C'est
à l'heure où les deux aiguilles de l'horloge du beffroi se
coursaient au zénith que la chose se produisait de façon immuable.
On
aurait dit que la ruelle déjà bien animée
depuis le matin passait la vitesse supérieure, comme si les badauds
redoutaient que les fruits soient trop mûrs, les légumes trop flétris et
le cabas trop vide.
C'était
jour de marché et chacun se sentait
investi d'une indispensable et périlleuse mission, comme si sa vie
et celle des siens ne dépendaient que de ces trésors arrachés à la terre
et aux arbres, gorgés de soleil et parfumés à en
devenir gaga.
Offerts aux regards, les fruits de la terre
explosaient de mille couleurs et senteurs au point que le choix devenait une véritable affaire de spécialiste.
Melon ou pastèque, aubergine ou courgette,
mi-figue mi-raisin, bien malin qui aurait pu arracher le secret d'une recette dans cette folle chasse au trésor.
Il
fallait aussi une oreille exercée, une
oreille d'ici pour distinguer le subtil tintement des glaçons qui
fait tout le secret du pastis servi à la terrasse du Titoun au milieu du
joyeux tintamarre de midi, des voix pointues et
chantantes des matrones et de la gouaille des vendeurs et
bonimenteurs de tout poil.
Ajoutons
à cela l'affreux grincement du
store que Titoun ajustait chaque instant de peur que sa terrasse ne
fonde au soleil, et vous aurez une idée d'un typique concert de ruelle
commerçante.
Plus
tard, lorsque Mado décrochait sa
guirlande d'ails et piments - découvrant des mollets qui auraient
fait pâlir de jalousie les champions cyclistes locaux - c'était le
signal d'un branle-bas de combat indescriptible tant pour les
étalagistes pressés de remballer que pour les clients assoiffés en
proie à une contagieuse pépie.
La ruelle inondée des rayons verticaux du
soleil s'emplissait alors d'un brouillard poussiéreux qui retombait en vagues ocres sur les pavés surchauffés.
Malheur à qui ne rangeait pas ses sandales à
l'écart des charrettes et autres brouettes lancées dans un rallye des plus folkloriques.
C'était
exactement l'heure où ma Fanny -
anéantie des frasques de la nuit - ouvrait un oeil paresseux en
s'étirant sous la couette... mais c'est ma Fanny et c'est une autre
histoire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire