samedi 14 mars 2009

Histoire de génie

"Cuba libre" publié le 14 mars sur défi du samedi


Je sais pas pour vous, mais moi, quand je suis un tantinet à la bourre, c'est là qu'arrivent les emmerdes... et la tondeuse à barbe qui me crâme la joue gauche au troisième degré et se met à faire un bruit bizarre, forcément ça sent le cochon grillé et aussi le remontage de bretelles en arrivant au bureau !
J'arrache le fil secteur de la tondeuse et la prise murale avec, mais ça n'arrête pas ce bruit et même on dirait que ça parle ! Bon Dieu, j'connaissais pas la fonction radio-réveil de ma tondeuse; "Salut, moi c'est Genius, et t'as deux minutes pour faire 4 voeux mon pote".
Comme je reconnais pas la voix d'Arthur, ni de Foucault, j'attends la suite... Aïe! J'aurais pas dû car ça répète "T'as deux minutes pour faire 4 voeux mon pote !" et ça chauffe dur dans ma pogne; c'est devenu collant ce machin, ça me lâche plus !
La joue en feu, je m'interroge dans la glace mais je ne me réponds pas... ça commence mal.
Vite, un voeu, mais le matin, j'suis pas très voeu ou alors frit et au bacon!
ça y est ! J'en ai un... moi et mon esprit pratique, je pare au plus pressé pour éviter  le remontage de bretelles: "J'aimerais que toutes les pendules reculent d'une heure !"; ça me laissera le temps de digérer tout ce tintouin. Apparemment, ça a marché car la tondeuse chauffe moins et ça répond "T'as une minute et demie pour faire 3 voeux mon pote !".
Il a de la suite dans les idées, Genius, et y me faut un voeu rapidos, parce qu'il a pas retardé son chronomètre d'une heure, le p'tit génie !
Accoucher d'un voeu, ça parait facile, mais j'aimerais vous y voir, assis à poil sur le carrelage avec un radiateur dans la pogne... J'ai envie de lui demander un dictionnaire de voeux, mais y doit pas avoir beaucoup d'humour, alors je cherche encore et ça vient, minable, mais ça vient "Je voudrais un chouette costard, un truc en lin bien coupé".
C'est arrivé dans la seconde sur un cintre... Ah oui ! Bien coupé, du Torrente ou Armani; il s'est fendu le p'tit génie, mais pour la couleur j'aurais pas choisi fuschia ! Pas l'temps de râler, il continue: "T'as une minute pour faire 2 voeux mon pote !"       
J'sais pas si c'est le costume fuschia qui me fait cet effet , mais j'ai soudain plus envie d'être seul, alors j'vais lui demander une superbe créature avec tous les détails pour pas me faire arnaquer, non mais ! Blonde avec les numéros qui vont bien... 85-60-85; ben quoi ? puisque j'ai l'choix.
Le p'tit génie a dû trouver ma blonde de rêve à en croire la vibration de la tondeuse et un bruit venant de ma chambre me fait bondir de la salle de bains, la langue par terre.
Elle est là, à plat ventre sur le lit, une masse de cheveux blonds jusqu'au creux des reins, des jambes interminables et tout ce que je ne vois pas puisqu'elle est occupée à pianoter sur mon Mac Intosh... intellectuelle en plus ! Elle pianote d'une main et joue avec un truc dans l'autre, on dirait une carte de crédit. C'est quand je reconnais ma Gold que je m'évanouis...
ça gueule dans la tondeuse et du coup, je sors du coma "T'as trente secondes pour faire le dernier voeu mon pote !"
J'émerge sur le lit où ça empeste Chanel à plein nez; la blonde s'est enfermée dans la salle de bains et soudain, j'aime moins les blondes et beaucoup moins les p'tis génies !
A moins de vouloir vivre avec une tondeuse greffée dans la main, je dois trouver ce p.... de 4ième voeu dans les trente secondes.
Aidez-moi, au lieu de lire bêtement ce qui m'passe par la tête ! Y faut que tout ça s'arrête vite, la blonde, le costard fuschia, quitte à me faire engueuler par le boss et hypothéquer mes augmentations, y faut que je m'arrache de tout ça... 15 secondes ! Je jure de plus me raser jusqu'à ma mort, alors je lui dis, je lui hurle mon dernier voeu "Je ne veux plus jamais voir cette fille, ni ce costard ridicule, ni cette tondeuse de malheur !".

 
C'est plutôt calme ici et il y a un grand soleil: pas de blonde à l'horizon, ma joue me fait moins mal et en guise de costard, j'ai une combinaison orange; je suis devant un grand porche avec une inscription dessus... on dirait une colonie de vacances ou une maison de repos, j'arrive à lire "Bienvenue à Guantanamo".

lundi 2 mars 2009

Le retour des prédateurs

"Le retour des prédateurs" publié sur les Impromptus Littéraires

Il y avait ce matin un brouillard à couper au couteau, mais il se garda bien de le faire, préférant tenir ses deux mains au chaud dans les poches de son treillis de chasse tout neuf; on était le dernier jour de février et pourtant Clarysse avait insisté pour qu'il se mette sur son 31. Elle disait souvent "Un chasseur qu'sait chasser doit t'jours chasser ....." mais il ne se souvenait jamais de la fin. Un froid de canard nasillait fort depuis bientôt un mois, une bise glaciale persistante à vous coller l'appeau aux lèvres pour l'éternité, mais annonciatrice du retour des prédateurs...

Un mois qu'il battait la campagne qui ne lui avait rien fait, sa pétoire sur l'épaule en quête d'un beau cerf... bien qu'un 2ième tête aurait amplement suffi à le nourrir, lui Clarysse et les jumeaux Haribo et Tinours, puisqu'il n'était après tout que Prédateur de Troisième Catégorie.
Il n'avait fait que deux garçons et un brin de nostalgie lui fit sortir une main de sa poche pour caresser ses jumelles... un vilain point noir, au bout de son nez se détachait sur la plaine neigeuse et il crut reconnaître un Prédateur de Cinquième Catégorie dans une trouée de brume; celui-là avait l'air si hébété, qu'il comprit que l'homme était à l'ouest, ce qui lui permit de s'orienter plus facilement. A dix lieues de penser qu'il tournait le dos à sa maison, ce qui faisait quand même trente deux bornes , il fit demi-tour et reprit sa marche d'un pas aussi rapide que lui permettaient les raquettes, n'étant pas lui même très doué comme ne cessait de lui répéter son voisin, le Roland Garosse.
Pourtant il progressait bien et gagna l'orée d'un petit bois, ce qui était toujours ça de pris; à l'abri des grands chênes pédonculés qui n'avaient rien fait d'inavouable pour mériter un nom pareil, il souffla un moment sur ses doigts gourds en songeant à Clarysse qui devait bouillir devant la marmite!

S'il rentrait beurdouille comme disait le cousin Félix, il faudrait encore demander au vieux Maigrat de leur faire crédit, et il jura, car ça lui rappelait trop un passage de Germinal... "Bachi-bouzouk, canaille, bougre de faux jeton à la sauce tartare !!". A ses jurons répondit alors un vacarme assourdissant qui le mit le cul dans la neige; une masse noire surgie de nulle part fonçait sur lui, si tant est qu'une masse noire puisse encore foncer, en soulevant un cumulus de neige et une branlée de branches mortes mal fagotées. (A cette époque, la branlée valait dix bourrées)... il en était resté à "sauce tartare" et n'alla pas plus loin, la bouche ouverte !
Il aurait bien pris la poudre d'escampette mais elle était restée au village;  à peine remis de sa surprise, il ne put qu'entrevoir un dix cors qui, dans un cri rauque à lui glacer le sang, l'enjamba sans même le toucher dans le désordre, et sortit du bois. A son accent, il comprit qu'il filait à l'anglaise... il tira pourtant mais au flanc, ce qui n'eut aucun effet, sinon de le détendre un peu. "Fuck the stag !!" risqua t il quand même en direction du cerf qui n'était déjà plus qu'une fourmi à l'horizon et donc trop loin pour répondre à l'injure, mais ça lui faisait un bien immense et une occasion de pratiquer.

Sur ce coup-là, il avait fait chou blanc mais il manquait la viande pour faire la fameuse potée Maïté; il ramassa ses raquettes et s'ébroua pour épargner le treillis tout neuf... l'époque était à l'épargne comme disait Lagarde le banquier dont les paroles étaient d'or autant que ses silences. Reprenant des couleurs et du poil de la bête, ce qui était une maigre consolation pour un prédateur, il s'orienta à nouveau, hésitant entre Scier-Le-Guillaume et Peser-Les-Robert et opta finalement pour la troisième solution. Prenant son élan, il reconnut alors le chemin de Bercaille, son village, où Clarysse et les jumeaux allaient encore l'appeler Arthur alors qu'il se nommait Sigefroid (oui, au début ça fait rire... mais c'est juste son prénom). 
La tronche de cake du vieux Maigrat le hantait de nouveau et il martela la neige d'un violent revers slicé de sa raquette tout en variant ses jurons: "Prédateur, Nyctalope !!"... Oui, nyctalope, ça ! c'était bien envoyé; enfin un revers gagnant. Il se promit néanmoins de se contenir afin de négocier une grosse boîte de corned-beef dans les meilleures conditions... ce qui n'empêchait pas que Maigrat était un maudit prédateur !