lundi 25 février 2013

Rachma et Modigli

Et si un jour vous veniez à aimer un tableau, une toile au point de vouloir la dérober ?
(Publié aux Impromptus Littéraires)
 
 
 
 

Deux plombes du mat. Paname. Une fourgonnette à l'abri d'un entrepôt désaffecté.
L'autoradio balance le moderato du 2ème concerto de Rachmaninov.
 
“Qu'est ce que tu nous as encore dégoté là, Paulo?”
“De la balle mon pote, c'est d'la balle. J'en ai encore les joyeuses qui tremblent rien que d'avoir peloté le cadre quand j'l'ai décrochée du mur!”
 
Paulo déballe religieusement le tableau et se fige à l'instant sublime où les violons, les altos et les clarinettes entament le thème principal.
“Magne-toi l'cul Paulo! On va pas passer deux plombes à décharger ces croûtes!”
“Laisse moi l'temps, bon Dieu! Une princesse comme ça, ça s'bichonne, ça doit s'déloquer en douceur, comme un strip au Calipso! Tiens, mate-moi ça!!”
 
Le tableau se dévoile en même temps que l'attaque de l'adagio sostenuto...
“Tu peux pas t'en empêcher, Paulo. T'as recraqué sur un Modigliani! T'es relou! Le boss va encore gueuler...”
“C'est plus fort que moi. Si j'me r'tenais pas mon pote, je l'emmenerais bien respirer dans ma cambrousse. Non mais t'as vu cette mélancolie dans les châsses? Et ces hanches tournées vers l'arrière, l'érotisme de c'qu'on voit pas... R'garde un peu ces coups de brosse, vifs, à l'instinct, un truc de tueur! Tu trouves pas qu'elle f'rait rudement bien dans ma crêche?”
“T'es lourd Paulo! Tu sais qu'le boss plaisante pas avec ça... la cambriole oui, le recel non“
“Okay... mais tu comprends rien à l'art mon pote, c'est pas l'artiche qui compte c'est l'émotion qu'ça dégage; moi ça m'fait clamecer. C'est pas comme tes frangines biscornues à la Picasso où on sait jamais combien y a d'têtes, de nichons et de derches et si l'fion est derrière, devant ou des deux côtés!!”
 
“Tu trouves pas qu'ça ressemble à All by Myself d'Eric Carmen?”
“Déroute pas la conversation mon pote. J'désespère pas d'te faire kiffer Modigli un jour... même si ça prend du temps”
 
Les yeux en perdition sur le nu couché, Paulo, songeur:
“J'dirais plutôt Life on Mars de Bowie... en tout cas, ça la rend encore plus sensuelle”
Profonds soupirs et attaque du final... allegro scherzando
 
“Putain qu'elle est bandante comme ça la bergère!”
“Ouais t'as raison Paulo... en mi majeur, ça fait gamberger. Moi, ça m'fait toujours ça avec le nu bleu de Pablo”
“Oh! Tu vas pas r'mettre ça! Laisse-moi rêver peinard avant que j'la reloque”
“N'empêche que maint'nant va falloir trouver l'amerloque ou l'chinetoque pour l'adopter! Mais... c'est pas vrai... tu chiales Paulo?”
“Sniff... Non, j'ai dû choper la crève à la Pinacothèque... Sniff”
 
“Hum, bin tu m'ôteras pas d'l'idée qu'y a du Pablo dans ton Modigli... et j'dirai même une touche de Lautrec”
“De Lautrec? Sniff...C'est comme si tu m'disais qu'y a du Rachma chez Sinatra!”
“Justement Môssieur! Sinatra l'a piqué pour son Full Moon and Empty Arms!!”
“Sniff... N'importe quoi... Sniff... Passe moi le scotch”
...
“Pas l'rouleau qui colle, blaireau! La boutanche qui déchire... c'est pour mon rhume”
 
 
 
 
 
 
 
 
 

samedi 23 février 2013

Comme un çon!

Publié aux Défis Du Samedi d'après la photo ci dessous 
 

 
 

 
Tu m'avais sifflé sans façon

et j'ai mordu à l'hameçon

tu me promettais des suçons

l'incendie dans mon caleçon

 

des calinous et des pinçons

le tagada, cheval d'arçon

le jeu du feu et des glaçons

mais fallait-il que je sois çon!

 

Si j'avais vu les malfaçons

et la traîtrise du tronçon

j'aurais pu avoir des soupçons

 

Dès lors je retiens la leçon:

de la gloire il est la rançon,

l'escalier en colimaçon. 
 

mardi 19 février 2013

Regards obliques

  D'après un thème proposé par le site Mil Et Une sur un tableau de Soutine
 
  soutine.jpg
 
 
 
Quand j'en aurai fini avec ces vieux penchants
qui me trouvent au matin le cul par dessus tête
et le cerveau lavé de terribles tempêtes,
agrippé au parquet, tanguant et trébuchant.
 
Quand j'en aurai assez de ces regards obliques
qui peuplent les maisons de ma ville-fantôme,
quand j'en aurai assez de pleurer comme un môme,
que je saurai dire NON aux venins ataviques.
 
Le grand vent qui courbait façades et toitures
qui hurlait à la mort à chaque coin de rue
à jamais s'éteindra en soupirs incongrus.
 
Je me redresserai, délivré de mes pièges,
d'un grand trait de pinceau rompant le sortilège
je reprendrai enfin mes leçons de peintures.
 
 

lundi 18 février 2013

Milo, Niké et Loana

Publié aux Impromptus Littéraires
 
 
 
 
Musée du Louvre : Département des antiquités grecques. Dans la pénombre suivant la fermeture hebdomadaire d'une énième journée après Jesus Christ...


 
La Vénus de Milo (VdM) interpellant la victoire de Samothrace (VdS):

VdM : “ça vous est arrivé comment?”
VdS : “Bêtement ma chère, en passant sous un arc surbaissé... pas de quoi m'en vanter”
VdM : “Je vois, ça ne doit pas être facile tous les jours”
VdS : “On s'habitue et je vais vous faire une confidence... je n'ai pas été surprise. Voyez-vous quand on s'appelle 'Niké' en grec, un jour ou l'autre on doit s'attendre au pire.”
 
Venus, interdite.
VdM : “Vous voulez dire au Pirée”
 
La victoire, songeuse.
VdS : “Non, j'ai bien dit au pire... Et pour vous, c'est de naissance ou bien...”
VdM : “Un peu comme vous, je suis passée par un portique trop étroit. On se demande bien à quoi pensaient nos architectes à l'époque. Qu'on ne vienne plus me parler de ce Vinci Immobilier!”
VdS : “Moi je dis qu'on peut venir du Bosphore et être fainéant! Enfin c'est pas la panacée mais il me reste les ailes pour pleurer”
VdM : “Bien sûr je suppose que vous avez également déposé un dossier au Service des Oeuvres Mutilées?”


La victoire battant de l'aile.
VdS : “Ne m'en parlez pas! Quarante ans que j'attends une bonne nouvelle mais rien, pas une trace. Parait que c'est un travail de Titan mais que ça progresse... Oh je sais bien que je ne suis pas prête de crier victoire”
VdM : ”Pour moi c'est pareil! Depuis qu'ils ont mis un visage sur la foufoune de l'Origine du Monde, le service est injoignable. Je crois que leurs experts ont pris la grosse tête! Oh pardon! Je ne voulais pas remuer le...”
VdS : ”Ne vous excusez pas, j'ai pris l'habitude des mises en boîte; c'est comme si on vous disait que les bras vous en tombent”
 
Vénus interdite pour la seconde fois.
VdM : “J'admire votre calme olympien! N'empêche que tout ce foin autour de cette Loana... une fausse brune en plus!”
VdS : “Joanna très chère, pas Loana! Mais vous avez raison si on en faisait autant pour toutes celles qui ne portent pas de culotte, que serions-nous aujourd'hui?”
VdM : “Je crois que nous sommes quand même un peu célèbres, non?”
 
La victoire, écrasante.
VdS : “Autres temps, autres moeurs ma chère. Demandez autour de vous qui sait où se trouve Milo ou Samothrace?
La mère Denis est plus connue que la mer Egée, croyez-moi!”
 
La victoire désenchantée poursuivant.
VdS : “Parait qu'ils ont d'autres priorités que nous... maintenant ils chercheraient l'oreille de Van Gogh. Autant dire qu'on est remisées aux calendes grecques!”
VdM : “Si je pouvais je laisserais tomber mon châle... histoire de prouver que mon mont de vénus vaut bien celui de cette Loana!”
VdS : “Joanna, ma chère. Mais je peux vous aider à le retirer, ils ne devraient plus tarder maintenant”
VdM : “Bah, ils ne viendront pas ce soir! Il n'y en a que pour le musée d'Orsay en ce moment!”
 
Coup de théâtre (par bonheur c'en est un) .La salle s'illumine. Arrive l'expert - lunettes noires et canne blanche - spécialisé en Oeuvres Mutilées.
“Bonsoir Mesdemoiselles... Euh... Vous n'auriez pas vu une oreille traîner par hasard?”
 

samedi 16 février 2013

Colle en tas

  Publié aux Défis Du Samedi
 
 
 
 
 
 
On en est où Ouatson, de cette affaire de message en conserve?”
“Ca y est chef, on vient juste de r'cevoir le rapport du labo”
“Et ça dit quoi?”
“Pour la boutanche c'est pas tout jeune: un tord-boyaux de 1650 provenant sans doute d'une distillerie clandestine, et vu l'état de l'étiquette et du bouchon, c'est loin d'être aux normes CE chef; ça tient plus du médicament que d'un vieux Lagavulin comme celui qu'm'avait offert mon cousin pour mes...”
“Epargnez-moi vos considérations alambiquées Ouatson! Quoi à propos du message?”
“On a d'la chance chef, c'est d'l'anglais et c'est signé d'un certain Robin Cruseau”
“Et on a quelque chose sur ce mec?”
“Vous pensez bien que j'ai mis Ouatelse sur le coup chef, mais il semble que les Cruseau et les De Cruseau soient légionnaires...”
“Vous voulez dire légions, Ouatson, ils sont légions!”
“Non, elle a pourtant bien dit légionnaires”
“Admettons... ensuite?”
 
“Le type en aurait gros sur la patate à cause d'un dénommé Denis Grognard, un amateur d'émissions télé ou un truc dans ces eaux-là”
“Passons sur les eaux. Vous voulez dire animateur d'émissions Ouatson!”
“Euh... en tout cas il est question d'un jeu qu'aurait mal tourné”
“Un jeu? J'ai mis tout mon staff et nos meilleurs spécialistes – à part vous bien sûr - pour résoudre un jeu télévisé?”
“Je r'connais que c'est nébuleux chef, mais le message parle d'un jeu sponsorisé par Rubson qui s'appelerait 'Colle en tas'... et j'avoue que pour moi, tout ça c'est du javanais”
“Tout comme pour moi Ouatson, surtout après vos explications oiseuses. Et à part nous poser une colle, ça dit quoi d'autre?”
“Chef, ce type se plaint d'avoir été oublié sur une île avec un autre gars, un dénommé Sam Dy”
“Et on a quelque chose sur ce Sam Dy?”
“Vous pensez bien que j'ai mis Ouatelse sur le coup chef, mais il semble que les Dy soient légio...”
“Je devine Ouatson! C'est fou ce qu'il y a comme légionnaires sur votre île!”
“Non chef, ceux-là sont vraiment légions, avec tout plein de prénoms comme Lun, Mar, Mercre...”
“On va pas y passer la semaine Ouatson... Que réclame ce Cruseau? Il a des revendications, il fait des aveux, une dénonciation, un exil fiscal, un homicide, du blanchiment?”
 
“Euh. Rien d'tout ça chef, il se plaint des conditions de vie, qu'il n'y a qu'une chèvre pour deux sur l'île et comme Sam Dy aurait gagné c'qu'y z'appellent entre eux le jeu d'confort... vous comprenez chef, c'est important pour le moral une chèvre, un exutoire, une confidente en quelque sorte...”
“L'homme qui parle aux oreilles des chèvres? Vous allez m'faire pleurer Ouatson!”
 
“Imaginez chef, ayant trop picolé de ce tord-boyaux Sam bouffe la chèvre.
Le légionnaire en perd les pédales et sa confidente. Il affronte Sam dans un corps à corps sanglant. Sam prend l'dessus et l'autre le dessous, forcément...”
“Stop! Vous devriez arrêter la télé mon vieux! Ces deux-là sont certainement les meilleurs amis du monde... et la chèvre avec. Ils doivent jouer avec leur colle en tas, faire des concours de plongeon, jouer les MacGyver, que sais-je, enfin rien qui justifie qu'on se prenne la tête avec un canular enfermé dans une bouteille, non?”
“C'est vous qui voyez chef, mais Ouatelse et moi on pense...”
“Surtout pas Ouatson, évitez de penser et renvoyez-moi cette bouteille d'où elle vient!”
“C'est qu'on a pas l'adresse chef...”
(Soupir)
 

lundi 11 février 2013

Le petit bout du bout du monde

  Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème: Lisières
 
 
 
 
 
 
A l'orée du printemps j'ai surpris un crocus
émergeant des frimas, du cloaque hivernal.
D'un jaune safrané et d'un blanc virginal
de ma profonde nuit il sonnait l'angélus.
 
Moi qui m'étais heurté cent fois à la bordure
de rêves trop étroits, de lisières improbables,
qui sombrais, grelottant de crainte et de froidure
je me croyais usé, blasé, inébranlable.
 
Et te voilà jolie, éclose, une évidence
Abigaïl est ton nom, Abi pour ton grand-père
une fleur printanière, un jalon, un repère.
 
L'horizon s'est ouvert après un long sevrage
un vent de liberté a chassé les nuages,
le soleil végassien brille sur Providence...
 
 
 
 
Je n'en chéris pas moins Luca, Oliver, Matisse, Remy et Emma  
 
 

mercredi 6 février 2013

Sonnet au pistou

 
  Publié sur Mil Et Une
 
 
 
 
Bien loin des beaux marchés d'Aubagne ou d'Avignon
dessous le grand beffroi qui garde la ruelle
il est un paradis mi-pêche mi-brugnon
aux parfums de lavande et d'huiles essentielles
 
La fève y croque-au-sel et l'ail y fanfaronne
“Adiou...Coume vai? E patin e coufin”
la truffe t'estourbit, le melon cavaillonne
tu sens monter en toi une 'petite' faim.
 
A gonfler les jupons, les châles provençaux
le vent de Soulèu en oublie son accent
et le peintre surpris en lâche ses pinceaux,
 
il semble distinguer comme un air d'opéra,
ne veux rien oublier au tableau mûrissant,
ici un tian vaut bien mieux que deux tu l'auras.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
x

lundi 4 février 2013

Conseils à conserver

 
 

 
 
Si par le plus grand des hasards, Monsieur venait à poser son regard sur la porte du frigo et se donne la peine de décrocher sa collection d'immondes magnets “80 ans et toujours jaune” à la gloire de Ricard , il pourra lire ce qui suit:
 
Le compartiment beurrier n'est pas une nurserie pour ses asticots destinés à la pêche.
 
Si les balconnets amovibles sont multi-usages, c'est bien qu'ils n'ont pas été conçus uniquement pour les semis de printemps, de même que le casier à oeufs n'est pas un rangement à boules de pétanques, contrairement au casier à vin qui semble n'avoir aucun secret pour Monsieur.
 
Le chiffre 5 sur l'afficheur est la consigne de température et non pas la date de péremption du contenu qu'on évitera alors de jeter à tort.
 
Le ronronnement qu'on entend à l'arrière est normal, il ne s'agit pas du chat et il est donc inutile d'y glisser une coupelle de lait chaque matin.
 
Enfin, les poignées des portes contrairement au four à pyrolyse ne sont pas auto-nettoyantes. Le seul programme disponible est manuel.
 
Signé: la bonne  


samedi 2 février 2013

Jour de marché

Publié sur Mil Et Une d'après un pastel de Martine M Richard
 
 
 
 
C'est à l'heure où les deux aiguilles de l'horloge du beffroi se coursaient au zénith que la chose se produisait de façon immuable.
On aurait dit que la ruelle déjà bien animée depuis le matin passait la vitesse supérieure, comme si les badauds redoutaient que les fruits soient trop mûrs, les légumes trop flétris et le cabas trop vide.
C'était jour de marché et chacun se sentait investi d'une indispensable et périlleuse mission, comme si sa vie et celle des siens ne dépendaient que de ces trésors arrachés à la terre et aux arbres, gorgés de soleil et parfumés à en devenir gaga.
Offerts aux regards, les fruits de la terre explosaient de mille couleurs et senteurs au point que le choix devenait une véritable affaire de spécialiste.
Melon ou pastèque, aubergine ou courgette, mi-figue mi-raisin, bien malin qui aurait pu arracher le secret d'une recette dans cette folle chasse au trésor.
 
Il fallait aussi une oreille exercée, une oreille d'ici pour distinguer le subtil tintement des glaçons qui fait tout le secret du pastis servi à la terrasse du Titoun au milieu du joyeux tintamarre de midi, des voix pointues et chantantes des matrones et de la gouaille des vendeurs et bonimenteurs de tout poil.
Ajoutons à cela l'affreux grincement du store que Titoun ajustait chaque instant de peur que sa terrasse ne fonde au soleil, et vous aurez une idée d'un typique concert de ruelle commerçante.
 
Plus tard, lorsque Mado décrochait sa guirlande d'ails et piments - découvrant des mollets qui auraient fait pâlir de jalousie les champions cyclistes locaux - c'était le signal d'un branle-bas de combat indescriptible tant pour les étalagistes pressés de remballer que pour les clients assoiffés en proie à une contagieuse pépie.
 
La ruelle inondée des rayons verticaux du soleil s'emplissait alors d'un brouillard poussiéreux qui retombait en vagues ocres sur les pavés surchauffés.
Malheur à qui ne rangeait pas ses sandales à l'écart des charrettes et autres brouettes lancées dans un rallye des plus folkloriques.
 
C'était exactement l'heure où ma Fanny - anéantie des frasques de la nuit - ouvrait un oeil paresseux en s'étirant sous la couette... mais c'est ma Fanny et c'est une autre histoire.