samedi 28 mai 2011

Souvenir de voyage sous l'entonnoir



Le préposé m'avait tendu la liasse de tickets avec une moue sarcastique en marmonnant dans sa barbe un "C'est vous qui voyez" qui me disait quelque chose.
D'ailleurs son visage me rappelait quelqu'un à mesure qu'il insistait "Y en a qu'ont essayé, y z'ont eu des problèmes..."
Celà dit, il confirmait que le train pour Pau était très rapide et c'est ce qui comptait attendu que mon patron ne m'avait accordé que trois ans de congés.
Quand on annonça que le train de quinze heures soixante douze entrait en gare de Paris, je ressortis vivement mon billet pour vérifier l'horaire mais tout semblait normal et sur le quai désert, personne ne manifestait le moindre étonnement, non personne. J'en conclus que ma montre était obsolète et qu'elle serait tout aussi bien dans la cage à oiseaux avec l'entonnoir et la brosse à chaussures qui ne me quittaient jamais.
Elle semblait nerveuse et je caressai doucement ses poils soyeux sous l'oeil attendri de ma voisine; elle aussi devait aimer les brosses.
La mienne n'avait pas véritablement de sens et j'avais pris l'habitude de la caresser d'un côté puis de l'autre pour éviter qu'elle ne perde ses poils.

Comme par enchantement le train s'arrêta pile au niveau de la voiture numéro quarante cinq. J'avais insisté pour avoir le même numéro que celui inscrit sous ma semelle droite, c'est tellement pratique pour ne pas se perdre à condition de voyager avec une chaussure droite.
Ma couchette était très petite, sans lit mais avec un toilette et même du papier en rouleau que je mis facilement dans ma cage à oiseaux, contrairement au toilette qui semblait rudement bien fixé au plancher. Je décidai d'en faire mon lit d'autant que j'ai toujours dormi roulé en boule à cause des courants d'air.

La fenêtre en verre dépoli allait me cacher l'horizon mais, prévoyant j'avais acheté un livre au kiosque à journaux - un roman chinois dont le titre m'amusait - Sudoku.
Comme j'en cherchais la préface, l'ordre du départ résonna distinctement dans le wagon; cette fois je n'aurais pas besoin de l'entonnoir pour entendre l'annonce des gares. Je ne voulais pas risquer de manquer l'arrêt car le train était direct jusqu'à Irun comme avait cru bon d'ajouter le préposé aux liasses de tickets.

Un terrible grincement sous mes pieds suivi d'un clapotis dans le lit m'annonçait qu'on venait de larguer les amarres, des effluves iodées montaient déjà du wc et je dû rassurer ma brosse d'une nouvelle caresse dans l'autre sens cette fois-ci... le voyage commençait bien malgré un léger roulis que j'attribuai à la marée.

On frappait à la porte mais je me gardai bien de dire "Entrez" car ma brosse venait de s'endormir. Je décidai d'en faire de même et repris mon rêve de vacances là où je l'avais laissé la veille, bien à l'abri sous l'entonnoir.
 
Dans mon rêve il y avait un homme en blouse blanche avec une tête de préposé aux tickets... "Et ensuite" demandait-il "que se passe t'il ensuite?".
J'ai toujours eu horreur des questions et des hommes en blanc mais j'avais tant de mal à le faire entrer dans la cage à oiseaux qu'on a sauté avant Pau, ma brosse et moi.
 
Le camp de vacances de Poitiers s'appelle CHU Laborit et certains jours on peut entendre la mer...
 


 


  Publié aux Défis Du Samedi sur le thème  Souvenirs de voyages


 


   



lundi 23 mai 2011

Sin city

Stratosphere-Hotel-Las-Vegas-2010-_12.jpg

Ignorant le gros remorqueur qui barbote à deux pas du trafic routier de Tropicana Avenue, je longe le pont de Brooklyn noyé dans sa perpétuelle brume. Ca ne remplace pas une douche ni un coup de Jasnières bien frais mais ça requinque quand même. Ejectés du New York-New York les wagons du roller coaster déboulent au dessus de ma tête dans leur assourdissant fracas métallique mais j'en ai pris l'habitude et je poursuis ma course infernale. Dans mon dos l'énorme félin doré de la MGM rugit aux derniers rayons du soleil couchant; je sais, je suis encore à la bourre!

J'accélère en direction des fontaines du Bellagio qui explosent aux nues sur un dernier accent Pavarottien... pour une fois j'ai échappé à Céline - pas l'écrivain, la chanteuse. A cette heure je dois louvoyer au milieu des groupes de touristes agglutinés autour du lac, l'oeil rivé au caméscope.
En face, la demi-portion de tour Eiffel joue les grandes dames, ignorant les trois cent cinquante mètres du perchoir qui m'attend là-bas au bout du Strip.
Dix neuf heures cinquante cinq: avec un peu de chance j'éviterai l'éruption du Mirage et son torrent de lave, pour l'heure le volcan ruisselle comme un gros baba au rhum en attendant de se déchaîner à en faire gondoler les barques du Venetian d'en face.

Quelle idée j'ai eue d'accepter ce job à Stratosphère, moi qui meurs de vertige rien qu'en montant sur une balançoire? J'aurais jamais dû écouter Brenda, ses idées loufoques et ses arguments à la noix.
Pour moi toutes ces lumières, ces casinos et ces touristes en tongs c'étaient des images d'Epinard, et aujourd'hui c'est juste galop, boulot, dodo!
Brenda ne comprend pas pourquoi je m'obstine à aller bosser à pied mais c'est plus fort que moi, cette circulation me donne la nausée, et puis six kilomètres ça fait à peine quatre miles!  
J'arrive liquéfié au pied de la tour infernale, je dois avoir l'air d'un gogol dans mon jogging rose mais le gorille d'ascenseur est habitué et m'adresse son ''Hiii'' hebdomadaire en me tapant dans le dos. Plus question de reculer.
Dans une poignée de secondes j'aurai ravalé deux fois mon quatre heures et atteint le 24ième étage. Faut être vicieux pour avoir conçu un truc aussi speed! ''Sin city'' comme y disent fièrement.

Dans cinq minutes j'aurai pris ma douche et endossé mon beau costume de room service.
Et pendant que des fous furieux suspendus dans le vide vont suer leur adrénaline ou faire dans leur froc pour douze dollars, mes potes et moi on va remplir notre mission: explorer les mille deux cent réfrigérateurs des chambres pour y traquer le yaourt périmé ou la Corona entamée.
Je sors de l'ascenseur à quatre pattes comme d'habitude et l'estomac au bord des lèvres.
Le Chef m'attend :"T'es en retard, mec! ça va se payer".
Tiens, j'avais jamais remarqué que dans room service il y a vice?
Alors comme chaque jour je vais me téléporter dans les ruelles médiévales de ma cité Plantagenêt, me rafraîchir sur les rives de la Vègre ou saliver sur une marmite sarthoise... ça fait mal mais ça aide à vivre.
Je sais qu'un jour je rentrerai avec ou sans Brenda - quand on n'aime pas les rillettes on n'est pas tout à fait normal.

Vegas sur Sarthe     
 
publié aux Impromptus Littéraires sur le thème: Peinture citadine

lundi 16 mai 2011

Appelez-moi Agatha



"Parti tôt, pris mon chien"... Je retournai machinalement le post-it dans l'espoir d'y trouver une suite, mais rien. C'est vrai qu'on écrit rarement sur la face qui colle et il restait suffisamment de place pour qu'il s'explique avec ses exaspérantes pattes de mouches à la Champollion...
Ou bien il n'avait pas eu le temps d'en écrire plus, mais pour quelle raison impérieuse?    
Tout ceci était invraisemblable vu qu'il ne sortait jamais du lit avant neuf heures - sauf le jour du tiercé - et qu'on n'avait jamais eu de chien.

J'avais entendu parler du Partito democratico italien mais pas d'un Partito primonchien c'est pourquoi j'exclus aussitôt la piste politique.
Dans sa précipitation il avait négligé la syntaxe et il m'offrait du même coup l'occasion de démêler une énigme passionante! J'adorais ça et me sentis toute émoustillée, en tout cas il était parti comme le confirmaient ses charentaises garées sur la table de la cuisine.

La première fois que j'avais eu à enquêter de la sorte c'était le jour où il était rentré du pressing avec un pantalon trop grand pour lui. Malgré ses explications oiseuses j'avais bien compris ce jour-là qu'il menait une double vie et qu'il ne pouvait rien dire pour nous préserver, moi sa femme et toute la famille.
J'essayai "Par Tito, pris mon chien"... Toujours la politique et ce clébard omniprésent qui freinait mon enquête et gâchait mon plaisir.
Foi d'Agatha - je m'appelle Agathe mais j'aime mieux Agatha - je décidai d'éliminer le chien mais toutes les pistes s'effondraient:
"pris mon bien" mais son seul bien c'étaient mes économies, autant dire rien.
"pris mon train" alors que Monsieur ne jure que par sa vieille Peugeot.
"pris mon bain" quand on sait qu'il ne tolère l'eau que dans le pastis.

Je sentais que ce texte anodin allait me donner du fil à retordre, alors que j'avais toujours réussi à élucider ces mystérieux messages dont le fameux tract "Tout doit disparaître" savamment caché dans le catalogue des 3 Suisses et qui m'avait pris trois jours d'une enquête épuisante.
Comme j'allais remettre à sa place la paire de charentaises, un détail me fit bondir: le chausson gauche portait une petite étiquette codifiée 41G alors que le droit indiquait 41D !
J'avais déjà vu ces signes dans le placard à chaussures et je jubilais en traversant le couloir. Je tenais enfin une piste sérieuse!
Le bruit de la porte du placard ressemblait à s'y méprendre à celui de la porte d'entrée et je compris ma méprise en le voyant sur le seuil: il était rentré!
Comme d'habitude il ne dirait rien de sa dernière mission et je devrais trouver les indices moi-même, comme ce Tiercé Magazine qui dépassait de sa poche... Je lui tendis ses charentaises.
Courage, Agatha.  
 
Publié aux Impromptus Littéraires d'après le titre du livre de Kate Atkinson : "Parti tôt, pris mon chien".

lundi 9 mai 2011

Rosae rosae rosa



La jolie fleuriste s'appelait Rose, c'est du moins ce qu'annonçait l'étiquette restée collée sur son sein gauche. En dessous elle avait cru bon d'ajouter son nom - Floribunda - que j'attribuai à des origines espagnoles et qui lui donnaient d'un coup un majestueux port d'infante.
Ce prénom lui allait comme un gant tant elle en avait la fraîcheur mais pas la fragrance, juste une puissante odeur de violette qui me tenait à distance bien malgré moi.
Son autre main était gantée elle aussi de telle sorte que j'ignorais si mon infante était libre ou l'esclave de quelque fringant hidalgo.
Je craignais qu'entre elle et moi ne se tissent que des liens purement commerciaux car nous ne parlions pas le même langage, pourtant je ne demandais qu'à comprendre.
Il me fallait juste quelques fleurs, un simple bouquet pour Madeleine qui n'aimait pas les bonbons, à part ces oeufs de mouette pralinés qu'elle m'envoyait chercher chez Tartifiole, le chocolatier de la rue de Noirmoutier mais Rose ne m'écoutait pas... elle parlait ou plutôt elle distillait.
A ma requête avaient succédé mille questions qui, bien qu'écloses d'une bouche adorable aux lèvres humides et veloutées n'en étaient pas moins incompréhensibles pour le piètre client que j'étais.
Si je préférais les rosacées aux campanulacées?
J'étais à cet instant de la famille des embaracées et comme ce trait d'esprit l'avait faite rire à gorge déployée, elle osa me proposer des renonculacées pour lesquelles je me gardai bien de tout commentaire déplacées déplacé.

Tétanisé par son décolleté aux boutons naissants, je lâchai malgré moi un "J'aimerais un bouquet de roses" et compris trop tard que je venais d'allumer la mèche d'un gigantesque feu d'artifice floral dont les noms fusaient comme autant de pétards multicolores et odorants.
J'ignorais qu'il existât sur notre planète des pompons rose ou rouge, des Gloire de Dijon, des Belle d'Orléans, des Jeanne d'Arc et jusqu'à des hybrides de thé!
Je découvrais stupéfait que des fleurs possèdent des aisselles, des aréoles, des échancrures et même des yeux!
La nature s'offrait à moi sous les formes les plus capiteuses, les plus sensuelles, les plus...

Je dus m'évanouir un long moment tant mon infante était volubile car en reprenant mes esprits je crus voir que les fleurs alentour avaient poussé.
Comme Rose achevait l'exposé d'une Royal Baccara, je hochai la tête pour abréger le supplice; c'était sans compter la question du nombre de roses et de sa symbolique! Autant de questions qui touchent à l'intime et m'obligeaient à me dévoiler. Il me fallait choisir entre la déclaration d'amour, la demande en mariage ou la passion dévorante qui allait décupler le prix du bouquet.
J'évaluais au fond de ma poche l'étendue liquide de ma fortune quand le rideau de l'arrière-boutique se leva brusquement sur mes belles illusions et le patron, un gros homme chargé de trois marmots tonitruants.

Le rouge au front, Rose qui s'appelait Gertrude disparut sans carrosse ni la moindre citrouille, me laissant seul face à l'hidalgo bedonnant et dans l'air une odeur qui tenait plus de la Pampers saturée que du muguet printanier.
Je cherche encore à comprendre comment j'ai passé la porte et traversé la ville jusqu'à la grille close de Tartifiole!
Je rentrais les mains vides et ce soir, Madeleine m'attendait. Elle allait encore me faire un cinéma et irait finir la soirée chez son cousin Joël...
  

Publié sur Les Impromptus Littéraires sur le thème Dites-le avec des fleurs
   

samedi 7 mai 2011

Ah que piano

 
Publié sur le site Mille-et-Une
 
 







"Refile moi un calva, Marcel, cette histoire m'a coupé les pattes."
"On en a rien à foutre mon vieux, personne connaissait ce type dans l'canton."
"Quand même Marcel... depuis des semaines qu'y sortait d'chez lui sans jamais une égratignure ni un pli à son falzard, et vlan !!"
"Ben ouais, c'est la vie mon vieux: t'as tout pour être peinard, une belle gueule, du boulot et pis y a un piano qui t'arrive sur la tronche sans que t'aies l'temps de voir la marque."
"Ouais, c'est fort de caoua! Un putain d'bastringue qu'on saura même pas qui l'a balancé... savait pas le gonze qu'on sort pas dans la rue le jour des encombrants ?"
"Mon vieux, à c't'heure les gens ont plus l'courage de descendre leurs merdes et c'est comme ça qu'les pépins arrivent..."
"J'crois bien que c'était un Yamaha."
"T'es sonné mon vieux, j'te dis que c'était un piano, pas un scotaire !"
"Un bastringue ou un scotaire ça change quoi, il est dessous à c't'heure! Bon sang, remets moi un calva Marcel."
"Tu devrais arrêter mon vieux..."
"Tu sais bien qu'y a qu'ça pour me remonter le moral, Marcel."
"J'veux dire que tu devrais arrêter d'regarder la téloche."
"Ca m'revient Marcel ! C'était un Ouatelse! Même que c'est l'dernier truc qu'il a eu l'temps de dire !"
"Tu t'fais du mal mon vieux. Essaie d'oublier tout ça et rentre chez toi avant qu'la Fernande te passe une avoinée."
"T'as raison, la marque du bastringue on s'en fout... y a qu'les pétomanes qui remarquent ça. Y a qu'un truc qui m'intéresse dans l'caoua c'est c'qui le pousse après. Tiens, remets en un p'tit dernier." 
 

mercredi 4 mai 2011

Les canards ne font pas la manche


Ben voilà! Je serai pas été loin encore une fois.
J'vais rester en rade à réfléchir si les canarres ont deux 'r' ou juste un.
Si au moins Elle avait dit sarcelles, c'était fastoche passeque j'en ai chassé tellement avec tonton Paulo que j'sais bien qu'elles ont deux 'l'.
Mais des canares ou des canarts... Ouais, avec un 't' ça m'arrangerait pour mettre un seul 'r'! On va l'faire comme ça.
Mais j'ai pris un sacré retard sur la dictée. J'en suis à Manche... Tiens j'vais leur mettre une majuscule passeque c'est jour de fête chez les angliches.

Elle m'a même pas attendu!
Pour la dictée Elle m'attend jamais mais aujourd'hui j'lui pardonnerai tout, même une convoc chez le dirlo.
Quand y'a du ciel bleu comme ça à la f'nêtre et qu'y fait aussi chaud dedans que dehors, Elle met toujours sa jolie robe bleue, celle avec le décolleté qu'on voit un peu dedans même du dernier rang.
Elle est tellement chouquette ces jours-là que j'me battrais avec le plus costaud des fayots pour avoir une place au balcon. C'est comme ça qu'on appelle les meilleures places, celles d'où on peut voir les p'tites étincelles dans ses yeux bleus quand Elle nous parle.
Y en a qui disent qu'on peut la sentir aussi et que ça sent le muguet comme au parc Victor Ugo.

Le gros Marcel vient de lâcher un "coin-coin" qui va nous la mettre en colère.
J'adore quand elle rouspète avec son faux regard sévère qui me dit que tout ça c'est pas grave et que la vie avec Elle c'est que du bonheur.
L'année prochaine - comme répète ma mère - j'aurai encore pris cinq centimètres et je pourrai la d'mander en marriage avec deux 'r' ou un seul, c'est pas important. Elle me pardonnera tout.
"Magret... Tu rêves encore!"