samedi 27 décembre 2014

Le plus beau jour de ma vie

Publié aux Défis Du Samedi pour qui les bons contes font les bons amis 
 
 

 
Chaque année à la même période, la Chose revenait où on l'attendait le moins.Nul ne savait qui apportait la Chose pour la déposer dans les endroits les plus improbables.
Les spéculations allaient bon train au village et - trois jours avant Noël - on ne comptait plus ceux qui avaient aperçu la Chose au cimetière, dans le champ du Matthieu ou encore sous le préau de l'école communale.
Nous autres - libérés pour deux semaines de toute obligation scolaire - courions aux quatre points cardinaux pour être les premiers à vérifier si la Chose était enfin arrivée.
Celui qui verra la Chose le premier vivra le plus beau jour de sa vie” répétait le vieux Simonot qui en avait vu d'autres.
On ne savait pas quels autres il avait vu mais le bout de sa canne pointé au ciel achevait toujours de nous convaincre.
C'est Bébert qui avait eu envie d'aller voir par hasard si la Chose n'avait pas atterri au lavoir mais comme j'avais eu la bonne idée de couper par la ruelle de la Célestine, j'arrivai bien avant la meute des copains, aiguillonné par les rugissements du molosse de ladite Célestine.

Et elle était là... pas la Célestine mais la Chose.
J'ai d'abord cru à un nuage, un gros nuage bleu comme l'indigo dont les femmes teintaient les draps, les jours de grande lessive.
Et puis en m'approchant je les ai reconnus... des dauphins ailés comme ceux de mes livres de coloriage sauf que ceux-là scintillaient de mille étoiles.
Comme la meute des copains se rapprochait en hurlant je me dépêchai de répéter la phrase magique du vieux Simonot qui en avait vu d'autres:Çui qui verra la Chose le prem's vivra le plus beau jour de sa vie”.

 
Alors le bruit de la meute lancée sur mes traces cessa d'un coup et le plus gros des dauphins - celui qui était en bas à droite du groupe mais que vous ne verrez jamais - vint poser son nez dans ma main et cliqueta:”Aujourd'hui sera le plus beau jour de ta vie”.
Si je comprenais la langue dauphin... alors je devais pouvoir la parler!
Plus beau que tout ce que j'ai déjà vécu?” demandai-je dans un dauphinois hésitant.
La Chose avait l'air de me comprendre puisqu'elle siffla:”Bien plus beau”.
 Plus beau que les câlins de mes parents?” insistai-je dans un dauphinois approximatif.
Bien plus beau” gloussa le dauphin avec une petite pointe d'agacement.
Je sais que chez le dauphin ailé, la petite pointe d'agacement se dresse à la base de la nageoire caudale mais je feignis de n'avoir rien remarqué.
 Plus beau que les virées dans la Juva 4 d'Oncle Hubert?” insistai-je effrontément.
Oui, bien plus beau” s'énerva le dauphin qui se fichait pas mal de la bagnole d'Oncle Hubert.
Plus beau que les...”
 Ca suffit!” trompeta le dauphin.
 Je ne souhaite à personne d'entendre trompeter un dauphin qui a le tarbouin dans votre main... c'est insupportable, et ça vous passe l'envie de poser des questions.
Comme je m'excusais - avec toute la délicatesse qu'autorise la langue dauphinoise - La Chose m'intima l'ordre de l'enfourcher.

 
C'était doux et chaud comme quand je montais le percheron du Matthieu, mais sans cette infâme odeur de paille et de crottin.
Je dirai que ça viaunait plutôt les effluves marines, ces relents d'iode et de varech que j'avais découverts en même temps que les côtes sauvages de Quiberon aux dernières vacances d'été.
Es-tu prêt pour la plus belle journée de ta vie?” jappa la Chose.
Les autres dauphins piaffaient d'impatience et les étoiles se mirent à clignoter frénétiquement, un peu comme la guirlande électrique qu'on avait une fois branchée par erreur sur le triphasé!
La Chose toute entière n'attendit pas ma réponse et décolla en deux temps et trois coups de queue.
Cramponné aux ailes battantes, j'eus à peine le temps de voir disparaître le petit rectangle du lavoir et plus loin un groupe stupéfait de fourmis vociférantes.

 
 Cré vain dieu! Le vieux Simonot qui en avait vu d'autres disait vrai!
Je me sentais libre, invincible et je chantais, je criais à tue-tête: “Je vais vivre le plus beau jour de ma vie, plus beau que tout ce que j'ai déjà vécu, plus beau que les câlins de mes parents, plus beau que les virées dans la Juva Quatre d'Oncle Hub...”
Un concert de trompettes me transperça les tympans tandis qu'une nageoire invisible bâillonnait ma bouche jusqu'aux oreilles!
J'étais muselé mais fin prêt pour vivre le plus beau jour de ma vie comme disait le vieux Simonot qui en avait vu d'autres... et vous n'en saurez pas plus.
 
 
 
 
 
 

samedi 20 décembre 2014

Belle florentine

Publié sur le site MilEtUne d'après le cliché de Alberto Di Donato
 
 
 

 
Quand montera sur nous la couette duvetée
des brumes du matin jusqu'à nos yeux rougis,
j'éteindrai doucement la dernière bougie
qui nous tint éveillés bien plus qu'à satiété.
 
Quand le premier rayon bravant la jalousie
sur ton sein turgescent découpera sa lame
revigorant d'un coup une pressante flamme
je n'aurai qu'une envie, jouer les mafiosi.
 
Ne pouvant résister à l'appel de l'aurore
tu quitteras le lit, ma belle florentine
sur ta bouche charnue une moue enfantine.
 
Je viendrai au plus près voir au fond de tes yeux
l'horizon Apennin brûlant de mille feux
et sentir frissonner tes hanches en amphore.
 

lundi 15 décembre 2014

Tango-hésitation

Publié aux Impromptus Littéraires en réponse au thème "Indécision"
 

 
 
Il parait que j'ai longtemps hésité entre venir par le siège et par la présentation transverse pour finalement débarquer classiquement c'est à dire par voie basse tout en braillant à tue-tête, ce qui me semble parfaitement contradictoire... enfin, je crois.
J'arrivai ainsi en pleine incertitude dans un monde impitoyable où j'allais m'adonner à une interminable valse-hésitation dont j'hésite à parler ici.
 
Tétine ou téton fut un des premiers choix cornéliens qui me fut proposé alors que je n'aspirais qu'à des joies simples, au rythme d'une trilogie sans surprise: miammiam-dodo-caca.
Pour le bleu ou le rose, on avait déjà choisi pour moi avant même mon expulsion - allez savoir comment - et c'est sans doute la seule fois où j'ai manqué l'occasion de m'affirmer: je voulais du rose!!
Ca doit venir de là, l'expression “se faire avoir comme un bleu”... enfin, je crois.
A ce moment si j'avais su parler j'aurais essayé de transiger pour ne froisser personne: rose et bleu, ça doit être vaguement lilas ou peut-être lie de vin, non?
Lie de vin, c'eut été de circonstance pour un p'tit bourguignon... à moins d'un joli camaïeu de bleu sur fond rose. Bref, peu importe, c'est trop tard, j'ai fait dans le bleu.
 
Pour tout le reste ce ne furent que déchirement, louvoiement, tergiversations à n'en plus finir et quand les “Tu vas te décider, oui?” tombaient comme des couperets, j'optais dans la douleur pour une option que je regrettais dans l'instant... Juliette et pas Manon, chat et pas chien, dessert et pas fromage, Beatles et pas Stones, CGT et pas FO, mer et pas montagne.
 
Je ne sais pas si c'est à cause du manque de rose ou de mon penchant à balancer chaque décision mais un beau matin je me suis retrouvé prof de danse... pas de n'importe quelle danse, j'avais choisi le tango argentin.
Plus exactement on avait choisi pour moi. C'est Juliette qui a choisi, même si j'habite maintenant chez Manon... enfin, je crois. J'aime bien Juliette car elle choisit vite pour elle et encore plus vite pour moi. Du coup je me suis résolu à ne pas choisir. Çaa été difficile à prendre comme décision, mais c'est fait: c'est Juliette qui choisit.
J'aime bien Manon aussi parce qu'elle a un chien, qu'elle aime FO, le chaource et les Stones, mais Juliette dit que tout ça n'est pas bien grave, qu'on a toujours le choix dans la vie même si notre inconscient fabrique souvent notre malheur...
 
Dans mon boulot, rien n'est imposé et ça m'arrange. Une fois les fondamentaux - les basicos - acquis par les aficionados, combinaisons, changements d'axe, chacun fait à son idée.
De toute manière il n'y a pas vraiment de diplôme de prof de tango... enfin, je crois.
J'aime bien Esteban, ses cheveux longs et ses hanches mouvantes, même s'il n'aime ni la CGT, ni le chaource, ni les chats.
Il serait plutôt d'extrême droite, il adore le provolone grillé au barbecue et le dogue allemand.
J'habite un peu chez Esteban depuis qu'il est mon partenaire, mais Manon dit que tout ça n'est pas bien grave... enfin, je la crois.
J'ignore qui a osé dire que “le tango, ce sont des visages tristes et des fesses qui rigolent” car entre Estaban et moi tout rigole quand on danse.
 
Quand je serai trop vieux pour suivre les hanches mouvantes d'Esteban, que je devrai quitter ce monde impitoyable, je voudrais qu'on joue pour moi le tango Della Morte ou la Cumparsita - je ne sais pas - avant qu'on m'incinère ou qu'on m'enterre... enfin, faites pour le mieux.  
 
 
 
 
 

dimanche 14 décembre 2014

Soupe à la grimace

Publié sur le site MilEtUne Histoires d'après un tableau de Zinaïda Serebriakova
 


 
 
 
 
 
Alors venait le temps excitant du potage,
d'un crémeux velouté, d'une bisque rouillée
où mes miettes de pain faisaient du canotage
au risque de gâcher la nappe barbouillée
... bateau-mouche
 
La mère nous servait, les « hommes » tout d 'abord
la petite pestait, nous traitait de veinards
tandis que cabotaient mes croûtons à bâbord
je régnais sur ma grande armada, goguenard
... sainte-nitouche
 
Combien de fois pourtant ai-je pris le bouillon
d'un coup de main sournois de la petite peste?
Je repêchais mon bien, fichu tonnerre de Brest
... à la louche
 
D'un regard bienveillant la mère nourricière
désamorçait le duel, la mêlée meurtrière
où allaient s'étriper meneur et trublion
... croquembouche

samedi 13 décembre 2014

Espionnite aigüe

Publié aux Défis Du Samedi, mais Chuut... ne le répétez pas 
 

 
 
C'est bien connu tous les espions bouffent des micro-films, aussi quand j'ai constaté la disparition de ma cassette VHS de Goldfinger le doute n'était plus permis: une espionne vivait sous mon toit!
J'avais déjà repéré son manège quand elle comptait le nombre de morceaux de sucre que je mets le matin dans mon bol de chocolat... cinq.
J'ai découvert que si je faisais mine de n'en mettre que quatre, elle restait en apnée jusqu'à ce que je mette le cinquième... alors elle détournait le regard avec un profond soupir en faisant mine de s'occuper à autre chose.
S'occuper à autre chose! Elle en est bien incapable, trop occupée à vérifier dans la corbeille de linge sale si mes chaussettes vont par paire, si la lunette des toilettes est indemne de toute projection de mes propres urinations, si j'ai bien rebouché à fond le tube de dentifrice, si je n'ai pas jeté un sac plastique dans la poubelle à couvercle jaune, si je n'ai pas chamboulé sa collection de Barbies qui occupe tout le lit, et coetera et coetera!
 
Si je remarque tout ça c'est qu'elle m'oblige malgré moi à espionner tous ses agissements, alors qu'avant je m'en foutais royalement.
Du coup je l'espionne pour être sûr qu'elle est bien en train de m'espionner. C'est le serpent qui se mord la queue sauf qu'il n'y en a qu'une dans notre couple hétéro, la mienne... et de nos rares moments d'intimité, je sais bien qu'elle ne perd pas une miette, la fureteuse.
J'aimerais bien savoir à qui elle “rapporte” mes faits et gestes, car qui ça peut bien intéresser de savoir que je mets cinq sucres dans mon chocolat?
Pas mon patron, ni le fisc. Un amant, peut-être?
A force de l'observer et de fil en aiguille, j'ai découvert qu'elle prend des cours de filature... j'ai trouvé des courriers en langage codé qu'elle reçoit d'un certain Joseph Jacquard à Lyon, mais j'ai réussi à casser le code: c'est du parler lyonnais!
Si elle croit que je ne la vois pas faire la navette en guettant le facteur; je sens bien qu'il se trame quelque chose.
Humm... et si elle avait un amant?
 
Hier soir alors que je visionnais “Rien que pour vos yeux” et surtout la sublime Carole Bouquet, ne choisit-elle pas le moment crucial de la course-poursuite à ski sur le domaine de la station de Cortina d'Ampezzo pour m'interroger sur une certaine Mélina-qui-laisse-tant-de-sms-sur-mon-portable?
Oui, parfaitement ma psychothérapeute s'appelle Mélina No, et alors?
Les autres disent Docteur No, mais je préfère dire Mélina.
Oui elle m'envoie dix sms par jour mais ça fait partie de mon suivi thérapeutique; ça s'appelle la e-thérapie et ça me coûte assez cher comme ça pour ne pas avoir en plus à supporter ses interrogatoires.
Onze sms, pas dix! Elle les a comptés la fouineuse mais je ne polémiquerai pas là dessus.
 
Si j'avais su qu'un jour, moi Jacques Bonde j'accepterais de prendre pour épouse Mattea Harry ici présente pour qu'elle bouffe mes cassettes VHS et me cherche des embrouilles à propos de ma psy...
Elle s'imagine que je n'ai pas repéré la petite webcam incrustée en haut de l'écran de l'ordinateur portable qu'elle m'a offert pour mon anniversaire! J'ai beau y mettre du feutre noir dessus, la vicieuse y passe l'éponge tous les jours.
Je sais que vous ne le croirez pas mais de temps en temps elle met des yeux dans mon potage et ça me coupe l'appétit.
Notre siamois, Octopussy me regarde faire la gueule devant mon assiette... je sais qu'il est dans la combine, l'espion aux pattes de velours.
Si je pouvais le “retourner” celui-là, j'en apprendrais de belles, mais j'aime pas faire mal aux chats, d'autant qu'elle l'a payé une fortune: pensez-donc, un chat équipé de lunettes de vision nocturne à illuminateur infrarouge!
Heureusement Mélina sait tout ça et sans elle, je ne sais pas ce que je ferais face à cette barbouze qui vit sous mon toit.
Tiens justement, un nouveau sms de Mélina: “Vivre et laisser mourir pour 400 euros”.
Ça doit être mon nouveau programme en dix séances et vu ce que ça coûte, je sens bien que ça va marcher!
 
 
 
 
 
 
 

lundi 8 décembre 2014

Plus tard j'en aurai une grosse

Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème: J'ai dix ans 
 

 
 
Tous les jours avec mes parents et ma grande sœur on rend visite à la voisine qui habite sur le même palier que nous.
C'est pas loin et surtout y'a la télé.
Papa dit qu'un jour on en aura une grosse - pas une voisine, une télé - quand ils augmenteront la solde.
Chez la voisine c'est tous les jours pareil : le bébé tète sa mère et on voit le général Massu et tout plein de parachutistes, mais en noir et blanc à cause du camouflage.
Qu'est ce que ça peut picoler un bébé ! Ça doit être pour ça que la maman pleure tout le temps.
Ma mère a dit tout bas que le papa a été  saigné dans une embuscade  et qu'il faut pas faire trop de conneries ici... pour respecter sa mémoire.
J'ai pas compris grand chose mais je m'assois et je regarde le journal télévisé de la RTF ... Massu, Bigeard, Salan et un petit peu le sein blanc de la maman qui pleure en silence.
La RTF montre des endroits bizarres avec des noms pas comme chez nous : Blida, Sidi Bel Abbès, Mostaganem.
Les copains disent Poste-à-galène et je sais toujours pas pourquoi y se marrent.
La maman, elle rigole pas à cause du bébé qui mord son sein blanc et qui lui fait les yeux tout rouges.
 
Aujourd'hui on n'a pas eu droit à la guerre.
Pas parce qu'ils ont arrêté de se saigner mais parce que les russes y z'ont balancé un clébard dans l'espace avec un Spoutnik.
Y disent que la chienne s'appelle Laïka et le chef des russes Croûte Chef.
J'aurais pas dû dire que ça ressemble à un nom de casse-dalle : ça a fait rire personne.
Les russes aussi y z'ont leur guerre mais elle est froide alors que l'autre forcément à Mostaganem elle est plus chaude.
Nous, on en a eu une grosse aussi mais c'était avant que je soye né.
Papa pense qu'un clébard dans l'espace ça peut faire oublier toutes ces horreurs... il appelle ça noyer le poisson !
C'est poilant comme expression alors je l'ai notée dans mon carnet pour servir plus tard.
Après j'ai appris plein de choses utiles comme par exemple pourquoi que les russes ont choisi une chienne plutôt qu'un chien (une chienne plutôt, c'est poilant à cause du dessin animé).
Et ben c'est parce que les chiennes lèvent pas la patte pour pisser et que ça prend moins de place dans la cabine. Ça permet d'emporter plus de gélatine pour nourrir le clebs et forcément c'est autant de place en plus pour ses crottes.
J' aimerais bien avoir une chienne pour mon anniversaire et papa dit qu'on en aura une grosse quand ils augmenteront la solde.
Aujourd'hui pour une fois le bébé ne tétait pas mais la maman pleurait toujours, même quand elle m'a dit « Joyeux anniversaire ! ».
J'ai dix ans, et je viens de vivre une sacrée journée (*).
 
(*) 3 Novembre 1957

samedi 6 décembre 2014

Procrastinus temporis

Les Défis Du Samedi auraient trop de travail le dimanche si on procrastinait le travail... alors, pas une seconde à perdre!  
 

 
- Allumer le Soleil, c'était pas qu'un luxe (le plein soleil vaut 100 000 luxs soit environ 100 000 lumen au mètre carré) vu qu'on n'y voyait que dalle sur Terre.
- Remplir le fond des mers avec de l'eau salée pour faire barboter les vacanciers et mettre de l'eau fade dans les nuages pour emmerder les mêmes vacanciers, c'était assez jouissif.
- Ajouter de la végétation pour y planquer des tigres, des reptiles, des moustiques tigre, enfin des tas de bestioles... c'était délassant.
Mais lâcher des piafs dans les cieux, ça commence à bien faire et des baleines dans la mer, c'est assez!” maugréait Le Tout Puissant. Pour un peu, ça tournait au calvaire!
 
Alors quand il s'est agi de créer les deux zigotos, le Tout Puissant eut un coup de mou, une sorte de grosse flemme, comme une envie de remettre à deux mains ce qu'il savait faire d'une seule, un truc indéfinissable qu'il mit du temps à interpréter.
Ainsi donc lui vint 'pro' qui veut dire en avant et puis 'crastinus' qui veut dire demain.
Au risque d'y perdre son latin, il créa procrastinus et il vit que c'était bien. Pour la première fois il se mit donc à procrastinationner.
C'était bizarre ce nouveau verbe - d'ailleurs il remit à plus tard l'essai de l'imparfait du subjonctif - mais en même temps ça le rendait tout léger, tout guilleret.
Un ange ou un démon - il n'avait pas encore expérimenté la différence - lui soufflait que ces deux loustics pouvaient bien attendre et que personne n'en saurait rien, vu qu'il n'y avait personne. Alors il baptisa ce jour là 'Samedi'... ce fameux jour qui remplit les supermarchés (avant on disait Mammouth) et vide les comptes courants.
 
IL n'en était encore qu'au sixième jour d'une semaine qui devait en compter sept avec ce fameux 'Jour de Lui-même' ou jour du Seigneur qu'il était bien décidé à passer sous la couette (un machin rempli des plumes des piafs qui tombaient du ciel).
 
Au diable l'agenda (agenda, agendus, agendum en latin et planning, planning, planning en anglais)!
Qu'est-ce que ça pouvait bien foutre qu'Adam et sa greluche naissent un dimanche plutôt qu'un samedi?
Ils auraient tout le temps de s'empiffrer de pommes, de poires ou de scoubidum et d'aller forniquer Caïn-caha... et faire tous ces trucs dont j'ai déjà parlé maintes fois et que je ne répéterai pas.
Vous n'aviez qu'à suivre!
En différant la conception des deux zigotos, il retardait d'autant la création d'un tas de machins tous aussi chiants et pas catholiques les uns que les autres comme le slip kangourou, les charentaises (non, pas les charentaises), le rouge à ongles, le fer à friser, le canard vibrant et Closer.
 
Le Tout Puissant procrastinait et il vit que c'était bien, ma foi.
Alors il institua une journée mondiale de la procrastination qui tomberait le 25 Mars, jour de la fête nationale de la Grèce dont le monde entier se fiche pas mal sauf les grecs.
Puis il eut cette phrase malheureuse: “Demain, j'arrête de procrastiner” qu'il regretta aussitôt puisque le lendemain tombait le 'jour de Lui-même' c'est à dire le jour du Seigneur consacré à dormir sous le machin rempli de plumes et caetera...
 
Par sécurité - du latin Sécuritas ou télésurveillance - il inventa la précrastination qui vient de 'pré' et de 'crastinus' et qui veut dire Fissa ou Pronto.
Il décida d'en tester plus tard les effets sur la greluche en la mettant au pied d'un pommier, d'un poirier ou d'un scoubidoutier, enfin il verrait ça plus tard... et puis si ça ne se passait pas comme prévu, il serait toujours temps d'inventer la sérendipité - serendipity en anglais - qui est l'art de découvrir les choses sans le faire exprès, comme les sels de bain d'Archimède, la pénicilline, la tarte tatin, la fourchette en inox ou l'aspirateur sans sac!
 
Il vit que c'était bien et que ça suffisait pour un samedi, et comme c'était la croix et la bannière pour se garer devant le Mammouth, il éteignit le Soleil... il n'y avait pas de petites économies.
 
Pour moi aussi, ça suffit pour aujourd'hui...
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

lundi 1 décembre 2014

Fremont street

Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème : C'est beau une ville la nuit 
 
 
 
 
 
Quand vous en aurez assez d'écouter un gondolier (gondolier) chanter sa barcarole en poussant sa barque sur le Grand Canal du Venetian, que vous aurez trop tremblé pendant l'éruption (eruption) du volcan du Mirage et que vous vous serez assez rafraîchi à la chorégraphie des fontaines (fountains) du Bellagio sur un air de Sinatra ou de Pavarotti... alors quittez le Strip - les trottoirs surchauffés de Las Vegas Boulevard - et en dix minutes vous serez sur Fremont.

La rue Fremont (Fremont street) est une des rares rues piétonnes du centre-ville de Las Vegas.
Le touriste de base n'en verra peut-être rien, attiré comme un papillon de nuit (moth) par le luxe et les attractions spectaculaires qui jalonnent le Strip depuis le MGM et le NewYork-NewYork jusqu'à la tour géante de Stratosphère... et c'est ballot (stupid, idiot).
Arpenter la rue Fremont c'est s'immerger dans l'ancien cœur de ville (antique downtown) du Vegas des années cinquante (fifty-fifty) et c'est à s'en taper le cul par terre (hit the ass off)... d'ailleurs qui vous empêche de vous asseoir au beau milieu de la rue (sit in)?
Vous n'y serez que mieux installé pour assister au spectacle qui anime chaque heure les quatre cent mètres de sa voute lumineuse aux douze millions de leds, le fameux Fremont Street Experience qui vous en mettra plein les yeux et les oreilles au son de Queen, des Doors ou de Bon Jovi (Queen, Doors, Bon Jovi)!
Oubliez quelques instants le gâchis énergétique que représente cette débauche de lumières et laissez-vous aller (let yourself go).
Loin de rivaliser avec le Caesar Palace (Celine Palace), le Bellagio ou le Wynn mais rien qu'en prononçant leur nom le Four Queens, le Stardust ou le Golden Nugget's évoquent aussitôt l'époque sulfureuse où alcool, argent et prostitution succédèrent à la grande dépression et à la Seconde guerre mondiale.
Vous allez y croiser des célébrités increvables : Sinatra, Elvis (The King) mais aussi De Niro et Nicholson enfin... leurs sosies qui n'accepteront un selfie (selfie) avec vous que contre quelques billets verts (ten box).
Quittez la voute lumineuse et entrez dans un de ses vieux casinos où l'odeur du cigare colle aux épaisses moquettes (thick carpets).
Dans le dédale d'un millier de machines à sous, vous trouverez peut-être celle qui vous décrochera le jackpot (jackpot). En tout cas une serveuse court vêtue (waitress) viendra forcément vous offrir une boisson (Margarita frozen) dans l'espoir de vous voir prendre racine (glue, scotch).
Kit Carson? Ca vous dit quelque chose? Oui, celui des cartoons, if you want.
Lui et John Fremont - explorateurs et pionniers (Pioneer, Yamaha) de la conquête de l'Ouest - sillonnèrent les plaines du Nevada bien longtemps avant tout ça et doivent aujourd'hui se retourner dans leurs tombes (turn in their tombs) à la vue d'un tel spectacle!
Vous êtes repu du bruit et de toute cette foule? Prenez un peu de hauteur en vous éloignant en direction du mont Charleston ou en montant sur la colline de Henderson, vous y verrez briller le 'Silver State' d'une lumière incomparable et le rayon laser du Luxor comme un phare éclatant dans la nuit (beacon in the night).
On aime ou on aime pas, mais c'est ça Vegas.

dimanche 30 novembre 2014

Le verso

Publié sur le site MilEtUne Histoires
d'après le trompe-l'oeil “Escapando de la critica” de Pere Borrell del Caso
 
 
 
 
 
Un jour je braverai, j'enjamberai le cadre
où mon maître me mit à grands coups de pinceaux,
je veux de son labeur connaître le verso,
découvrir les secrets de l'obscur et du gladre.
 
Je saurai comment naît un sourire innocent,
la courbe d'un giron, la houle des cheveux,
d'où vient cette stupeur qu'il jeta dans mes yeux,
et sur mes joues d'enfant cet éclat rosissant.
 
De ceux qui ont posé et qu'on nomme modèles
j'aimerais tout savoir, celles qui posaient nues,
celles qu'il rehaussait de divine aquarelle.
 
Du maître del Caso ayant tout mesuré
je rejoindrai - comblé - ce châssis convenu
où je vivrai reclus, certes mais rassuré.