samedi 2 février 2013

Jour de marché

Publié sur Mil Et Une d'après un pastel de Martine M Richard
 
 
 
 
C'est à l'heure où les deux aiguilles de l'horloge du beffroi se coursaient au zénith que la chose se produisait de façon immuable.
On aurait dit que la ruelle déjà bien animée depuis le matin passait la vitesse supérieure, comme si les badauds redoutaient que les fruits soient trop mûrs, les légumes trop flétris et le cabas trop vide.
C'était jour de marché et chacun se sentait investi d'une indispensable et périlleuse mission, comme si sa vie et celle des siens ne dépendaient que de ces trésors arrachés à la terre et aux arbres, gorgés de soleil et parfumés à en devenir gaga.
Offerts aux regards, les fruits de la terre explosaient de mille couleurs et senteurs au point que le choix devenait une véritable affaire de spécialiste.
Melon ou pastèque, aubergine ou courgette, mi-figue mi-raisin, bien malin qui aurait pu arracher le secret d'une recette dans cette folle chasse au trésor.
 
Il fallait aussi une oreille exercée, une oreille d'ici pour distinguer le subtil tintement des glaçons qui fait tout le secret du pastis servi à la terrasse du Titoun au milieu du joyeux tintamarre de midi, des voix pointues et chantantes des matrones et de la gouaille des vendeurs et bonimenteurs de tout poil.
Ajoutons à cela l'affreux grincement du store que Titoun ajustait chaque instant de peur que sa terrasse ne fonde au soleil, et vous aurez une idée d'un typique concert de ruelle commerçante.
 
Plus tard, lorsque Mado décrochait sa guirlande d'ails et piments - découvrant des mollets qui auraient fait pâlir de jalousie les champions cyclistes locaux - c'était le signal d'un branle-bas de combat indescriptible tant pour les étalagistes pressés de remballer que pour les clients assoiffés en proie à une contagieuse pépie.
 
La ruelle inondée des rayons verticaux du soleil s'emplissait alors d'un brouillard poussiéreux qui retombait en vagues ocres sur les pavés surchauffés.
Malheur à qui ne rangeait pas ses sandales à l'écart des charrettes et autres brouettes lancées dans un rallye des plus folkloriques.
 
C'était exactement l'heure où ma Fanny - anéantie des frasques de la nuit - ouvrait un oeil paresseux en s'étirant sous la couette... mais c'est ma Fanny et c'est une autre histoire.

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