lundi 24 septembre 2012

Ad libitum

  De libere sont également issus « libido », « liberté », « libre », etc.
 
 

 
Elle s'appelait Rose et je n'étais qu'un bleu
si je fus le premier, je ne le sus jamais
à ouvrir cette porte, méat périlleux
que la curiosité à braver nous poussait
 
D'abord de longs soupirs, mes assauts maladroits
la peur d'être surpris, la moiteur de l'endroit
puis les gémissements, le passage entr'ouvert
le trousseau détroussé, le pêne à découvert
 
Notre étrange équipage s'était joué de l'huis
mais après tant d'efforts et par d'exquis tourments
nous tombâmes fourbus, le glaive dans l'étui
 
C'est ainsi que l'écho parfois bizarrement
en toute liberté redit ad-libitum
ces cris qu'on entendait aux portes de Sodome
 

jeudi 20 septembre 2012

Rides

 

 
Celle-ci pour t'avoir mis au monde avant l'heure
et cette autre venue en t'ayant trop souri
celle-là pour m'avoir fait mourir de frayeur
et ces autres cachées derrière mes cheveux gris”

 
Elle en a essuyé des orages et des grains
et connu bien des joies auxquelles elle se raccroche
mais les images fuient, qui paraissaient si proches
sa mémoire a fondu comme peau de chagrin

 
Devant les grands cyprès on lui met son fauteuil
et ce qu'elle aime tant, sa veste d'organdi
tout le monde est gentil pension des Ecureuils

 
Feuilletant de sa vie le grand éphéméride
Jeanne chauffe ses os au soleil du Midi
sous le chapeau jauni, elle compte ses rides
 
publié sur le site Mil Et Une

lundi 17 septembre 2012

L'ISO 10664 fait un mort

 
Sur le thème : Une heure avant de mourir...
 
Je n'aurai pas une seconde à perdre ni même un dixième de seconde. Pourquoi faire un cadeau d'une seconde à la Vie qui ne veut plus de moi?
Je prendrai le minuteur que je règlerai sur 60 minutes, non plutôt 57 car je sais par expérience - vu la noirceur des pizzas et la dureté des oeufs - qu'il a toujours pris des libertés avec les minutes, même quand ses piles sont neuves.
D'ailleurs par sécurité je vais changer les piles avec celles que j'emmagasine dans le troisième tiroir à gauche du meuble de cuisine, avec les cure-dents, les fèves en porcelaine des galettes des rois, des échantillons de parquet stratifié et toutes mes bougies d'anniversaire.
C'est ballot, j'aurais eu 98 ans demain, non... 99, enfin quelle importance.
Mais comment ça quelle importance? J'essaie de mettre toutes les chances de mon côté pour vivre au mieux ces 59 dernières minutes et je me plante sur 12 mois de ma vie, une bévue de 365,2425 jours! J'espère que celui qui gravera la date sur ma tombe ne fera pas la même erreur sinon je pourrais bien revenir lui parler du pays!
Où ai-je mis ces foutues piles? Je dis foutues piles pour les piles neuves que je ne trouve pas mais les piles foutues je les garde aussi, c'est plus fort que moi.
 
Je prendrais bien celles du réveil-radio que je ne mets jamais en marche puisqu'il y a bien longtemps que je ne me soucie plus ni de l'heure du réveil ni des informations.
La trappe des piles du réveil-radio résiste, forcément - j'ai jamais pu dire forcément sans un rictus - mais mes réflexes reviennent vite: le vieux singe ne se fera pas avoir une dernière fois par une trappe aux vis à tête Torx!
Rien qu'à prononcer le mot Torx - je voudrais vous y voir avec un dentier du siècle dernier - on sent toute la fourberie qu'a mis son inventeur à créer cette tête de noeud pour clé hexalobulaire interne!
Rien à foutre de leur norme ISO 10664! J'empoigne mon brave couteau de cuisine, l'Office de 9 cm qui coupe si bien, celui qui fait des miracles à Master Chef et qui me sert surtout à dévisser les vis Torx.
Je sais que ça finit toujours pareil: dans 30 secondes je vais faire des taches rouges jusqu'à l'armoire à pharmacie - 2ème tiroir à droite, celui qui coince - où se trouve en principe la boîte qui aurait dû contenir entre 30 et zéro petits pansements extensibles et hypoallergéniques impossibles à déplier et qui vous font saigner deux fois plus.
Quand j'étais gamin, le spectacle du cochon qu'on égorge, ficelé sur une échelle et gueulant comme si on l'égorgeait m'a toujours horrifié, mais le vieillard aguerri que je suis saigne en silence, serre les dents - pas trop fort avec un dentier du siècle dernier - et contemple son raisin (*) qui va encore couler, voyons voir... 42 minutes d'après mon facétieux minuteur.
 
J'ai toujours eu du mal à coaguler, l'hémostase en déroute parait-il et un jeu de plaquettes à faire mourir de rire les gars de chez Midas. On m'a souvent dit que j'avais une thrombine pas comme les autres et que j'aurais pu être second rôle dans les films de Dracula.
Du coup j'aimerais bien savoir si je serai vide avant 42 minutes? Tant pis, je m'offre le luxe de perdre 30 secondes à calculer.
Putain! Ça pisse pas mal: si j'ai toujours mes 7 litres de sang dans le corps, à raison de 2 gouttes à la seconde et 15 gouttes au millilitre, je serai vide dans 15 heures donc bien après ma mort!
Mais alors je ne vois pas l'intérêt d'une hémorragie post-mortem et risquer de me blesser avec ce couteau en ouvrant la trappe du réveil-matin pour y prendre ses piles, ni de changer celles du minuteur, ni même de le régler sur... sur combien déjà?
37 minutes.
Je commence à trouver le temps long.
 
C'est toujours pareil quand on se fixe une échéance et j'ai toujours eu horreur des échéances: le dernier jour de déclaration des impôts, la veille du jour de ramassage des poubelles, le jour du passage à l'heure d'hiver, le jour de la fête des pères, des mères, des grand-mères, des voisins, celui de la fête des morts qui d'ailleurs tombe toujours le lendemain de la Toussaint...
Au fait, y doivent m'attendre impatiemment là-haut... ou pas.
 
 
(*) le mien, c'est du Gevrey-Chambertin 100% Pinot noir, siou plait

samedi 15 septembre 2012

Mémo à moi

 
Pourquoi les élèves qui jouent au "Camion des mots" seraient-ils les seuls à inventer des machins comme:
Cantatriste : nom féminin, Chanteuse qui a le blues  (Candice -classe de 6ème)
Impocible : nom, Être la cible des impôts (Emilie  -CM2)
Crottoir : nom, Les trottoirs truffés de crottes de chien. Exemple : Je ne veux pas marcher sur le crottoir. (Gauvain -Moyenne section)

A mon tour de jouer, à l'initiative des Défis Du Samedi
 
 


Agrisculpteur : Artiste paysan ou Paysan artiste
exemple : Tous les ans, les agrisculpteurs créent des labyrinthes dans leurs champs de maïs


Azaymeurt : Maladie des vieux (châteaux d'Indre et Loire ) qui touche les oubliettes


Bureaucrade : Fonctionnaire qui fait des taches
exemple : le bureaucrade possède une gomme, le bureaucrade-chef une serpillière


Confriture : Gelée de groseilles à maquereau
exemple : J'ai repêché ma tartine de confriture


Flanc-tireur : Maquisard qui tire au flanc
exemple : la flémingite aiguë touche un flanc-tireur sur un


Homorragie : Saignement de pédale
exemple : J'ai fait une homorragie en tombant de vélo

Infermière : Dame qui soigne les bestioles
exemple : chaque matin l'infermière est le véto


Malagauche : Maladroit du bras gauche
exemple : La plupart des anglais sont malagauches, les autres sont inconscients du danger


Papirusse : Grand-père égyptien ou slave, ça dépend des grand-pères


Piment des squelettes : Condiment qui fait pleurer et mourir des fois


Prépuscule :  Morceau de peau qui se recroqueville à la tombée du jour

mardi 11 septembre 2012

A bâtonniers rompus

  Publié sur MilEtUne
 


L'avocat à la fine aigrette: "Avant on les appelait des coupables-un-point-c'est-tout et on les coupait sans chichis, tout simplement"

L'avocat mayennais: "Fichtre"

L'autre, nature: "Oui, avec une guillotine... c'était la belle époque où y'avait pas la présentation d'innocence et tous ces trucs qu'empêchent de les couper"

"T'as raison, y z'ont que ce mot à la bouche: l'innocence, même les ripoux, même les VIP"

"Ouais, et tant qu'on a pas établi leur culpabilité, on les dorlote et y en a même qu'on met en examen, qu'on soigne à La Santé! Y en a aussi qui font appel aux greffes!!"

"Aux greffes! Diantre! Et qui est-ce qui paie tout ça? La Sécu?"

"C'est tous les autres, les innocents aux mains pleines comme on dit, enfin tant que ça durera..."

Reprise des débats dans dix minutes, Maîtres

"Et tous ceux qui font appel pour gagner du temps"

"Bigre! Y en a qui font appel? Et y z'appellent qui?"

"Tout le monde sait ça... y z'appellent des gens pour qu'ils soient prévenus"

"Ah? mais c'est pourtant eux les prévenus"

"Ouais et puisqu'ils sont tous prévenus, on peut délibérer"

"D'accord. Et délibérer ça veut donc dire qu'on les met derrière les barreaux"

"Pas forcément, si on les a pris en flagrant du lit, oui! Sinon on les met en demeure"

"Passe qu'y a une différence entre la demeure et les barreaux?"

"Ca j'ai pas appris"

"Et le jugement par des faux, tu trouves ça normal?"

"Ben, le jugement par défaut c'est pas ma spécialité, alors je peux pas juger"

"Tu peux pas juger? T'es un marrant toi"

"Ouais je sais, on m'appelle le marrant depuis qu'on a supprimé la guillotine en 77. C'est marrant, non?"

"C'était le bon temps, hein? Quand on sauvait sa tête, ça avait un vrai sens, alors qu'aujourd'hui..."

"Pas pour tout le monde mais Badinter a fini par mettre les pieds dans le plat..."

"Bon sang de bois! Je croyais qu'il était seulement chargé de garder les seaux"

"Dis. T'es très occupé dans les six prochains mois?"

"Euh non... le train-train habituel, bien assis au dernier rang en cour d'Assises et puis les vacances et pas mal de RTT en retard..."

"Alors tu devrais réviser ton code"

"Mais je l'ai déjà!"

(Soupirs d'avocatss assaisonnés) 




lundi 10 septembre 2012

Précieux réticules

 
inspiré d'un poème de Guillaume Apollinaire (Calligrammes) :
 
 
 
 
Et de planètes en planètes
son oeil rivé à la lunette
De nébuleuses en nébuleuses
raillant les bigleux et bigleuses
 
Le Don Juan des milles et trois comètes
multiplie pirouettes et cacahouètes
Même sans bouger de la Terre
cherche son double et son mystère
 
Cherche les forces neuves
soumis à rude épreuve
il en oublie c'est bête
 
que l'infiniment grand, comme le minuscule
s'il requiert il est vrai de précieux réticules
se regarde par le bon bout de la lorgnette...
 
 
Que les descendants de Guillaume Apollinaire ne m'en veuillent pas d'avoir mêlé mes vers à ceux de l'illustre poète.
 

Hugh!

 
 
Les Défis Du Samedi sont aux portes de la troisième saison ... et aimeraient nous entendre conter un épisode particulier qui aura marqué notre été, alors voila

 
quelque part sur Pierce Ferry Road
 
Après avoir quitté Pierce Ferry Road et ses longueurs monotones, j'abordais Diamond Bar Road non sans appréhension tant je me souvenais des quinze derniers miles dans la chaleur, la poussière et les chaos de cette route sans nom où l'on croit perdre l'essieu arrière à chaque virage.
Si j'avais pu dire deux mots à celui qui décida un jour qu'un mile vaut un kilomètre six cent!!
Diamond Bar n'avait rien d'une rivière de diamant ni d'une rivière tout court avec son chemin pierreux, sinueux, parsemé de roches, bordé de cactus et d'arbres de Joshua aussi j'atteignis l'immense plateau avec soulagement sans avoir eu aucune envie de dépasser la limite des quinze miles à l'heure. J'allais enfin revoir ce cher...
L'effort de conduite avait dû troubler mon esprit car sur le plateau il n'y avait rien que le plateau, sans aucune faille.Il avait disparu!
Le Grand Canyon avait disparu!
Là où aurait dû se tenir l'immense tente du Visitors Center il n'y avait qu'un tipi avec un indien accroupi devant l'entrée.
Comment quatre cent kilomètres de failles avaient ils pu s'évanouir et où pouvait bien couler désormais le Colorado?

L'homme portait le costume typique des Hualapai et il saurait m'expliquer ce qui se passe ici.
Je m'accroupis à sa hauteur et le saluai: "Hugh!"
"Non pas Hugues, moi c'est Arnold"
"Euh... excuse me Arnold. Qu'est-il arrivé au Grand Canyon?"
"Sold... vendu"
"Hein? What?"
"On l'a vendu"
"Qui a bien pu acheter une merveille pareille et où l'a t on emmené?"
"Emmené? Personne ne l'a emmené. Il est encore là dessous"
"Dessous quoi?"

J'ai senti que je l'agaçais.

"Sous le plateau artificiel recouvert de terre... tout est là comme avant"
"Mais on ne voit plus rien! ça sert à quoi de venir ici si on ne voit pas le Canyon?"
"On n'a plus de raisons de le voir puisqu'il ne nous appartient plus"
"Pourquoi l'avoir vendu?"
"Tu poses beaucoup de questions, gringo"
"Pas Gringo, appelle-moi Marcel"
"Well, Marcel, si tu étais de ma tribu où la moitié crève la dalle et l'autre moitié picole du mauvais whisky toute la journée tu comprendrais qu'on ait vendu ce machin pour survivre..."

"Et je suppose que vous l'avez vendu aux chinois comme toujours!"
"Non, pas aux chinois cette fois mais à un homme d'affaire de Las Vegas"
"Et il en fait quoi cet homme d'affaires?"
"Il utilise le Colorado pour faire tourner les génératrices qui alimentent Casinoland"
"Casinoland?"
"La ville casino géante qui vit là dessous - la plus grande mégapole au monde - avec des dizaines de milliers de machines à sous qui rapportent dix pour cent à mes frères Hualapai"
"Vous avez une drôle de conception des merveilles de la nature!!"
"Chez nous on dit : Tu ne peux pas juger un homme sans avoir marché deux lunes d'affilée dans ses mocassins"
"Euh... non merci, je vais garder mes Nike... Arnold"
"Hugh!"
"Ah? C'est Hugues? J'y comprends rien. Alors Bye Hugues"





  




vendredi 7 septembre 2012

Ahhhh

  D'après une photo proposée sur le site MotImageCitation
 
 

 
"Faites A"
    "Ahhh"
"Encore"
    "Encore"
"Contentez-vous de dire A et permettez que je prenne quelques notes : langue épaisse et pointue, rouge, aux côtés enflammés...
Vous disiez avoir 72 ans Monsieur Bernstein?"
    "Einstein, Albert pour les intimes"
"C'est celà. Dites 33 maintenant"
    "33 maintenant"
"Euh... Ne dites que 33 s'il vous plait Monsieur ...Stein"
    "Docteur, s'il ne s'agit que d'évaluer la densité et la qualité des tissus des poumons d'un fumeur de pipe de 72 ans , vous gagneriez du temps en utilisant votre stéthoscope sans m'obliger à toutes ces grimaces!"
"Vous avez amplement raison Monsieur... Bruckstein mais il y a moins d'une heure mon patient précédent s'est pendu avec sans que j'aie pu faire quoi que ce soit"
    "Voulez-vous qu'on en parle, docteur?"
"Euh... non Monsieur Blustein, ici c'est moi le docteur"
    "Je suis Docteur depuis 1909, docteur!"
"Si vous êtes docteur, quel besoin avez-vous de me consulter?"
    "Voyez-vous cher confère, si je m'ausculte moi-même je ne serai pas impartial puisque praticien et patient à la fois"
"Oui, enfin tout est relatif"
    "La relativité c'est Ma spécialité, docteur. Si vous voulez qu'on en parle, j'ai toute la soirée devant moi"
"Euh... ça ne sera pas nécessaire Monsieur Blairstein et j'ai d'autres patients après vous. Je crois qu'on va arrêter là mais j'aimerais quand même prendre une photo de vous, tirant la langue"
    "Si vous me jurez de ne jamais monnayer cette photo après ma mort..."
"Je vous le jure, Monsieur Bloomstein"
    "Einstein, vous voudrez bien écrire Einstein au dos du cliché"



(Le portrait fut vendu aux enchères 74324 dollars à un certain David Waxman)  

lundi 3 septembre 2012

Ça suffit!

 
Version complète d'un texte limité à 110 mots pour Les Impromptus Littéraires
 
 
Ça suffit!
Soixante cinq ans que ça dure et ça a débuté comme ça - comme disait Céline - alors que le nourrisson de base tétait péniblement dans une chambre aseptisée, moi je m'enfilais mes biberons au bout d'un rang de vignes... de Ruchottes-Chambertin peut-être mais un rang de vignes quand même!
Pas très original, d'autant qu'à l'époque les investisseurs chinois ignoraient tout du pinot noir et de notre château du XIIème.
Et puis ça a continué comme ça, du lisse, du propre, sans anecdote ni coup de trafalgar.
Ça suffit!
Jamais un pâté d'encre violette sur mes cahiers, pas la moindre boule puante écrasée sur l'estrade, j'étais obligé de faire moi-même des trous dans mes chaussettes pour prendre une avoinée.
 
Etudiant-diant-diant, j'ai dû réviser mon BTS au grand air sur les barricades quand tant d'autres bachotaient, incarcérés dans des amphis tristes et sombres.
E=1/2MV², l'énergie cinétique, ça vous rappelle des souvenirs? Quand on est contraint et forcé comme moi de réviser tout ça avec de vrais pavés, ça vous marque un homme... même si c'est pas vous qui l'avez reçu sur la tronche.
Alors ça suffit!
Et La Grande Aventure du trouffion qui redoute de ne pas rentrer chez lui tous les week-end pour embrasser maman ou qui meurt de peur de finir en cour martiale à cause d'une pauvre biture au mess des sous-off
Et bien là encore j'ai eu droit à du classique, de l'ennuyeux à mourir : un sympathique régiment semi-disciplinaire lové en Forêt Noire avec trois mois de classes non-stop et un stage commando juste avant la quille! Un truc inavouable à ses petits enfants, le club Med quoi! Bronzage-camouflage, balades en hélico et bains forcés, Darladirladada!
Ça suff... Ouais, je l'ai déjà dit! Et alors!
 
Y a des diplômés qui épeluchent fébrilement les colonnes des petites annonces, vont pointer sans faute à l'Anpe, font des efforts surhumains pour décrocher un improbable CDD, moi j'ai enchaîné les jobs sans jamais la moindre poussée d'adrénaline, comme si c'était normal de trouver du boulot sans avoir l'impression d'en chercher.
Là où certains iraient à reculons, j'allais en voiture de fonction avec mon ordi de fonction, mon téléphone de fonction, tous frais payés et tout droit jusqu'à la retraite.
J'en arrivais à faire des détours pour arriver en retard... mais là encore, jamais la moindre réflexion.
Toute une vie sans imprévus, sans risques, sans piment, sans faits divers : vous croyez que c'est drôle?
 
Finalement vient le moment où vos enfants volent de leurs propres ailes et s'expatrient à Nanterre, Lille, parfois même jusqu'à Marseille!
Et bien les miens sont allés faire carrière à Las Vegas.
Mais tout le monde va à Las Vegas, bon Dieu! Même Christine Bravo!
Alors je le dis une dernière fois : Ça suffit!

J'veux du sauvage, du risqué, du pimenté, de l'inédit quoi!
J'en demande peu, juste une petite lettre anonyme dans ma boîte à lettres, un peu de sucre dans mes urines, une invasion de pucerons dans mes rosiers, un pneu crevé... même une crevaison lente suffirait.
Juste pour dire une fois que la vie c'est pas simple, pour raconter mes emmerdes à moi et ne pas entendre celles des autres.
Ça suffit!
ca-suffit-img.gif

samedi 1 septembre 2012

Anastazia

  Publié aux Défis Du Samedi d'après cette image
 


Depuis le temps qu'oncle Hubert nous menaçait de nous montrer de quel bois il se chauffait, cette fois on était bel et bien au pied du mur! Un mur de bois haut d'au moins deux mètres et qu'il était question de charrier jusqu'à la grange quand il l'aurait débité et refendu.
L'oncle avait sorti non sans peine la vieille scie circulaire qui dormait sous les toiles d'araignée, tout fier d'exhiber ses muscles et de fanfaronner devant sa polonaise.
J'ai promis de raconter comment il l'avait dénichée - sa polonaise, pas la scie circulaire - et je le fais ici avant qu'on me le reproche... si, si, je sens bien que vous me l'auriez reproché.
 
En tant que voyageur de commerce 1ère catégorie spécialisé dans la vente d'alcools et spiritueux, l'oncle Hubert sillonnait depuis vingt ans nos belles régions de France pour y exercer ses talents - à divers degrés comme il se plaisait à dire - lorsqu'un jour il monta à Paris pour affaire.
Le futur client tenait le 'Polak assoiffé' rue Oberkampf dans le onzième, une sorte de bar-guinguette dont l'arrière salle accueillait des groupes folkloriques d'Europe Centrale.
La studieuse dégustation de vodka touchait à sa fin lorsqu'un petit groupe monta sur scène et dès la première mazurka, l'oncle reçut en plein coeur une de ces flèches qui vous clouent sur place, vous mettent le palpitant en capilotade et la glotte aux abonnés absents!   
Anastazia avait cette opulence des femmes slaves qui savent profiter des bonnes choses, le mollet humide et l'oeil galbé à moins que ce ne soit le contraire tant le récit de l'oncle fut brouillon.
Elle avait aussi un fort accent qui disparaissait parait-il après quelques rasades d'eau de vie, ce qui fait qu'en une soirée chacun apprit tout de l'autre.
Elle portait avec grâce le costume traditionnel - bustier, jupe et tablier fleuri - et aussi un nom en ski. L'oncle crut comprendre que les noms polonais finissent souvent en ski à cause d'un rigoureux climat hivernal...

J'ai connu plus tard un Leonski qu'on appelait Leon même en hiver.
Ainsi donc celle qui s'appelait Paul en ski - comme le réalisateur - allait devenir très vite Madame Chabrolle! Marrant, non?
Pour étaler sa science - ce que faisait l'oncle en très fines couches - n'avait-il pas le jour du mariage fait allusion à cette Marie Sklodowska qui était finalement devenue Marie Curie! Alors pourquoi pas Anastazia Chabrolle? 
Après quelques canons il aimait aussi à dire que si Chopin avait composé des polonaises, un amateur de chopine pouvait bien en épouser une. 
Toujours est-il qu'elle débarqua dans la famille sans que personne y trouve à redire.
Entre nous, on l'appela aussitôt la polo-niaise à cause de tee shirts trop petits pour elle mais surtout pour cet air gnangnan qu'elle affichait en permanence.
Elle avait dû dans sa jeunesse trop abuser du bortsch, nom imprononçable et soupe aux chous traditionnelle qu'on imaginait poussée de force dans le biberon des bébés.

Pour l'heure elle témoignait son admiration et son amour à celui qui s'échinait sur la scie circulaire, par des 'Kocham cie'  tonitruants. 
Ah oui, au fait! Nous en étions au tas de bois.
Finalement ils l'ont charrié sans moi; j'avais bien assez à faire à charrier Anastazia.