(Publié aux Impromptus Littéraires)
Deux plombes du mat. Paname. Une fourgonnette à l'abri d'un entrepôt désaffecté.
L'autoradio balance le moderato du 2ème concerto de
Rachmaninov.
“Qu'est ce que tu nous as encore dégoté là,
Paulo?”
“De la balle mon pote, c'est d'la balle.
J'en ai encore les joyeuses qui tremblent rien que d'avoir peloté le cadre quand j'l'ai décrochée du mur!”
Paulo déballe religieusement le tableau et se fige à l'instant sublime où
les violons, les altos et les clarinettes entament le thème principal.
“Magne-toi l'cul Paulo! On va pas passer
deux plombes à décharger ces croûtes!”
“Laisse moi l'temps, bon Dieu! Une princesse
comme ça, ça s'bichonne, ça doit s'déloquer en douceur, comme un strip au Calipso! Tiens, mate-moi ça!!”
Le tableau se dévoile en même temps que l'attaque de l'adagio
sostenuto...
“Tu peux pas t'en empêcher, Paulo. T'as
recraqué sur un Modigliani! T'es relou! Le boss va encore gueuler...”
“C'est
plus fort que moi. Si j'me r'tenais
pas mon pote, je l'emmenerais bien respirer dans ma cambrousse. Non
mais t'as vu cette mélancolie dans les châsses? Et ces hanches tournées
vers l'arrière, l'érotisme de c'qu'on voit pas...
R'garde un peu ces coups de brosse, vifs, à l'instinct, un truc de
tueur! Tu trouves pas qu'elle f'rait rudement bien dans ma crêche?”
“T'es lourd Paulo! Tu sais qu'le boss
plaisante pas avec ça... la cambriole oui, le recel non“
“Okay...
mais tu comprends rien à l'art mon
pote, c'est pas l'artiche qui compte c'est l'émotion qu'ça dégage;
moi ça m'fait clamecer. C'est pas comme tes frangines biscornues à la
Picasso où on sait jamais combien y a d'têtes, de nichons
et de derches et si l'fion est derrière, devant ou des deux côtés!!”
“Tu trouves pas qu'ça ressemble à All by
Myself d'Eric Carmen?”
“Déroute pas la conversation mon pote.
J'désespère pas d'te faire kiffer Modigli un jour... même si ça prend du temps”
Les yeux en perdition sur le nu couché, Paulo, songeur:
“J'dirais plutôt Life on Mars de Bowie... en
tout cas, ça la rend encore plus sensuelle”
Profonds soupirs et attaque du final... allegro scherzando
“Putain qu'elle est bandante comme ça la
bergère!”
“Ouais t'as raison Paulo... en mi majeur, ça
fait gamberger. Moi, ça m'fait toujours ça avec le nu bleu de Pablo”
“Oh! Tu vas pas r'mettre ça! Laisse-moi
rêver peinard avant que j'la reloque”
“N'empêche que maint'nant va falloir trouver
l'amerloque ou l'chinetoque pour l'adopter! Mais... c'est pas vrai... tu chiales Paulo?”
“Sniff... Non, j'ai dû choper la crève à la
Pinacothèque... Sniff”
“Hum, bin tu m'ôteras pas d'l'idée qu'y a du
Pablo dans ton Modigli... et j'dirai même une touche de Lautrec”
“De Lautrec? Sniff...C'est comme si tu
m'disais qu'y a du Rachma chez Sinatra!”
“Justement Môssieur! Sinatra l'a piqué pour
son Full Moon and Empty Arms!!”
“Sniff... N'importe quoi... Sniff... Passe
moi le scotch”
...
“Pas
l'rouleau qui colle, blaireau! La boutanche qui déchire... c'est pour mon rhume”