mardi 27 janvier 2009

Décalage

Publié sur Les Impromptus Littéraires 27-01-2009

Décalage, décalage! Vous en avez de belles,
ou alors, alternant des tons inhabituels:

Curieux:
J'irais bien toucher ça, bon sang, si j'étais sûr
de ne pas y rester, collé sur l'épissure.

Emphatique :
Ce grand mât de cocagne patiemment ficelé
de toutes nos campagnes est totem sacré

Naïf :
Merci Dame Nature, en ta grande bonté
d'avoir planté ici cette électricité,
de cette tige mâle fait monté tant de jus
qu'il y en a encore quand il y en a plus !

Agressif:
Si je tenais celui qui m'a déconnecté
à l'heure où le Grand Maître parlait à la télé...

Descriptif :
Tableau Norme C-quinze, disjoncteurs intégrés
pour la sécurité, on n'a pas mégoté,
fil pilote, multizône, tout en monophasé!

Truc... ulent

Tous ces vents turbulents ça fait des noeuds coulants,
(un gros échauffement et des emmerdements)

Pratique:
Quelle idée d'avoir mis les fusibles en hauteur?
à Lhassa chez Casto, y font des disjoncteurs

Pat et Tic
:
Pataquès artisTique
Patelin ascéTique
Patère squeletTique
Patience extaTique

Prévenant:
Touristes imprudents qui montez jusque là
restez bien derrière moi, surtout ne poussez pas !

vendredi 23 janvier 2009

Symphonie du vent

Souvent les jolis contes naissent par un calme matin de printemps, et ce matin là était tout à la fois calme, tranquille, doux et serein et c'est tout car son auteur n'avait pas assez de mots pour décrire une telle quiétude.
Ce matin était si calme qu'on se serait cru le soir et qu'on aurait presque pu entendre péter une vache du haut de son alpage, ce qui aurait amplement couvert le bruit des mouches velues et dévolues à voler autour d'elle.
Pour toutes ces raisons, Eole s'ennuyait à mourir bien qu'il fut dieu grec et qu'un dieu grec, comme Demain, ne meurt jamais; pas un soupçon de vent, pas la plus petite brise ni le moindre bulletin d'alerte météo en prévision, et Dieu sait s'il était à l'écoute de toutes les chaînes, même les montagneuses. Il y avait dans l'air, un je ne sais quoi... non, je ne sais vraiment pas quoi.
Au bord de la dépression, il lui vint soudain une idée lumineuse comme en ont tous les dieux qui s'ennuient et qui ont des idées lumineuses, et puisque le mercure stagnait pitoyablement dans son baromètre, il décida de réunir tous ses vents pour en faire un orchestre symphonique qui jouerait à sa gloire.
Comme il était perfectionniste de son métier, il releva ses manches à air et commença à rattrouper ses fidèles outils nécessaires au dosage des éléments:d'abord la grande échelle de Beaufort que lui avait toujours envié Vulcain le chef des pompiers;puis la girouette malicieuse et ses points cardinaux qui étaient au nombre de quatre à cette époque; il y ajouta une rose des vents... pas pour la vue mais pour l'odeur, car il était aussi un peu responsable des odeurs comme celles de terre brûlée du Connemara ou du sable chaud du beau légionnaire...
Et puis vint le moment délicat du recensement de ses troupes et l'attribution d'un rôle à chaque élément; il gonfla les joues, car s'il ne l'avait fait, qui d'autre aurait pu le faire... et il cria: "Dans la famille des cordes, je demande les alizés"  réveillant les premiers sur sa liste alphabétique qui prirent place sans souffler mot; vinrent s' y joindre les zéphirs, puis les zéphyrs, avec un i grec, ainsi que la risée dont tout le monde se moqua, puis simoun et sirocco les cousins maghrébins qu'il avait choisis pour le fun. A ce propos, il avait écarté le foehn dont la tyrolienne convenait mal aux symphonies.

Pour les bois dont on fait justement les flutes, il convoqua tour à tour les bourrasques traversières, les rafales et les grains qui veillaient, auxquels il ajouta le Chocolatero bien moins connu mais bien plus exotique. Quant au chinook venu des Rocheuses, il apporterait son accent au cor anglais.

Vint le tour des cuivres dont on fait les cuivres, qu'il composa des aquilons-trompettes, mistrals à coulisses et moussons, et il faillit ajouter blizzard mais se ravisa, le trouvant d'un abord trop glacial pour faire un cuivre.

Restait à fourbir les percussions qu'il forma des vents d'autan, immortalisés par Clark Gable, auxquels il ajouta les cyclones-timbales et les typhons; il allait falloir les tenir ces gaillards ! pourtant il y ajouta la mousson pour sa constance et sa force.

Son orchestre finissait par avoir fière allure, en rangs impeccablement alignés sur l'équateur: il dut tempêter pour calmer une dispute entre la harpe-alizé et un zéphir à qui le rôle de premier violon avait donné la grosse tête, mais après les avoir menacés tous deux d'une corvée d'éolienne, le grand calme revint dans l'orchestre. La distribution des partitions jeta un froid dans le groupe, mais quand Eole eut expliqué que le quattro stagioni n'était rien d'autre que les quatre saisons de Vivaldi, un immense soupir s'éleva et ramena calme, tranquillité, douceur et sérénité et c'est tout en ce beau matin de printemps...
Les répétitions allaient pouvoir commencer, nonobstant la vache de l'alpage et ses flatulences, mais c'est une autre histoire, m'étant promis de placer un nonobstant en fin de compte.

samedi 17 janvier 2009

Rififi à Washington

Il sortit en claquant la porte: "Shit, maudit boutiquier"; le vendeur ainsi désigné avait  mis dix minutes pour revenir les mains vides, aussi reprit-il sa route d'un pas rageur; le soir tombait sur Anacostia et il se dit qu'après avoir visité une dizaine de magasins, ce quartier n'était certainement  pas le meilleur endroit pour dénicher ce genre d'articles... mais il était hors de question de rentrer bredouille à la maison.

Perdu dans ses pensées, il tourna au coin de Good Hope road et de Martin Luther King avenue. Le nom de Good Hope le rassura et aurait même pu le faire sourire si le destin de Martin Luther King n'avait pas resurgi tout à coup, un peu comme une menace tapie au carrefour; il pressa le pas, convaincu que ce quartier était moins engageant que les autres. Il devait se trouver tout près du dernier ilôt insalubre de la ville, et vu l'état peu ragoutant de ses chaussures vernies, il décida de suivre au plus près la ligne du caniveau: tant qu'à les salir... autant les rincer.

Depuis qu'il avait perdu ses deux acolytes, il trouvait l'air moins pur et sa marche plus pénible dans le dédale des rues sombres où la neige récemment dégagée avait laissé de longues traînées boueuses. Bien sûr, pas le moindre Smartbike en vue, ces vélos en libre-service qu'il aurait volontiers enfourché et qu'on ne trouve que lorsqu'on en a rien à fichtre. Il marmonna de plus belle quelques "Shit" en tripotant dans sa poche le bout de papier, cause de tous ses malheurs: Crème anti-rides Fantasy de chez Harvey Prince !
    
Comment une agglomération d'un million et demi d'âmes, blanches et noires, pouvait-elle manquer à, ce point de crèmes, alors qu'on en trouvait même dans le quartier de Bronzeville à Chicago depuis des années?

Il regrettait de ne pas s'être fait déposer vers Georgetown park; c'était pourtant ce qu'on trouvait de plus antique dans ce pays, mais les magasins y foisonnaient et sûr que chez Macy's il aurait déniché cette foutue crème anti-rides! Il aurait dû y penser plus tôt puisque c'était là qu'avait résidé un certain JFK avant d'aller habiter une maison plus blanche et plus ronde.

Il entra dans ce qui lui parut une boutique de fin du monde et il dut enjamber des cartons éventrés pour parvenir au comptoir tout aussi encombré. Dans la pénombre, un homme sans visage l'observait... il s'entendit poser sa question, une fois de plus, mais Fantasy de chez Harvey Prince, ça sonnait bizarrement ici. En guise de réponse, un bras sans main lui indiqua l'arrière-boutique et il dut se pousser pour s'y rendre.
Une porte entr'ouverte débouchait sur une cour tout aussi sombre où il crut distinguer deux formes imposantes; il transpirait abondamment et s'apprétait à battre en retraite quand son visage s'illumina, ce qui était un exploit pour quelqu'un de sa race... il venait de reconnaître ses deux gardes !

La limousine filait sur la 295, et au passage du fleuve, il eut un immense soupir de soulagement; il rentrait à la maison, bredouille mais vivant ! Michelle comprendrait, il saurait lui expliquer...

Une fois la grille franchie, il traversa la grande pelouse en traînant les pieds pour redonner un aspect plus présentable à ses chaussures; sur le perron, elle l'attendait en piétinant:
"Barack chéri, tu en as mis du temps ! J'espère que tu l'as trouvée".

mardi 13 janvier 2009

La nuit des étoiles

"La nuit des étoiles" publié sur Les Impromptus Littéraires



Arlequin glissa fébrilement la montre dans son gousset et se remit à ramer de plus belle en laissant une longue traînée lumineuse derrière lui; une fois de plus il était en retard... il avait toujours eu du mal avec cette corvée d'allumage du firmament, mais c'était son métier et il se devait d'accomplir sa tâche avant le lever du jour, malgré son encombrante embarcation et la fragilité du briquet.

Une lune froide baignait le champ de batailles d'une lumière irréelle, et Colombine s'efforça en frissonnant de tirer à elle un morceau du drap; elle eut  un sourire vers celui qui ronronnait à côté d'elle. Comme un prolongement à son plaisir, des milliers de lucioles dansaient toujours dans ses yeux clos et irradiaient tout son corps; sa main s'égara entre ses cuisses jusqu'à la toison moite et chaude... cette fois-ci, l'orgasme avait été violent et si soudain qu'elle eut la nette impression d'avoir manqué un épisode à ses ébats.

Battant le briquet entre ses doigts douloureux, Arlequin allumait un à un les petits astres qui passaient à sa portée, les repoussant ensuite d'un coup de rame vigoureux pour mieux se propulser vers le suivant; cette nuit était la dernière de l'année et il se devait de n'omettre aucun détail s'il ne voulait pas risquer les foudres du Maître.

Colombine ouvrit lentement les yeux au risque d'effrayer les lucioles qui dansaient encore et fixa le rectangle de nuit qui entrait par la fenêtre; elle se sentait bien et caressa ses seins jusqu'à faire durcir les tétons et faire renaître une belle envie. Elle se cambra sur le lit, il lui semblait que les étoiles s'allumaient une à une et de plus en plus brillantes: était-ce cette formidable pulsion sensuelle ou juste le miracle de l'univers qui s'accomplissait ? Sa réflexion cessa quand une cuisse musclée s'insinua entre ses jambes, comme la rame effilée d'une barque fendant la surface d'un lac... elle gémit doucement.

L'allumeur de firmament cessa soudain de ramer; il lui semblait subitement que l'air était devenu plus chaud, d'une moiteur inhabituelle en cette saison, et tandis que la rame oscillait doucement dans sa main, sans raison, il eut la perception d'un râle profond venu d'en bas, comme une brise de terre inattendue dans le ciel si calme. Les astres scintillaient comme jamais, éclipsant la lueur blafarde d'une lune interloquée alors que le râle se faisait plainte, sourde mélopée rythmant l'oscillation de la rame à tel point qu'elle lui échappa des mains.

Il mit du temps à réaliser qu'il tombait et se souvint de ses efforts pour stabiliser la barque; il plongeait vers le bas, mais sans inquiétude car il était déjà descendu plusieurs fois; et puis son travail était accompli pour cette nuit et le Maître comprendrait cette incartade.
Au dessous, les minuscules toits des maisons grossissaient à vue d'oeil et parmi elles, il en était une plus éclairée que les autres, et c'est là qu'il semblait aller.

Dans un fracas indescriptible, la fenêtre explosa, projetant une myriade d'étoiles de verre dans la chambre et sur le lit aux draps déchirés; étouffé sous le grand oreiller, Arlequin se débattait comme un beau diable pour refaire surface... et cette créature qui n'arrêtait pas de crier "Viens, viens!" lui perçait les tympans.
Au bout d'un moment qui lui parut une éternité, elle cessa de crier et se calma enfin; il l'examina à la dérobée: elle était plutôt jolie avec ses petits seins pointus et son ventre blanc. Elle lui sourit... "Moi, c'est Arlequin" dit-il les yeux brillants, "l'allumeur d'étoiles".