"La nuit des étoiles" publié sur Les Impromptus Littéraires
Arlequin glissa fébrilement la montre dans son gousset et se remit à
ramer de plus belle en laissant une longue traînée lumineuse derrière
lui; une fois de plus il était en retard... il avait
toujours eu du mal avec cette corvée d'allumage du firmament, mais
c'était son métier et il se devait d'accomplir sa tâche avant le lever
du jour, malgré son encombrante embarcation et la fragilité
du briquet.
Une lune froide baignait le champ de batailles d'une lumière irréelle,
et Colombine s'efforça en frissonnant de tirer à elle un morceau du
drap; elle eut un sourire vers celui qui ronronnait
à côté d'elle. Comme un prolongement à son plaisir, des milliers de
lucioles dansaient toujours dans ses yeux clos et irradiaient tout son
corps; sa main s'égara entre ses cuisses jusqu'à la toison
moite et chaude... cette fois-ci, l'orgasme avait été violent et si
soudain qu'elle eut la nette impression d'avoir manqué un épisode à ses
ébats.
Battant le briquet entre ses doigts douloureux, Arlequin allumait un à
un les petits astres qui passaient à sa portée, les repoussant ensuite
d'un coup de rame vigoureux pour mieux se propulser
vers le suivant; cette nuit était la dernière de l'année et il se
devait de n'omettre aucun détail s'il ne voulait pas risquer les foudres
du Maître.
Colombine ouvrit lentement les yeux au risque d'effrayer les lucioles
qui dansaient encore et fixa le rectangle de nuit qui entrait par la
fenêtre; elle se sentait bien et caressa ses seins jusqu'à
faire durcir les tétons et faire renaître une belle envie. Elle se
cambra sur le lit, il lui semblait que les étoiles s'allumaient une à
une et de plus en plus brillantes: était-ce cette formidable
pulsion sensuelle ou juste le miracle de l'univers qui s'accomplissait
? Sa réflexion cessa quand une cuisse musclée s'insinua entre ses
jambes, comme la rame effilée d'une barque fendant la
surface d'un lac... elle gémit doucement.
L'allumeur de firmament cessa soudain de ramer; il lui semblait
subitement que l'air était devenu plus chaud, d'une moiteur inhabituelle
en cette saison, et tandis que la rame oscillait doucement
dans sa main, sans raison, il eut la perception d'un râle profond venu
d'en bas, comme une brise de terre inattendue dans le ciel si calme.
Les astres scintillaient comme jamais, éclipsant la lueur
blafarde d'une lune interloquée alors que le râle se faisait plainte,
sourde mélopée rythmant l'oscillation de la rame à tel point qu'elle lui
échappa des mains.
Il mit du temps à réaliser qu'il tombait et se souvint de ses efforts
pour stabiliser la barque; il plongeait vers le bas, mais sans
inquiétude car il était déjà descendu plusieurs fois; et puis
son travail était accompli pour cette nuit et le Maître comprendrait
cette incartade.
Au dessous, les minuscules toits des maisons grossissaient à vue
d'oeil et parmi elles, il en était une plus éclairée que les autres, et
c'est là qu'il semblait aller.
Dans un fracas indescriptible, la fenêtre explosa, projetant une
myriade d'étoiles de verre dans la chambre et sur le lit aux draps
déchirés; étouffé sous le grand oreiller, Arlequin se débattait
comme un beau diable pour refaire surface... et cette créature qui
n'arrêtait pas de crier "Viens, viens!" lui perçait les tympans.
Au bout d'un moment qui lui parut une éternité, elle cessa de crier et
se calma enfin; il l'examina à la dérobée: elle était plutôt jolie avec
ses petits seins pointus et son ventre blanc. Elle lui
sourit... "Moi, c'est Arlequin" dit-il les yeux brillants, "l'allumeur
d'étoiles".
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