lundi 30 avril 2012

Drisse de Nice

Drisse - Safran - Hauban - Taquet - Manille... mots étranges pour le novice ou évocateurs pour le mousse rompu aux manoeuvres.
Drisse de Nice vous en parlerait mieux que moi mais je ne lui laisserai pas ce plaisir

Voile-humour.gif

Quelqu'un l'avait surnommé Drisse de Nice soit-disant parce qu'il était élancé, maigre et tenace mais je ne compris l'allusion que bien plus tard.
Toujours est-il que ce matin-là, jour de grand départ en stage de voile au club nautique de l'Ancre Bleue, Drisse de Nice nous avait conseillés d'être au taquet, moi à 2 heures et un autre "volontaire" à 10 heures. Comme j'envisageais de faire une grosse sieste sur le pont, je fis remarquer très justement qu'on serait plus efficaces en étant au taquet en même temps, ce à quoi Drisse de Nice répliqua que 2 heures et 10 heures étaient nos positions respectives par rapport à l'étrave du voilier et que le taquet était une cheville destinée à bloquer la drisse.
Pour ajouter à ma confusion il ajouta que le taquet s'appelait autrefois cabillot, ce qui acheva de me dégoûter de la morue.

Comme un malheur n'arrive jamais seul, je dus répéter sans bafouiller: "Le palan d'étarquage de la drisse de pic est constitué d'un martinet passant par trois poulies et un garant".
Fort de cette vérité, je réalisai que je venais de basculer dans un univers étrange, celui de la marine, de ses codes et surtout d'un jargon bizarre qui me rappelait "vaguement" le latin scolaire ânonné sur les bancs  - Drisse de Nice parlait de haubans que je jugeais bien trop hauts pour m'y asseoir - et dont je n'avais retenu qu'un "Fluctuat nec mergitur" particulièrement ad hoc (n'en déplaise au fameux capitaine), un "Allez jacter à l'Est" (devenu bizarrement Allez jacter à Tribord) et un "Mea culpa" qui allait ponctuer chaque instant de ce long et douloureux apprentissage.

L'incident des taquets étant clos (ils disent coincé), je fus désigné pour aller border le phoque mais quand je revins bredouille d'avoir visité toutes les couchettes, Drisse de Nice m'informa vertement que le phoque avait été bordé depuis longtemps et que le bougre de papou des Carpathes que j'étais pouvait retourner à sa sieste!
Je crois que c'est à partir de là que je suis devenu sa tête-de-turc (ils disent l'empech) et qu'il a pris un malin plaisir à me ridiculiser aux yeux de mes compagnons d'équipage.
Ainsi je fus la risée de tous en allant - au péril de ma vie - vérifier le niveau du safran sous l'étambot alors que, pour votre gouverne on le trouve chez moi entre la cannelle et la coriandre dans un endroit moins humide... le placard de la cuisine; je vécus cette épreuve comme un ignoble bizutage.
  
Hormis le cabillot et le safran, je découvrais au fil des classes tous ces termes qui allaient déclencher chez moi une véritable vocation de maître coq... on me parlait d'amer, de génoise, de vérines, d'amariner, d'enfourner, de dessaler, si bien que dégoûté des embruns et de ma cuisante plongée sous l'étambot j'acceptai avec joie la corvée de popotte dans la cambuse.            
Là, j'y rejoignis près de la table à cartes un mousse désoeuvré qui m'initia à la manille tandis que là-haut l'équipage - moins à la fête que nous - attrapait des ampoules à en fixer de plus lourdes sur le point de drisse (encore lui!)
Le roulis aidant, mon moussaillon en mal de confidences me confia qu'il venait de virer de bord et qu'il hésitait entre la marine à voile et celle à vapeur. Tout novice que j'étais je n'avais aucun avis sur la question et me gardai bien de l'influencer, même s'il semblait avoir une préférence pour le gaillard d'avant...

En fait ce qui m'interessait dans la voile ce n'était pas tant les 12 barreaux de l'échelle de Beaufort que la quille et elle survint à temps pour mes compagnons qui goûtaient peu ma cuisine et maigrissaient à vue d'oeil.  
Drisse de Nice nous libéra avec un immense soulagement et malgré une virile accolade à "son" bougre de papou des Carpathes, je reste encore aujourd'hui persuadé qu'il m'avait depuis le début mené en bateau...




vendredi 20 avril 2012

Il disait "Mahler, c'est moi!"

 
 



"On vend pas la musique, non mais on la partage"
pour adoucir les moeurs, réunir tous les âges,
c'est du grand Leonard, un du Massachusetts
qui tricote au piano mieux que nous des chaussettes.

Ah son West Side Story, les Sharks contre les Jets
c'est pas du bel canto, c'est pas de l'opérette,
s'inspirer de Juliette et de son Roméo
un mambo, un cha-cha, deux doigts d'Porto-Rico

Du philharm' de New-York à Vienne ou Amsterdam
il a fait de son art vibrer plus d'un quidam,
partout où il passait, il faisait un Mahler.

Le petit immigré était ensorceleur
il nous laisse ces mots qui sont bien davantage
"On vend pas la musique, non mais on la partage"
 
 
 
publié sur MotImageCitation en hommage à Bernstein

jeudi 19 avril 2012

Cafard



Ah les salopards! Immense et rugueux celui-là, à croire qu'ils l'ont conçu pour nous ôter tout espoir de passer de l'autre côté.
Jusqu'à présent aucun ne me faisait peur... le dernier en date c'était celui qu'on sautait gaiement chaque soir avec les potes du 3ème Bataillon des Marines pour aller voir les filles après le couvre-feu.
Je me souviens aussi de leurs petits seins pointus et de leur drôle de babillage mais on se foutait de leurs chinoiseries; on n'était pas là pour parler et elles non plus.

J'ai beau pousser, ça bouge pas, c'est froid et y a comme une âcre odeur de sueur de tous ceux qui ont dû pousser dessus avant moi.
"Hé toi!! Viens me faire la courte!"
Lui, tout le monde l'appelle le zombie. Il a son mur à lui dans sa tête, et qui l'empêche de voir celui-là. C'est pas un zombie qui m'aidera à passer de l'autre côté, là où l'air est pur et l'horizon infini.
Va falloir que je me démerde tout seul, comme d'hab... enfin, autrefois y avait Johnny.
Bien avant ces murs et toutes ces conneries que j'ai pu faire pour passer le temps et qui m'ont mené ici, je grimpais sur celui de l'école avec l'aide de mon pote Johnny.
Pour moi un pote c'était avant tout un gars qui pose pas de questions et qui a du souffle et des épaules solides pour la courte!
Le mur de parpaings nous séparait, nous les garçons de la cour des filles pour nous priver du spectacle de leurs nattes blondes et de leurs jambes nues qui tricotaient sur la marelle à nous en faire pleurer les mirettes... comme si c'était mal de regarder.
D'ailleurs les filles trouvaient pas ça mal sinon elles auraient moins ricané en se balançant des coups de coude.

Bien souvent ça finissait au piquet, le front baissé contre celui - gris et poisseux - du bureau de l'instit, à compter pendant une heure les lames du vieux parquet poussiéreux où s'aventurait parfois une fourmi inconsciente.
Ah j'en ai écrasé des fourmis, plus par dépit que par méchanceté. J'ai jamais été méchant, un peu brutal à ce qu'ont dit les juges mais pas méchant.
Ici, y a pas de fourmis mais des cafards et vu qu'ils sont plus nombreux que nous, on leur fout la paix. C'est aussi pour ça qu'y sont plus nombreux et de toute façon on n'a plus de semelles à nos chaussures.
Je me demande bien ce qu'ils peuvent trouver à bouffer ici à part nos semelles. J'ai lu que ça peut vivre un mois sans boire et sans bouffer et que ça vit encore deux jours après avoir été décapité!
Aucune importance, ici c'est moderne... ils ont la chaise électrique.

Souvent je voudrais être l'un d'eux - cafard, blatte ou cancrelat - pour franchir le mur vers l'autre vie, et je me dis que même s'il y a pas de femelles cafard de l'autre côté, je serais sacrément heureux.
Cafard mais libre. 

mercredi 18 avril 2012

Chapelet

Né le 21 septembre 1928, à la Martinique, Edouard Glissant, immense poète martiniquais laisse une œuvre incomparable, dont la poétique fut résolument une politique.
« L'île suppose d'autres îles », affirmait-il dans L'Intention poétique (1969).



L'île suppose d'autres îles
et d'autres peaux d'ocre, d'argile
noires de jais, jaunes d'Asie
blanches nacrées ou cramoisies.

Qui de l'émir et ses barils
qui du mendiant des bidonvilles
porte sa pierre à l'édifice,
de l'opulence au sacrifice.

Sur la mer des diversités
Glissant poète l'a chanté
telle parole d'évangile:
l'île suppose d'autres îles
 
 

samedi 7 avril 2012

Le pot aux roses

 
Walt Whitman a écrit :
Il y avait une fois un enfant qui sortait chaque jour,
Et au premier objet sur lequel se posaient ses regards, il devenait cet objet...
 
quelle idée j'ai eue de regarder au pied du lit !
 
 


Ce matin-là j'en pris conscience
j'ai du me rendre à l'évidence
j'avais bien changé d'apparence
et pris de la circonférence

Lors assigné à résidence
sommé de garder le silence
j'allais apprendre la patience
autant que gérer l'affluence

Je sais bien que dans l'existence
c'est soit du pot soit la malchance
mais mon corps était en faïence
décor floral, roses et garance

Je devrais parer aux urgences
des accros à l'incontinence
et faire preuve de patience
en supportant la pestilence

A moi grasses proéminences
et les concours de pétulance,
les prudents cramponnés aux anses
et les virgules d'impatience

Les sans-papier, les tue-l'ambiance
vous qui me faites révérence
méfiez-vous du vase d'aisance
mon oeil au fond fait surveillance.
 

dimanche 1 avril 2012

Planetus, Planetum, Planetarium

 


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Au quatrième jour - qu'on appelle Jeudi à supposer que Lundi fut le premier - Dieu décida d'ordonner les planètes en partant de la position du soleil. A cette époque le verbe Ordonner signifiait "Jeter en l'air un sac de billes au petit bonheur" et c'est ce qu'il fit; il ignorait à cet instant qu'il allait susciter quelques siècles plus tard dix huit mille réponses sur Google à la question ô combien nébuleuse : Comment se souvenir de ce Bon Dieu d'ordre des planètes?
D'autant que ce Jeudi-là, les planètes ne portaient pas encore de nom à part la Terre qu'il baptisa ainsi car c'était sa seule bille en terre parmi les agates et les maxi calots...
Chercher à comprendre pourquoi notre brave Terre est coincée entre Venus et Mars reviendrait à relancer la polémique initiée par John Gray appelée couramment "scène de ménage".   
Au fil des siècles et après l'invention de la mnémotechnique on s'est ingénié à former des phrases toutes plus bizarres les unes que les autres dont la première lettre de chaque mot est l'initiale des planètes de M comme Mercure jusqu'à P comme Pluton, la plus éloignée des billes du sac à Dieu.

Ainsi pour paraître érudit ou moins nul devant une question de Julien Lepers ou Laurence Boccolini, on peut entendre un télespectateur marmonner "Monsieur Vous Travaillez Mal, Je Suis Un Novice Paumé" ou encore "Ma Vieille Tante Marie a Jeté Samedi Un Navet Pourri" !!
A cette dernière affirmation, l'érudit s'entendra rétorquer depuis la cuisine par celle pour qui les plats nets sont lavés avec Paic-citron-anti-bactérien "C'est pas à toi qu'ça arrivera d'mettre de l'ordre dans l'frigo au lieu d'roupiller d'vant la téloche".
Quiconque chercherait un rapport entre la Terre et ma Tante, ou entre Neptune et un Navet pourri serait déçu... il n'y en a pas. Il s'agit là d'une singularité de la mnémotechnique qui consiste à remplacer ce dont on ne se souvient plus par quelque chose d'incompréhensible.
Dieu y aurait réfléchi à deux fois en imaginant les phases de la division cellulaire des êtres vivants, à savoir Leptotène, Zygotène, Pachytène, Diplotène, et Diacinèse... s'il avait pensé qu'un jour quelqu'un énoncerait cette monstrueuse mais relative évidence: "Le Zizi du Pachyderme a des Dimensions Diaboliques" !

Mais revenons aux planètes
Les plus grands de ce monde s'y sont essayés tel Gargantua qui proposa "Mais Viendras -Tu Manger Jeudi Sur Une Nappe Propre?" ou Laure Manaudou qui a déclaré pour les qualifications des JO de Londres: "Me Voici Toute Mouillée, Je Suis Une Nageuse Pressée".
Là encore, il n'y a aucune relation entre une Nageuse mouillée, un Navet pourri et Neptune qui lui, règne indiscutablement sur le monde aquatique.
En 1934 dans Un Tour au Paradis, Sacha Guitry aurait déclamé "Mon Vieux Théâtre Me Joue Souvent Une Nouvelle Pièce" et à la même époque Armstrong - le trompettiste, pas le pédaleur uni-testiculaire - claironna "Ma Vieille Trompette Me Joue Son Ultime Nocturne" et non pas "Mon Vélo Te Mènera Jusque Sur Un Nuage".
Dans un autre genre le sorcier Paganini aurait composé "Mon Violon Tombe Mais Je Sauve Une Note", tandis que des rivages du Midi, Charles Trenet y serait allé d'un "Ma Voiture Te Mène Joyeusement Sur Une Nationale".

Tant de choses ont été dites sur le sujet qu'on attribue à tort à Guillaume Tell le "Monsieur, Vous Tirez Mal Je Suis Un Novice Pitoyable" et à Sébastien Loeb "S(oleil)i Mes Voitures Tombent Malades, Je Serai Un Nouveau Piéton".
Toujours est-il qu'une chose est certaine, l'ordre des planètes ne changera pas... ou bien c'est à désespérer de Dieu  
 
 
Pense-bête : Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, Pluton