mercredi 30 avril 2014

Rapport au service des Affaires Impromptues

Sur le thème Histoire policière, La Bavure et ses adjoints reprennent du service pour les Impromptus Littéraires


 

 
 
 
Ce matin-là au 36 Quai des œufs frais règne une agitation inhabituelle, entre brouillé et cocotte.
L'épicentre du séisme se situe précisément au bureau de l'inspecteur La Bavure où ont été conviés Ouatson et Ouatelse, ses deux fidèles collaborateurs.

“Les enfants, vous avez deux jours pour me pondre ce rapport d'enquête que nous réclame le service des Affaires Impromptues”.
Le mot 'enfants' dans la bouche de La Bavure dénote une occasion exceptionnelle - une distinction, un acte de bravoure ou un remaniement ministériel - et les deux compères se sentent à la fois honorés et inquiets de ce qui va leur tomber sur la tronche.

“Quel rapport d'enquête, inspecteur?”
“Peu importe, Ouatelse. Trouvez moi aux archives un truc explosif et tournez le à notre avantage. J'veux pas qu'on passe pour des rigolos. Vous chang'rez les dates, les noms, les lieux, enfin... vous voyez”
“Euh... ça veut dire qu'on peut inventer, chef?”
“J'vous fais confiance, Ouatson... Enfin, c'est une manière de parler.”

“J'ai toujours été doué pour inventer des histoires, chef. Déjà à l'école alimentaire...”
“Élémentaire, mon cher Ouatson, on dit élémentaire et pas alimentaire”
“Et je pourrai y mettre un peu de glamour, inspecteur?”
“Allez-y mollo, Ouatelse. On n'est pas dans Mad Men non plus.”

Le sourire entendu des deux complices illumine le bureau mais comme on n'entend rien on n'en dira pas plus.
Ouatson arrive le premier “à la cave” - aux archives du 36 Quai des œufs frais - suivi d'une Ouatelse haletante. Il faut dire que douze centimètres de talons, ça vous essouffle les collaboratrices les plus aguerries.

“On voit que dalle ici! N'en profitez pas, Ouatson! Je commence par où?”
“Je vais prendre les dossiers de A à J et vous de L jusqu'à la fin.”
“Et pour le K?”
“Quoi, pour le cas? Pour le cas où on trouverait rien, on avisera...”

Deux jours plus tard et à peu près autant de nuits blanches, le rapport d'enquête tombe - vu son poids - sur le bureau de La Bavure.
“Pfffuuuii! Vous avez pas amusé l'terrain vous deux!”
“On a un peu brodé, chef. On voulait qu'les gars des Impromptus en aient pour leur argent.”
“Désolé d'vous décevoir Ouatson mais avec ces gens-là on n'est pas payés à la ligne.”
“J'y ai mis aussi du glamour, inspecteur, puisque vous m'avez autorisée à le faire” minaude Ouatelse.
“Voyons ça” coupe La Bavure d'un ton empreint d'inquiétude.
 
Je lis : “Introduction: Le loft était baigné d'une lumière irréelle. En bustier Chanel et Louboutin elle entra silencieusement en dégageant son flingue d'une ceinture de pur croco...”
 
“C'est quelle police, ça?”
“Du Times New Roman Taille 13! Ca fait bien, non?”
“Ouatelse, j'vous d'mande le rapport entre ce tissu d'conneries et un vrai rapport d'enquête policière!!”
“Euh... j'avoue avoir un peu brodé inspecteur. Tous ces drames, ces meurtres, ces vies brisées rangés par milliers dans les placards poussiéreux du deuxième sous-sol, ça m'a fichu un de ces coup d'blues alors j'ai pensé que...”
“Arrêtez tout d'suite! Vous allez m'reprendre tout ça et au passage vous virerez toutes ces photos de vous qu'ont rien à foutre là!!”
“Euh.. inspecteur, vous devriez lire la suite, c'est du Ouatson”.
(Soupir)
 
Je lis : “Premières investigations:
La filature me mène tout droit dans une usine de filatures.
Ca pourrait paraître déroutant mais pas tant que les noms des suspects que j'ai découverts dans le registre de l'usine désinfectée: Soie sauvage, Rêve de fil, Aile de soi, Viscose, le beau Serge, Brocard, Latex et plein d'autres encore.
Je vais avoir besoin de renforts...”
 
“Vous délirez mon vieux! Où avez-vous pêché tout ça? Et on dit désaffectée, pas désinfectée”
“Euh, maintenant que vous le dites chef, c'était plutôt crade pour une usine désinfectée. J'ai juste un peu inventé, chef.”
“Excusez moi mais tout le reste est comme ça, Ouatson?”
“Non chef, la dernière partie c'est encore du Ouatelse”
(Soupir)
Effectivement signalée par une photo dédicacée de Ouatelse prise le jour du pot de remise des diplômes d'inspecteur premier échelon, la dernière partie est remarquable de concision.
 
Bon, je lis : “Dénouement de l'enquête”:
Dénouer tous ces fils ne fut pas une mince affaire, surtout fin avril.
Mais pour une bonne enquête ce fut une bonne enquête.”
 
(Long silence)
Après ce long silence, une réplique du séisme secoue le bureau tout entier...
Quand le calme revient enfin, les deux compères soufflés par l'explosion ont regagné fissa leurs cagibis respectifs.
 
Après avoir maudit le service des Affaires Impromptues, La Bavure - au risque de passer pour l'unique rigolo du 36 Quai des œufs frais - se donne cinq jours pour recommencer le travail.

A l'heure où j'écris ces lignes, le service des Affaires Impromptues n'a pas fait de commentaires et c'est de bon augure pour l'avenir.  
 
 
 
 
 
 

Kousket out?

En réponse au thème du site MilEtUne Histoires, d'après l'illustration suivante:
 


 

 
 
 
Chez les Coeur et surtout le père Pierre on était triste et lugubre, il faut dire qu'on était un peu gothiques aussi. D'ailleurs à l'époque on disait déjà malheureux comme le Pierre.
Dans la famille Coeur il y avait les gisants mais ils étaient tous bien morts et il y avait Jâcques reconnaissable à son drôle d'accent sur le 'a'.
Jâcques avait un penchant. Il passait son temps penché à la croisée à guetter on-ne-sait-quoi.
 
D'en bas, les françois qui le voyaient penché avec son drôle d'accent sur le 'a' lui demandaient: “Jâcques, frère Jâcques... Dormez-vous? Dormez-vous?”.
Qui des bretons lui demandaient “Kousket out? Kousket out?”, qui des alsaciens “Schlofsch du noch? Schlofsch du noch?“, qui des catalans “Desperteu? Desperteu?” ou qui des turcs “Kalksana? Kalksana?” et Jean passe et des meilleures car il y avait du passage!
 
Ce à quoi Jâcques répondait toujours avec son drôle d'accent sur le 'a': ”Je ne dors pâs, je guette on-ne-sait-quoi!”.
Alors qui des françois, des bretons ou des turcs demandaient: “Frère Jâcques, d'où tu es ainsi penché, ne vois-tu donc rien venir?”
Jâcques répondait avec cet accent sur le 'a' qui devenait franchement pénible à préciser à chaque fois: “Je ne vois que l'herbe qui verdoie, le soleil qui poudroie et ma vue qui merdoie”.

Il faut dire que chez ces gens-là - d'abord y a l'aîné avec un drôle d'accent sur le 'i', puis y a l'autre et puis les autres - la vue merdoyait beaucoup et qu'elle leur avait valu une belle déculottée à la bataille d'Azincourt.
Mais derrière sa fenêtre, Jâcques était libre dans sa tête et s'endormait peut-être comme le chanta le ménestrel de l'époque Johan de Hallyday.
Seule Macée de Léodepart et son teint d'ivoire lui feront tourner la tête et avec un blaze pareil, chacun en eut fait autant...
On pourrait croire que les Léodepart (en latin Panthera) vivaient en Afrique ou en Asie, pourtant à ce qu'on dit Macée était flamande, légère et onctueuse comme bien des tartes.
 
De ce jour, Jacques perdit son accent - et c'est tant mieux - et quitta sa fenêtre pour aller faire ses affaires de par le monde ainsi que cinq chiards à chacun de ses retours... enfin, c'est ce que Jacques a dit.
 
Macée se languissant - on lui doit l'expression Loin des yeux, loin du Coeur - elle fit ériger le buste de son chéri d'amour à la fenêtre pour donner le change.
Aujourd'hui on appelle ça un trompe l'oeil.
 
Si vous passez un jour par Bourges - capitale du Berry - vous ne pourrez pas rater la grand'maison que Jacques habita peu puisqu'après avoir magouillé dans la finance, croupi en tôle avant de s'évader, il alla se faire voir chez les grecs.

La fin est un crève coeur, alors l'histoire s'arrêtera là.  

Aujourd'hui ce qui craque

 
Les 366 réels à prise rapide correspondent à un exercice d’écriture de Raymond Queneau tiré des Exercices de Style. Il s’agit d’écrire chaque jour un texte sur un thème proposé sous la forme “Aujourd’hui [quelque chose]“.
Les règles sont les suivantes : écrire sur le vif, ne pas écrire plus de 100 mots, rapporter des éléments réels de sa journée sans en inventer et sans se référer à un jour antérieur, suivre la thématique de la date correspondante.
Pas sûr que j'écrive tous les jours si je craque... et de toute manière, pas sûr que vous me lisiez tous les jours!






Un radiateur de climatisation, ça craque? En tout cas ça peut avoir des fuites.
En langage technique on appelle ça un condenseur, un machin à condenser les problèmes.
Des bougies de préchauffage diesel, ça craque? En tout cas ça s'éteint au bout d'un moment, sans doute l'effet du vent...ilateur!
Si on coupe le ventilateur, est-ce que les bougies restent allumées?
Faudra que j'essaie.
Et des injecteurs, ça craque? En tout cas ça tourne pas rond là-dedans.
Ca injecte, mais quand ça injecte mal, forcément ça marche moins bien.
Au final, j'ai fait les comptes: c'est certain! C'est moi qui vais craquer

samedi 26 avril 2014

Tantra

Publié aux Défis Du Samedi sur le thème: Excentrique
 
 
 



 
Je me trouve ordinaire, on me dit excentrique
pour moi “monter en haut” est juste un pléonasme
on dit qu'il n'y a pas de plaisir sans orgasme
je ne suis pas de bois, j'aime l'amour tantrique.
 
Le message parlait de massage Tantra
loin de toute débauche et du Kâmasûtra
il était notamment question de spirituel
mais aussi de paiement en traites mensuelles.
 
J'ai signé pour six mois... une masseuse noire
à moi le tatami, à elle les pourboires
et puis j'ai découvert le fameux “lâcher prise”
 
et la révélation... il s'appelait Maryse
les six mois sont passés, on me dit excentrique
je travaille beaucoup sur le périphérique.
 
 

jeudi 24 avril 2014

Aujourd'hui à 11h 30 précises

Les 366 réels à prise rapide correspondent à un exercice d’écriture de Raymond Queneau tiré des Exercices de Style. Il s’agit d’écrire chaque jour un texte sur un thème proposé sous la forme “Aujourd’hui [quelque chose]“.
Les règles sont les suivantes : écrire sur le vif, ne pas écrire plus de 100 mots, rapporter des éléments réels de sa journée sans en inventer et sans se référer à un jour antérieur, suivre la thématique de la date correspondante.
Pas sûr que j'écrive tous les jours à heure fixe... et de toute manière, pas sûr que vous me lisiez tous les jours!






Chez Cassetout y a tout pour tout.
J'ai juste besoin d'une ampoule... c'est castoche!
Led, basse consommation, Ecohalogène, Halogène?
Euh... La même que celle qui vient de péter: Classique, gros culot E27
Une qui éclaire bien, sans trop consommer et pas chère
Consomme 42W, Equivalent 55W. Ah bon?
L'halogène ferait gagner des Watts et 20% de lumière.
630 lumen ça fait rêver!
Je réalise qu'un flux lumineux d'un lumen par mètre carré donne un éclairement de un lux.
11h 40: C'est pas du luxe.
J'ai envie de dire que là où y a de l'halogène y a pas d'plaisir...
 
 

mercredi 23 avril 2014

Fragment d'aujourd'hui raconté en sondage d'opinion

Les 366 réels à prise rapide correspondent à un exercice d’écriture de Raymond Queneau tiré des Exercices de Style. Il s’agit d’écrire chaque jour un texte sur un thème proposé sous la forme “Aujourd’hui [quelque chose]“.
Les règles sont les suivantes : écrire sur le vif, ne pas écrire plus de 100 mots, rapporter des éléments réels de sa journée sans en inventer et sans se référer à un jour antérieur, suivre la thématique de la date correspondante.
Pas sûr que j'écrive tous les jours... et de toute manière, pas sûr que vous me lisiez tous les jours!






Ce matin je me suis sondé.
Quand on n'a pas l'habitude, ça surprend mais avec le temps on s'habitue et j'en suis arrivé à la conclusion que:
 
Cent pour cent des croquettes distribuées quotidiennement aux chats sont consommées en vingt quatre heures.
Reboucher une taupinière chaque jour dans le jardin c'est dix minutes d'espérance de vie en moins pour moi mais pas pour la taupe.
Je trouve le pain meilleur quand la boulangerie est fermée et que la suivante est à deux kilomètres.
Sonder ne s'écrit pas avec un C cédille.
J'ai horreur des sondages comme la plupart des sondés.
 
 
 
 
 

mardi 22 avril 2014

Aujourd'hui je renonce à

Les 366 réels à prise rapide correspondent à un exercice d’écriture de Raymond Queneau tiré des Exercices de Style. Il s’agit d’écrire chaque jour un texte sur un thème proposé sous la forme “Aujourd’hui [quelque chose]“.
Les règles sont les suivantes : écrire sur le vif, ne pas écrire plus de 100 mots, rapporter des éléments réels de sa journée sans en inventer et sans se référer à un jour antérieur, suivre la thématique de la date correspondante.
Pas sûr que j'écrive tous les jours par renoncement... et de toute manière, pas sûr que vous me lisiez tous les jours!






... m'obstiner.
Je sais - dit comme ça - ça fait bizarre: Renoncer à s'obstiner.
Parce que renoncer c'est déjà en soi une obstination.
Si on ne s'obstine pas à renoncer, c'est dire que l'on renonce à renoncer et donc qu'en définitive on ne renonce pas alors même que l'on renonce.
Je ne sais pas si je me fais bien comprendre.
Je pourrais reprendre mais certains diront que c'est pour meubler.
Je sais, j'aurais pu renoncer à ce 202ème réel à prise rapide mais je ne suis pas du genre de ceux qui renoncent pour un oui pour un non.
 
 
 
 

lundi 21 avril 2014

Fer chaud et pattemouille

Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème: "En avril ne te découvre pas d'un fil !".
De quel fil êtes-vous couvert, ou de quelle étoffe êtes-vous vêtu ?
 
 
 

 
Elle avait habillé d'un tissu de mensonges
son conte biscornu et cousu de fils blancs
en guise de peignoir une serviette-éponge
qui peinait à cacher un sein des plus troublants.
 
De tout son boniment je n'ai pas cru un mot
d'autant qu'un pied fourchu entrebaillait ma porte
j'étais là, condamné à croquer le marmot
et je pestais déjà “que le Diable l'emporte”
 
Mais ma folle harpie tenait à en découdre
sitôt se faufilant aux coussins moleskine
et je fus baillonné d'une langue coquine
au velours entêtant à déclencher la foudre.
 
Des trésors satinés ondulaient sous mes mains
projetaient leurs contours sur la toile de Jouy
je voulus m'échapper mais en un tournemain
je fus ensorcelé, m'entendis dire Oui
 
Elle criait “Prends-moi”, j'implorais Saint Erasme
Adieu complet veston, caleçon de flanelle
elle semblait ne pas faire dans la dentelle
car c'est sans moi qu'elle eut un tout premier orgasme!
 
Elle était le fer chaud et moi la pattemouille
j'ai mordu aux boutons rosés et opaline
pénétré son bijou ourlé de zibeline
c'est là que le carrosse est devenu citrouille...   
 
 
 
 
 

Aujourd'hui plaque de rue

Les 366 réels à prise rapide correspondent à un exercice d’écriture de Raymond Queneau tiré des Exercices de Style. Il s’agit d’écrire chaque jour un texte sur un thème proposé sous la forme “Aujourd’hui [quelque chose]“.
Les règles sont les suivantes : écrire sur le vif, ne pas écrire plus de 100 mots, rapporter des éléments réels de sa journée sans en inventer et sans se référer à un jour antérieur, suivre la thématique de la date correspondante.
Pas sûr que j'écrive tous les jours... et de toute manière, pas sûr que vous me lisiez tous les jours!






 
J'aurais pu habiter Rue de l'écoute s'il pleut ou Rue Rompi Cuou (la rue du cul rompu) à Bormes mais non.
Je ne donnerai pas aux facteurs l'occasion de se poiler en triant le courrier.
J'habite tout bonnement sur un sentier de randonnée.
Tout près de La Mare et du Bois des Iles si vous voyez.
Ici pas de plaque de rue par manque de rue.
La seule plaque qui émerge encore de l'écorce d'un arbre qui a pris le dessus est celle d'un avertissement aux feux de forêt...
Brocéliande en lettres blanches sur fond vert... tout un programme
 
 
 
 
 
 

dimanche 20 avril 2014

Aujourd'hui rouge

Les 366 réels à prise rapide correspondent à un exercice d’écriture de Raymond Queneau tiré des Exercices de Style. Il s’agit d’écrire chaque jour un texte sur un thème proposé sous la forme “Aujourd’hui [quelque chose]“.
Les règles sont les suivantes : écrire sur le vif, ne pas écrire plus de 100 mots, rapporter des éléments réels de sa journée sans en inventer et sans se référer à un jour antérieur, suivre la thématique de la date correspondante.
Pas sûr que j'écrive tous les jours en rouge ou en noir... et de toute manière, pas sûr que vous me lisiez tous les jours!






La question existentielle que tout épicurien normalement constitué se pose à la préparation du repas d'un dimanche pascal:
 
Qu'est ce que je pourrais bien servir sur le roti de veau Orloff?
Peut-être un Languedoc... Corbières ou Costières de Nimes?
Ou un val de Loire... Anjou?
Ah si j'avais un Chateauneuf du Pape... faut pas rêver!
Je suis sûr que certains oseraient un blanc... un Pinot Gris voire un Côtes du Jura.
Et bien non, la gueguerre Bourgogne-Rhône-Sud-Ouest n'aura pas lieu.
Ce sera un Beaujolpif: un gamay noir à jus blanc bien entendu
J'ai nommé un Morgon 2012 de chez Bourisset
 
 
 

samedi 19 avril 2014

Cuisses de crapiau

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration ci-dessous
 
 
 
 


“Où qu'c'est qu't'es encore allé te draler?” s'écria Anastazia avec cet horrible accent polonais qui nous donnait aussitôt envie de repartir d'où on venait.
En vacances chez Oncle Hubert, je passais jusqu'au soir le plus clair de mon temps à draler autour de la ferme à la recherche de quelque coup pendable... de toute manière, l'Oncle ne disait rien bien au contraire puisqu'il ne disait rien.
 
Cette fois-ci la chasse aux gueurnouilles m'avait mené de mares en buissons au point que j'étais couvert de gratte-culs accrochés à mes vêtements et une course forcée dans la rivière m'avait gaugé au point que mes chaussures en bâillaient comme les crocodiles du Nil de mon livre de sciences...
J'étais là sur le seuil de la cuisine, le coutias d'une main et ma gueurnouille dans l'autre quand l'Oncle est arrivé de sa sieste. Il faut dire qu'il était déjà cinq heures.
J'avais dû y aller un peu fort avec ma “bête”, l'agaçant un bon moment du bout de mon tiau avant de lui porter quelques estocades puis le coup de grâce; c'est pourquoi elle était en piteux état et déclencha le rire inimitable de l'Oncle!
“Faut-y pas être un beusenot pour déniaper un crapiau comme ça!” s'esclaffait il en se tenant le ventre.
Habituellement un beusenot est un niais mais venant de mon Oncle c'était comme un petit nom amical, du moins je le prenais comme tel depuis ma naissance.
“Qu'est ce que tu veux que j'fasse de ton crapiau?” demanda Anastazia en tordant la bouche de dégoût.
Interloqué je regardais ma “bête”, sa peau pustuleuse et ses gros yeux éteints; c'est vrai que comme ça elle ne ressemblait pas aux fricassées de cuisses de gueurnouilles à la crème qu'Anastazia nous mijotait quand on en avait assez de son bortsch aux haricots.
 
Ainsi ma vaillante gueurnouille était un vulgaire crapiau! Dans la bagarre, je m'étais mépris sur l'adversaire et je sentis me monter le rouge au front!
Demain tout le village - peut-être même toute la côte de Nuits - saurait que j'avais pris un crapiau pour une gueurnouille!
Je tentai quand même une manoeuvre pour amadouer notre cuisinière:
“Avec quelques grosses tarteuffes que je plucherai moi-même... et ta sauce à la crème, ça sera tout pareil”
A coup sûr je venais de blasphèmer car Anastazia était passée subitement de la blancheur slave au rouge vineux: ”Pareil? Vindiou! Tu m'embistrouilles! Jamais tu m'feras cuisiner un machin comme ça!”
Comme Oncle Hubert riait toujours, je changeai de tactique.
“V'la t'y pas une belle occasion d'ouvrir un de tes Pouilly-Fuissé, mon Oncle?”
Je crus un instant avoir fait vibrer sa corde sensible mais Anastazia y mêla un puissant vibrato qui m'ôta tout espoir de déguster mon crapiau:
“Sors d'ici avec ta bestiole! Vous viaunez tout autant l'un que l'autre à m'en donner le virot!!”
Comme elle me promettait une frottée pour faire bonne mesure, je déguerpis avec ma bestiole, suivi par l'Oncle qui riait toujours.
Il ne me restait plus qu'à me débarrasser de cette chose et de ma honte avec...
 
“Attends donc, beusenot!” tonna Oncle Hubert en posant sa grosse patte sur mon épaule “on s'en servira pour appâter à l'étang... demain, j't'emmène à la pêche”.
Jamais une de mes hontes ne se mua si vite en fierté.  
 
 
 
déniaper (déchirer)
draler (passer son temps dehors)
embistrouiller (déranger)
frottée (fessée)
gaugé (mouillé)
gratte-cul (fruit de l'églantier, poil à gratter)
Pouilly-Fuissé (Blanc, cépage chardonnay)
tarteuffe (patates)
tiau (bâton)
viauner (sentir mauvais)
virot (mal au coeur)