriteau signale fort à propos qu'il ne faut pas en mettre à gauche ; j'ajouterais qu'il ne faut pas en mettre à droite non plus.
Où tout ce flot s'en va t-il ? Quelqu'un s'est-il déjà posé la question ?
Et je ne parle pas des grosses commissions pour lesquelles il est prévu des endroits fermés à l'abri des indiscrétions … et des jalousies.
En posséder trop c'est louche, ça sent mauvais.
On est là pour satisfaire un besoin naturel quelle que soit notre position religieuse – debout ou accroupi – notre couleur de peau – uriblanc ou urinoir – ou nos penchants politiques – gauche, droite ou centre – ou quel que soit notre sexe, même s'il y a des accès distincts pour éloigner les hommes des femmes.
Autour de moi les deux vieux se sont vidés et repartent en bouclant leur coffre à ceinture et bretelles, calculant déjà leur prochaine échéance sur l'échelle prostatique …
Un autre écriteau signale qu'il ne faut rien jeter d'autre qui pourrait freiner le débit et la bonne marche de l'institution.

Heureusement dans l'agence que je fréquente assidûment il y a Huguette qui veille à la bonne marche de l'institution.
Avec elle, pas besoin d'écriteau. Il suffit de lire dans son regard pour savoir si on a bien fait ou fait de travers, ou fait à moitié.
Huguette a le regard intraitable des gens assermentés, elle veille sur La Populaire du Grand Ouest située Place de Bourse (ça ne s'invente pas) où elle officie du lundi au samedi.
Si l'on n'est pas pressé on peut lire au dessus de la porte d'entrée et en lettres d'or «Pecunia non olet » ce qui veut dire L'argent n'a pas d'odeur ; il faut dire que Huguette n'est pas avare de désodorisant.

Ah elle pourrait vous en raconter des histoires, des incivilités des empêcheurs de déposer, des excités de tout poil, des barjos de la bourse.
Elle pourrait vous montrer comment on vire les petits branleurs avec un « C'est pas la banque du sperme, ici» bien senti ! C'est qu'elle s'y connaît en virement, Huguette.
Elle pourrait vous parler des voyeurs qui parient à celui qui a le plus gros pécule, des exhibitionnistes du découvert, des tordus de la main levée, de ceux qui émargent avant de sortir – laissant leur signature à la postérité des lieux – des amateurs de compte joint qui se retrouvent chez les dames sans parler des échangistes et de ceux qui se vengent contre la porte, comme des chiens après la fermeture de l'agence.

Les mauvaises langues disent que Huguette pratique des actes sous sein privé mais moi, je l'ai surtout vue faire le ménage et la police et puis son patron le receveur Vespasien parait plutôt tyran que souteneur.
Si je devais ne faire qu'une critique au sujet de cette agence ça serait qu'il y manque des toilettes, mais ça n'engage que moi.

lundi 20 avril 2020

Mon ours et moi

Publié sur le site Treize à la douzaine
(13 mots à placer)



Ceci est mon quotidien : Au réveil je me touche partout pour vérifier que je suis moi et que ma respiration est conforme à la norme puis j'attrape le vase de nuit et vérifie que la couleur de mes urines nocturnes est plus proche de celle des jonquilles que de celle des coquelicots.
Alors, rasséréné je cajole mon ours brun dont le poil part en lambeaux comme la barbe de notre Premier ministre mais il paraît que c'est normal après huit ans de confinement …
Les sots disent que c'est à cause de la colère d'être emprisonnés.
Lors je sors de mon lit pour une rapide virée dans le frigo puis je remonte me coucher avec des victuailles et surtout du miel pour nounours.
Entreprendre c'est le leitmotiv qui passe en boucle à la télé, enfin pour ceux qui la regardent encore ; moi je préfère jouer avec mon nounours qui perd son poil.

samedi 11 avril 2020

C'est Ektorp

Publié au Défi du samedi sur le thème du sofa, ce merveilleux siège de notre confinement ...




Je me souviens qu'il est arrivé un vendredi.
J'en suis sûr parce que le vendredi c'est jour de brandade et on en avait mangé à la maison.
D'ailleurs j'ai été malade le lendemain et c'était un samedi.
Pourtant Germaine n'a pas son pareil pour dessaler la morue mais c'est pas le sujet du Défi.
Il a eu du mal à passer par la porte mais dans l'immeuble y a pas d'autre solution.
On l'a entendu arriver au bruit que faisait la concierge !
Madame Dugenou – je l'appelle comme ça parce que je la vois toujours à genoux dans l'escalier – hurlait qu'elle ne voulait pas le laisser monter vu qu'on est confinés mais il était assez baraqué pour avoir le dernier mot.
Et puis on sentait que les deux malabars masqués qui l'accompagnaient étaient du métier.

Germaine était aux anges ; elle a toujours aimé les gros bras ce qui ne l'a paradoxalement pas empêchée de m'épouser.
Donc il est entré par la porte, tout rouge après avoir monté les cinq étages et aussi parce qu'il était naturellement rouge, le rouge Lipstick comme dit Germaine qui lit Closer …
La concierge suivait – plutôt rouge tomate et essoufflée d'avoir gueulé – curieuse de savoir où on allait l'installer.
Pas facile de leur trouver leur place quand c'est votre premier.
Je ne sais pas comment vous avez fait pour votre premier ; nous on avait galéré au fil des ans avec le vaisselier – celui qui gère la vaisselle – puis avec notre plumard – un King size de chez Galipette&Co – puis avec le secrétaire – Germaine voulait un secrétaire particulier – puis avec mon Dyson mais ça j'en ai déjà parlé.
« C'est gros pour un canapé » a commenté la concierge.
Germaine était furieuse et elle est montée dans les tours : « C'est un sofa, pas un canapé ! ».
J'allais m'informer de la différence quand Germaine a enchaîné : »Un canapé c'est deux places et un sofa c'est trois places ! »
Ce machin avait trois places alors qu'on n'est que deux à s'asseoir ici.
Ca sentait l'arnaque. Ce truc rouge Lipstick avait un bras droit pour un droitier et un bras gauche pour un gaucher mais qui allait occuper la place du milieu ?
Les deux malabars masqués se poussaient du coude. Non, ça ne pouvait pas être eux.
« C'est Ektorp » a dit Germaine.
J'ai aussitôt pensé à un roumain ou à un turc alors j'ai bredouillé : « et il sort d'où ce Ektorp ? »
«Mais il est là, gros naze» a dit Germaine en montrant le truc – il faudra que je m'habitue à dire sofa – « on va le mettre devant la télé »

C'est chaque fois pareil, quand on reçoit quelqu'un Germaine l'installe devant la télé comme si c'était le raffinement suprême de regarder les Feux de l'amour en sirotant un jus de goyave.
Alors on a poussé mon fauteuil – Germaine dit Voltaire depuis qu'elle lit Closer – pour faire la place au sofa … ça y est, je l'ai dit.
Va falloir que je m'habitue au rouge Lipstick.
La concierge s'était vite habituée, déjà assise dedans – on dit dedans ou dessus ? – avant même que les malabars masqués ne se démasquent pour réclamer un pourboire.
«Il est confortable votre canapé » a osé la concierge.
Germaine était furieuse et elle allait remonter dans les tours quand je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai crié : »Un canapé c'est deux places et un sofa c'est trois places ! »
Germaine m'a lancé un regard reconnaissant avant de m'inviter à tester notre sofa.
Je dois reconnaître qu'entre Germaine et la concierge, la petite place qu'elles m'avaient laissée au milieu était assez confortable.
J'ai refilé dix balles aux malabars masqués et on est restés seuls, enfin tous les trois à regarder l'écran vide.
Je ne sais plus quel célèbre inconnu a dit : « On naît, on achète un canapé et puis on meurt » et cette pensée m'a tellement fichu le bourdon que je suis allé me coucher direct.


mercredi 8 avril 2020

Bébert et le toboggan

Publié sur le site MilEtUne d'après le thème suivant et le mot imposé "génie" ...

« Ca y est ! Ils l'ont fait ces bouffons »
« Qu'est-ce qui t'prend, Bébert ? »
« Y z'ont fermé mon laboratoire d'expériences »
« Y z'ont tout fermé ? »
« Ouais, Lucette … le toboggan, le bac à sable, enfin tout le matos quoi ! »
« Pourquoi y z'ont fait ça ? »
« T'es pas au courant Lucette ? Tout est bouclé because The Confinement »
Lucette saute de joie : « Alors tu vas pouvoir venir jouer dans ma chambre avec mes poupées ? »
Albert lui tire la langue, encore inconscient que cette mimique vaudra cher plus tard... bien plus tard.
« Plus tard Lucette. Faut que j'monte quelques seaux de sable dans ma chambre si j'veux poursuivre mon taf»
Lucette fait la moue, c'est ce qu'elle sait faire le mieux parmi toutes les mouflettes de l'immeuble : « ça peut pas attendre tes petits pâtés de sable ? »
« C'est essentiel pour fignoler ma théorie du mouvement brownien, mais y'a que les génies pour comprendre ça»
Lucette minaude, c'est ce qu'elle sait faire le mieux etc : »Tu crois que j'ai pas vu comment tu mates mes poupées ? »
Songeur, Albert ignore la remarque : « Est-ce que tu crois que l'inertie d'un corps dépend de son contenu en énergie ? »
« De quel corps tu parles, Bébert ? »
« Laisse tomber … retourne à tes Barbies »
Moqueuse, Lucette fronce les sourcils : « Et comment y va faire le p'tit génie sans son toboggan ? »
Albert semble résigné : « Je sais, y'a que l’expérience qui peut décider de la validité d’une théorie mathématique» et en soupirant « ça va laisser du temps à ma vioque pour repriser mes fonds de culotte » …
Il retourna vers sa chambre en marmonnant.
Cette histoire de viande de pangolin le turlupinait et – nom d'un Einstein – il devait tirer ça au clair ...