lundi 30 mars 2015

Mars au marteau, avril au pinceau

Les Impromptus Littéraires nous invitent à tout changer chez nous : repeindre la chambre ou le salon, refaire la cuisine, rajouter un étage, aménager les combles, voire même tourner la maison de 180 degrés pour qu'enfin la terrasse soit au sud ...



Chez nous le dernier week-end de mars a toujours été un passage critique, comme une épreuve, un tribut à payer au dieu du printemps qui est aussi - on a tendance à l'oublier - le dieu de la guerre et celui des impôts!

Aussi lorsque le commun des mortels quitte son douillet cocon pour aller jardiner, préparer plate-bandes et semis... chez nous c'est l'épreuve, le branle-bas des travaux d'intérieur.
Cette année Charlotte avait décrété que notre cuisine n'était plus fonctionnelle et qu'il fallait la réagencer, du moins me l'avait-elle fait comprendre en étalant sous mes yeux nombre de catalogues ouverts à la rubrique Cuisines.
Le message était clair - le changement c'était maintenant - un message alourdi du choc des photos et plombé du poids des mots-qui-motivent tels que Les envies qui prennent vie, Le tout près de chez vous, Parce que je le visse bien, le Fastoche ou le Castoche!
Mais chez nous il y avait un slogan plus fort que tous ceux-là: “Charlotte, y en a pas deux!”

A mon premier coup de hache dans l'aggloméré - bien qu'il n'y ait jamais eu de H dans aggloméré - j'ai senti que ça n'allait pas être du gâteau... mais dans un sens ça m'arrangeait vu l'indigestion qui m'avait dérangé la semaine passée.
Désincarcérer un lave-vaisselle encastrable trop bien encastré n'est pas la chose la plus aisée à faire.
N'étant pas l'auteur de l'encastrage j'usai de quelques mots crus pour faciliter mon travail de démolition.
Les novices ignorent l'importance des mots crus dans l'outillage indispensable à tout bricoleur du week-end, au même titre qu'un perforateur pneumatique, qu'un niveau laser ou qu'un couteau à démastiquer.
Certains outils sont à double tranchant comme le couteau à démastiquer qui - mal employé - génère automatiquement des mots crus.

Pourtant j'avais préparé le terrain, coupé l'eau, l'électricité, le gaz, quelques compresses stériles et trois fois la parole à Charlotte (ce qui est un exploit) mais ça ne venait toujours pas.
J'étais dans ce grand moment de solitude que connaissent les médecins-accoucheurs en manque de forceps...
Contre l'adversité il faut savoir rebondir en faisant preuve d'imagination: la césarienne s'imposait à moi comme une évidence.
C'est ainsi que j'ai eu l'idée géniale de démonter tout ce qui entourait le lave-vaisselle y compris deux mètres carrés de carrelage pour être tranquille.
J'estimai avoir fait le plus dur quand j'eus évacué les premières brouettes de gravats sur le trottoir.
Tout près, les oiseaux bêchaient et les voisins chantaient ou le contraire mais c'était bien.

Chez nous ça chantait différemment devant le trou béant où Charlotte retrouva - avec de charmants Hoo! et de délicieux Haa! - quelques objets perdus au milieu d'un troupeau de moutons: un couvert à salade de tante Marthe, la clef du portail, un ticket de Loto perdant et perdu ainsi que la dépouille d'un mulot que Minouchette avait dû pousser vers sa dernière demeure...
Il ne me restait plus qu'à réitérer mon exploit avec la gazinière, le frigo américain, la hotte et onze placards après quoi un bon coup de peinture signerait artistiquement la fin des travaux.
A quoi bon disserter sur ces opérations qui vidèrent rapidement la cuisine pour mieux encombrer le trottoir?
Il était temps: j'avais épuisé mon stock de mots crus de printemps et je ne voulais pas entamer mon capital de mots crus d'été réservés à la mise en eau de la piscine!

Alors parlons peinture.
La peinture c'est comme qui dirait une forme d'art - initiée il y a environ trente deux mille ans - c'est dire si elle a eu le temps de sécher, si l'homo-ça-peint est expérimenté et s'il possède le recul nécessaire - moyennant un long manche - pour exercer cet art les yeux fermés dans sa cuisine!
J'optai pour un bleu 'Magret de canard' et Charlotte pour un rose 'Cuisse de nymphe émue' et après une brève négociation on se partagea équitablement les placards y compris le onzième condamné à la bicolorité.
J'étais impressionné car Charlotte était impressionnante, le smartphone dans une main avec l'application 'la peinture pour les Nuls' et le pinceau dans l'autre main!
J'ai toujours été subjugué par ces petites bombes sophistiquées - les smartphones, pas Charlotte - et par leur robustesse en toute circonstance, même ressortis d'un pot de peinture 'Cuisse de nymphe émue'.
Le résultat dépassa toutes nos espérances, il les distançait même comme avait dû le ressentir Salvador Dali dans sa période mystique.
On se regardait. N'avions-nous pas placé la barre trop haut? un peu comme ce porte-serviettes posé de guingois sous la pendule?
Tenant l'escabeau, j'assistais Charlotte dans l'ajustement du porte-serviettes - ému au plus haut point par ses cuisses de nymphe - quand par la fenêtre ouverte je crus entendre l'exclamation enthousiaste d'un voisin, un de ces cris gratifiants qui viennent couronner un bel effort et mettre du baume au coeur: “C'est à vous tout ce merdier sur mon trottoir?”

Dehors les oiseaux bêchaient toujours mais les voisins chantaient moins ou le contraire mais on était bien et sur nos visages comblés suintait ce délicat mouchetis bleu-garçon et rose-fille qui fait toute la différence entre les créateurs et les créatrices.


samedi 28 mars 2015

En avant, marche (Suite)

Publié aux Défis Du Samedi d'après l'illustration


La chose et les haricots géants




“Et je trouverai la frangipane et le beurre en pot?” s'inquiète Blanche.

(Espace réservé au soupir d'espoir des enfants)

“Sans doute” répond la vieille sur un ton rassurant avant d'ajouter: ”sinon, ce sera pour une autre fois... ”
L'escalier qui vire à droite, comme dans tous les patelins de droite n'en finit pas de monter et de tourner comme une vis sans fin, au point que Blanche en a usé ses chaussures de marche jusqu'à la trame, surtout la gauche qui parcourt plus de chemin que la droite d'après la fameuse loi de Dahut.
“Quelle camelote” râle t-elle en regrettant amèrement ses pantoufles de verre et de vair.
En chemin elle voit débouler trois fusées - Three, Little et Pigs - les trois petits gorets de retour de chez le roi Merlin où ils sont allés chercher de quoi ignifuger leur dernière baraque.
“Pourquoi courez-vous ainsi?” leur demande Blanche.
Three ne s'arrête pas et crie: “Demande à Little!”
Little ne s'arrête pas et crie: “Demande à Pigs!”
Si les deux premiers dévalent les marches quatre à quatre, Pigs descend seulement trois à quatre à cause d'une patte folle et parce que c'est lui qui porte le bidon de trente litres de produit ignifugeant.
“Pourquoi cours-tu ainsi?” lui demande Blanche en l'arrêtant.
Pigs la regarde, interdit: “Tu... tu verras bien quand tu seras là-haut” et il s'apprête à déguerpir comme si le grand méchant loup était à ses trousses.
“J'aime pas les cachotteries” insiste Blanche “surtout dans les contes, alors dis-moi ce que vous avez vu là-haut!”
Pigs est verdâtre, limite avarié et suant le gras.
“Ben mon cochon” lui dit Blanche “t'es pas beau à voir. C'est si terrible que ça là-haut?”
Pigs est décomposé façon sauté de porc aux olives: “Là-haut... y'a... un truc... y'a un farfadet!!”
Blanche éclate de rire: “Un farfadet? Déjà, l'autre jour c'était une meuf au bois dormant qui s'était faite planter avec une saloperie de quenouille... avant c'était un poucet qui avait fauché ses Boulutins à un ogre endormi! Vous fumez quoi comme substances, les gorets?”
“Moque-toi bien” répond Pigs “Qui vivra verrat!” et il détale trois à quatre en grognant.
“Un farfadet” plaisante Blanche en reprenant son chemin “et pourquoi pas un spectre ou un fantôme?”

L'escalier s'arrête au bout d'un moment - tout comme les contes - et c'est normal.

(Espace appelé palier et réservé à Blanche et aux enfants pour reprendre leur souffle)

L'escalier débouche dans une grande forêt de haricots magiques, celle-là même que les frères jumeaux Petit-Jean-comme-derrière et Gros-Jean-comme-devant étaient allés voir pousser l'an dernier aux Défis Du Samedi...
Les haricots grimpants ont si bien grimpé qu'ils cachent le ciel et forment une masse ténébreuse et inquiétante pour les couards et les pleutres mais pas pour Blanche.
Blanche y pénètre, serpentant entre les bouquets de Mangetout - Contender et Fins de Bagnols - les rames à écosser - Crochus de Montmagny - et les Coco paimpolais: “Nom d'un canard” plaisante t-elle pour dissiper une légère crainte “y'a de quoi faire du cassoulet pendant mille et une nuits, ici!”

A cet instant une chose rougeoyante, presque écarlate surgit et s'agite devant elle en vociférant: “Du cassoulet? Comment qu't'es chelou, bouffonne!”
Surprise par ce langage cavalier, Blanche monte sur ses grands chevaux: “D'abord qui es-tu, chose écarlate?”
La chose s'agite de plus belle: “J'suis Alice du pays des vermeils! Et toi?”
“Moi, je suis Blanche mais on dit aussi Cappuccetto Rosso ou encore Petite cape rouge ou bien Petit...”
“Zyva, comment tu m'vénères! J'le crois pas qu'tu serais une rouge comme mézigue?” interrompt la chose.
“Euh... peut-être” avance Blanche, toute rouge.
“J'te vanne, bouffonne mais j'te kiffe un peu quand même. C'est quoi ton taff?” demande la chose.
Blanche explique: “Euh... je cherche ingrédient ou deux pour ma marâtre... de la frangipane et un pot de beurre pour son masque de beauté et...”
“Sa race! Tu jactes trop, bouffonne! Et pis tu trouveras kedal ici” ricane la chose.
“Qu'en sais-tu?” réplique Blanche, courroucée.
“T'as deux-de-tension ou quoi? Sérieux, c'est Lewis Racol - mon daron - qu'a fait tous ces trucs de ouf! C'est stylé, zarbi, trop mortel, y a un lapin blanc, un chat filozophe, un lézard ramoneur, une chenille foncedé mais y'a pas les ingrédients que tu cherches, bouffonne” répond la chose en s'agitant de plus belle.
Blanche est déçue mais pas résignée: “Et en cherchant bien?”
“Laisse béton, bouffonne” réplique la chose “T'as deux options, pas trois: la prem's c'est qu'tu retournes d'où tu viens... la deuze c'est qu'on ferme le conte!”

“Fermer le conte?” s'exclame Blanche “tu n'y songes pas! Il y a ici des lecteurs qui espèrent! Et puis ça va causer des frais”
La chose explose de rire et vire incarnat: “Des lecteurs? Ca c'était avant! Tu retardes d'un siècle, bouffonne! Today c'est Podcast, Blog et Streaming... les trois petits cochons qui gèrent la sphère numérique. Si tu kiffes ça, j'peux t'les présenter”
Blanche est désespérée, partagée entre rebrousser chemin sur ses chaussures usées et clôturer le conte sans préavis...
Ah si seulement sa great-mother était là pour la conseiller, la rassurer.
La chose cramoisie a disparu comme par enchantement, alors s'adossant à une grande rame à écosser - un tartan d'Edimbourg - Blanche s'endort, submergée par tant d'émotions.

(Espace de repos de Blanche, des lecteurs et de Vegas sur sarthe)





lundi 23 mars 2015

Au fil des petits bonheurs

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration






Les plaisirs de la vie ne tiennent qu'à un fil

retors ou bobiné au destin qui se trame

entortillé de joie ou barbelé de drames

on tresse son bonheur de face, de profil.



Et passent nos printemps teintés de chlorophylle

”Rassure-moi” nous dit le jaunâtre crocus

“J'ai peur de trop aimer” nous répond l'hibiscus

on se garde de tout et chacun se défile.



On pousse son vélo au hasard des gazons

redoutant les piquants, on craint la crevaison

et c'est le coeur à plat qu'on rentre pédibus.



Puis un jour on surprend au creux d'un blanc Albus

un amour de safran où l'abeille bourdonne,

s'enivre sans compter... alors on s'abandonne.




C'est du gâteau


Cette semaine aux Impromptus Littéraires, c'est douceur et volupté... une invitation à se délecter sans modération de l'expression: C'est du gâteau




De l'Opéra à Saint-Honoré, il n'y a qu'un pas - le pas de la rue de la Paix - que Charlotte pourrait franchir en un éclair si elle ne décidait chaque matin de faire le détour par la rue Cambon.
C'est plus fort qu'elle, la vitrine de notre concurrent Pierre Hermé l'attire tel un aimant où le magnétisme de l'infiniment vanille n'a d'égal que l'attraction craquante du caramel salé.

Donc ce matin - comme chaque matin - Charlotte aura fait son lèche-vitrine et sera en retard d'autant plus qu'une vieille ganache à qui elle aurait volontiers mis deux tartes l'aura bousculée en lui écrasant les nougats!
C'est qu'elle a le nougat sensible, Charlotte; le pinceau mignon mais anorexique, le ripaton délicat des Cendrillon modernes qui se sacrifient sur l'autel haut perché des Louboutin!

Comme chaque matin elle va me rouler dans la farine, m'expliquer qu'elle mettra les bouchées doubles pour rattraper son retard et finalement m'avouer - tout en piquant faussement son far et sur le ton de la confidence - que je suis la crème des hommes!
J'avoue que Charlotte me fascine beaucoup, passionnément mais pour la bagatelle j'ai toujours fait chou blanc, pénalisé au premier chef par cette brioche que j'ai prise avec la quarantaine et qui est un peu la marque de fabrique de la profession.

Comme d'habitude je la laisserai pérorer, épiloguer, conscient que tout ça n'est que du flan et que si j'ose la gourmander, c'est Suzette - venant tous les jours de Pithiviers - qui va encore ramener sa fraise.
Il est donc superflu que je leur rappelle qu'il y a Quatre quarts dans une heure et pas seulement trois.
Je l'entends d'ici me répliquer que ça ne coûte pas bonbon d'avoir quinze minutes de retard... que tout ça ne m'empêchera pas de faire mon beurre... de vivre comme un coq en pâte et tant d'autres mignardises qui sont un peu la marque de fabrique de la prof... ça je l'ai déjà dit.

Je me serais bien passé de ce chipotage alors que nous recevons ce matin une grosse cliente - soeur Madeleine, religieuse à Saint-Roch - pour une importante commande d'hosties-calissons à la passion.
Notre soeur Blanche - qu'on surnomme 'tête de nègre' en nous fendant la poire - a décoré sa voiture d'un macaron de Lourdes apposé sur son pare-brise feuilleté du plus bel effet.
Elle prétend que ça la protège bien plus qu'une dizaine d'Ave Maria des incivilités des aubergines qui écument le quartier!
Comme soeur Madeleine passe la porte du magasin, Charlotte arrive sur ses talons si vite qu'elle se gaufre sur un mendiant qui fâcheusement quêtait des miettes sur le passage.
“Une charlotte gaufrée sur un mendiant, c'est du gâteau!” s'écrie Suzette qui n'en manque pas une.
Je suis déconfit. Sans faire de chichi j'expédie Suzette illico dans l'arrière-boutique pour surveiller le démarrage des Paris-Brest.

Charlotte est à deux doigts de tomber dans les pommes, deux doigts que je serrerais volontiers dans les miens mais Tête de nègre - garée en double file - s'impatiente vu qu'elle doit filer pour la messe de 10 heures à Notre Dame de Chantilly.
Mais le client est roi et donc la nonne - péteuse ou pas - est reine... alors je satisfais notre fidèle cliente tout en regardant se relever puis s'éloigner en claudiquant ma friandise...

samedi 21 mars 2015

En avant, marche!

Publié aux Défis Du Samedi d'après l'oeuvre de Colin Thompson



On se souvient que Blanche qu'on appelait Cappuccetto Rosso était partie chercher ingrédient ou deux pour sa marâtre afin de confectionner ce fameux masque de beauté de Cesare Frangipani à base de frangipane et de beurre en pot.
Chemin faisant et après bien des péripéties - ces histoires abracadabrantes qu'on raconte aux enfants pour les empêcher de dormir - elle arrive en vue d'un bien étrange patelin.

Avisant une femme assise là, elle s'approche, bien décidée à se rancarder sur ledit patelin quand la vieille l'apostrophe (avec deux points et des guillemets) : “Commence par t'essuyer les pieds avant de monter au village, petite!”
Blanche examine ses pantoufles - cadeau de sa great-mother-fucker dont la droite est en verre et la gauche en vair pour ne pas les confondre - mais la vieille insiste: “J'ai fait les marches hier au dépoussiérant Please et je ferai pas ça tous les jours!!”
“Qui es-tu, la vieille pour m'apostropher ainsi?” s'étonne Blanche.
“Apprends que je suis concierge de mon état, petite... en quelque sorte en état de marches. Je sais tout, je raconte tout car mon domaine c'est ce patelin en escalier”.
Blanche est rassurée d'avoir rencontré celle qui va enfin l'aider à trouver ingrédient ou deux pour sa marâtre.
“Et comment fait-on pour arpenter le patelin?” demande Blanche.
“C'est facile” ricane la vieille “dès que tu auras pris la première marche, tu verras la marche à suivre”.
“Euh... c'est bien gentil mais la première marche est trop haute pour une petite fille” fait remarquer Blanche.
“C'est toujours comme ça la première fois, petite et puis tu n'as pas les bonnes chaussures” gronde la vieille “quitte tes pantoufles de verre pour des chaussures de marche!”
“Et où trouverai-je des chaussures de marche?” s'inquiète Blanche.
“Chez le marchand de chaussures de marche” répond la vieille sans se démonter.
Dans les contes, ceux qui se démontent ne se remontent pas et c'est pourquoi les contes finissent par disparaître.

“Et où trouverai-je un tel marchand?” insiste Blanche.
“Je vais te montrer” chuchote la vieille concierge sur le ton de la confidence “laisse moi ouvrir la marche”.
Précédant Blanche, la vieille ouvre en effet la marche - la première comme il se doit - celle munie d'une petite porte de magasin de chaussures de marche.
“Y'a quelqu'un dans le giron?” crie la vieille.
Pour les novices, le giron est employé dans la formule de Blondel pour déterminer le confort d'un patelin en escalier, ce dont on se fiche royalement pour tous les patelins à plat.
Un petit homme - suffisamment petit pour se tenir debout dans la contremarche - sort du giron.
“C'est pour quoi?” marmonne t-il d'une voix lasse.
“A ton avis?” répond la vieille “Tu t'es encore levé du mauvais pied, petit homme?”.
“Non...” dit-il en soupirant” c'est à cause de cette marche funèbre... ce matin on enterrait ma femme”.
“Première nouvelle” s'étonne la vieille concierge qui d'ordinaire n'ignore rien des évènements du patelin.

Déformation professionnelle oblige, le petit homme dévisage les pantoufles de Blanche.
“J'ai encore jamais vu ça” dit-il, ébahi “des pantoufles de verre et de vair”.
“Ce ne sont que des loups-bouquetins” précise Blanche.
“Si tu lisais un peu les contes, petit homme tu ne serais pas surpris” reprend la vieille” Trouve donc des chaussures de marche pour cette petite”.



Blanche est fin prête:”Et maintenant, que vais-je faire... de tout ce temps que...”
“Qu'est-ce que tu nous chantes?” coupe la vieille “paie et partons d'ici”.
Comme Blanche n'a rien pour payer elle refile un Bécaud au petit homme, au risque d'enfreindre les bonnes manières propres aux contes.
“Et maintenant?” reprend-elle, un peu vénale et bien plantée devant les marches.
La vieille soupire:”C'est pourtant fastoche. Il suffit que tu montes en marche!”

Blanche a un mouvement de recul: “Monter en marche? Mais c'est interdit”
La vieille la regarde, incrédule:”Ca fait quarante ans que je fais ça. Et vu qu'on n'a pas encore inventé l'escalator je ne vois pas comment on pourrait faire autrement, à part monter en marche dans un sens et descendre en marche dans l'autre sens!”.
Blanche lève les yeux vers l'improbable sommet. Les cheminées des maisonnettes vapotent tranquillement. Une belle végétation rampe le long du limon en une large courbe qui vire à droite, comme dans tous les patelins de droite.

« Tu es à une heure de marche, en marchant bien » lui chuchote la vieille sur ce fameux ton de la confidence qui caractérise les vieilles concierges.
“Et je trouverai la frangipane et le beurre en pot?” s'inquiète Blanche.

Dans les contes, on réserve souvent un espace pour le soupir d'espoir des enfants.
(Espace)

“Sans doute” répond la vieille sur un ton rassurant avant d'ajouter: ”sinon, ce sera pour une autre fois... ou une autre Il était une fois”






lundi 16 mars 2015

On patauge, chef!

Publié aux Impromptus Littéraires d'après la photo de Cacoune






Deux détonations avaient précédé un beuglement sauvage, comme le cri d'une bête blessée.
L'oreille rivée au téléphone, l'inspecteur La Bavure commençait à trouver le temps long.
“Qu'est ce qui s'passe, bordel?” hurla t-il.
Un silence interminable, puis la voix de Ouatson:”Ça vient de Ouatelse, chef... elle dit qu'elle est touchée grave”
“Merde! C'est grave comment?”
“Euh... ça doit être les nougats, chef. Elle a dégueulassé ses Louboutin! Faut dire qu'on patauge pas mal dans cette bouillasse depuis des heures”.
Les excentricités vestimentaires de Ouatelse avaient le don d'exaspérer celui qui tentait vainement de maintenir un semblant de réputation dans son service du 36 Quai des Oeufs Frais.
La Bavure reprit:”Vous les avez identifiés au moins? Y sont combien?”
“Deux, chef! Deux Louboutin... une paire, quoi”
La Bavure explosa:”J'vous parle pas des grolles de Ouatelse, bordel!”
“Euh... des apprentis, chef... c'est vraiment des apprentis... deux ou trois bien serrés, comme qui dirait des mitoyens... assez grands, décrépits et très sales... je dirai même repoussants”
“De quoi vous m'parlez Ouatson?”
“Des bâtiments, chef... des apprentis!”
La Bavure fulminait:”On dit des appentis, mon vieux! Devriez retourner à l'école de police”
“Euh... en tout cas, on patauge, chef... ça s'ra pas facile de faire sortir le vieux!”
Ouatelse avait fini de beugler et le silence s'éternisait à nouveau.

“Qu'est ce qu'y fait l'vieux, maint'nant?” s'impatienta La Bavure.
“Euh... de la soupe, chef... ça sent la soupe au chou. Je dirais une classique à la tomate avec un bouquet garn...”
“Hein?”
“Vu qu'il a cessé de tirer, le vieux a dû poser sa pétoire pour se faire une soupe, chef! Faut dire qu'il est huit heures et que nous aussi on a...”
“Si c'est tout c'que vous avez comme renseignements, mon vieux... du culinaire... c'est maigre”

La Bavure crut percevoir un bref conciliabule puis reconnut l'inimitable voix de crécelle de Ouatelse: “Respect, inspecteur... c'est Ouatelse. Voilà la situation: le vieux s'appellerait Marcel Cruchot et il aurait pété les plombs en découvrant sa femme couchée sous l'apprenti...”
On se souvient que Ouatelse avait été recrutée deux ans auparavant, plutôt bien armée côté pare-chocs mais dénuée de tout jugement.
La Bavure bouillait: ”Vous allez me saouler longtemps tous les deux avec vos apprentis?”
“Euh... disons que le vieux a trouvé sa femme en pleine partie de jambes en l'air sous leur apprenti, alors il a décroché sa pétoire puis le téléphone... ce pourquoi on intervient, inspecteur. Attendez, je sens que ça bouge!”

“Qu'est-ce qui bouge, bordel?” s'impatienta La Bavure.
“Difficile à dire, inspecteur. Avec toute cette bouillasse, c'est la courroie et la barrière pour distinguer quelque chose”.
La Bavure bouillait pour la seconde fois: “Vous voulez surement dire la croix et la bannière, Ouatelse”.
“Non inspecteur, c'est bien une barrière!” confirma sa perspicace collaboratrice.
On entend crier confusément...

“Inspecteur! Il est sorti en criant Mort aux vaches! Y va s'en prendre au cheptel... ça va être un carnage, une boucherie!”
La Bavure se sentait las, très las: ”Ouatelse... allez repasser une paire de bottes et enfilez-moi Ouatson... ou plutôt le contraire”.
“Et pour ces malheureuses vaches, inspecteur? On fait quoi?”
“Ecoutez-moi bien. Cette menace s'adresse à l'autorité - en l'occurrence, vous - et non pas à la gent ruminante qui a salopé vos pompes!! Suis-je bien clair?”
“Euh...”

Un bref conciliabule puis à nouveau la voix de Ouatson: ”Ouatelse n'a pas tout imprimé, chef”.
“Ouatson, vous aurez tout l'temps pour rancarder Ouatelse sur l'expression Mort aux vaches... pour l'heure vous allez m'investir cette bâtisse et sortir le vieux par la peau du cul avant que j'prenne des sanctions! Understand?”
“Oui, chef!”

…...

Rapport de l'inspecteur Ouatson, faxé au 36 Quai des Oeufs Frais le 15 mars 2015 à 22:00

Le dénommé Cruchot Marcel, éleveur de sexe masculin résidant lieudit La Gouzotte à Fouzy-sur-La-Tronche (21) a été trouvé décédé dans son assiette à côté d'un fusil calibre 16 et de cartouches idoines en grand nombre.
Une forte odeur de soupe au chou et de trichloroéthanol a nécessité l'usage d'un masque à gaz à cartouche filtrante M68 pour moi-même et d'un masque vénitien Louis Vuiton pour l'agent Ouatelse.

L'agent Ouatelse a ensuite procédé elle-même à la mise en sécurité d'un troupeau de trois têtes cornues de race charolaise tandis que j'auditionnais la veuve et Lorfelin (l'apprenti a déclaré s'appeler Désiré Lorfelin).
Selon les dires de sa veuve – de race indéterminée - Cruchot aurait été empoisonné “comme un beusenot-même-pas-fichu-de-préparer-la-soupe”.
Sa veuve l'aurait trouvé gueudé, beucalé dans son assiette et viaunant très fort à en attraper le virot.
Malgré cinq ou six galopins de Kir (2/3 d'aligoté, 1/3 de crème de cassis) offerts courtoisement, nous n'avons pas été en mesure d'interpréter ses propos ni Lorfelin non plus.

L'audition de Lorfelin – de race toute aussi indéterminée - a permis de recueillir quelques détails à propos du décédé Cruchot qualifié de râlut, bâtard, beurdodo, arquandier, treiniaud, gros fumier ainsi que de ventre-jaune.
Malgré deux ou trois galopins de blanc-cassis (4/5 d'aligoté, 1/5 de crème de cassis) offerts courtoisement, nous n'avons pas été en mesure d'interpréter les propos de Lorfelin.
Cependant l'examen du corps décédé n'ayant pas révélé un ventre de couleur jaune, nous avons interpellé Lorfelin en dépit des protestations véhémentes de la veuve telles que busards, drouilloux, dort-en-chiant et ramiers.
Malgré un ou deux canons d'aligoté (2/3 d'aligoté, 1/3 d'aligoté) saisis en représailles, nous n'avons pas été en mesure d'interpréter ses propos à notre encontre.
Nous avons donc immédiatement procédé à la mise en sécurité d'un quartaut de 57 litres d'aligoté et décidé d'occuper les lieux à la recherche d'indices manifestes.
La gendarmerie de Fouzy-sur-La-Tronche (21) s'est chargée de ceux que nous nommerons faute de mieux “malheureux étrangers d'origine indéterminée”.

P.S: Le peloton de gendarmerie affecté à l'échangeur de Pouilly sur l'autoroute A6 nous a signalé la divagation de trois têtes de bétail de race indéterminée.




dimanche 15 mars 2015

Une femme dans chaque stade

Publié sur le site MilEtUne d'après l'illustration ci-dessus

En matière de sport, oncle Hubert était intarissable au point qu'il semblait avoir baigné dans toutes les disciplines hormis le water-polo... mais j'y reviendrai.
Il fallait l'entendre nous raconter l'époque où il côtoyait les Chéribibi, l'Ange Blanc et autre bourreau de Bethune ou plus précisément la fille ainée du gardien de la salle Wagram, lieu où il assistait gratuitement et en payant de sa personne à toutes les soirées de catch jusqu'à ce qu'elle tombe en ruine... la salle Wagram, pas la fille du gardien.
Du catch, nous retiendrons la fureur des coups mortels à vous ressusciter un boeuf, les vaines vociférations d'un arbitre rachitique, la dureté des sièges comparée à la mollesse des lèvres de la fille-ainée-du-susdit-gardien-de-la-salle-Wagram qui finit par tomber en ruine.
Celle-ci - la fille du gardien, pas la salle - ayant subitement pris du ventre, oncle Hubert déserta la salle au plus vite, mettant du coup un frein à sa carrière de catcheur.
 
Par dépit il s'était essayé à l'haltérophilie - ayant entendu dire par certain spécialiste au zinc du Café des Sports que “La bière des haltères” - et il conservait de cette époque mémorable une splendide 'galette' - médaille d'or gagnée dans ce même café - curieusement fondue en l'année 1664 et ornée des armes du duché de Kronenbourg.
 
Puis lui était venue cette envie saugrenue de pratiquer le water-polo jusqu'à ce qu'il y renonce pour une raison qui nous laissa perplexes!
Il aurait bien aimé nous faire prendre des limaces pour des cagouilles mais on n'était pas nés de la dernière rabasse comme on dit chez nous. Croirez-vous qu'il abandonna l'idée du water-polo, faute de parvenir à apprendre à nager à son cheval nommé Crazy Horse ?
Oublions cette anecdote et le sourire malicieux d'oncle Hubert.
 
C'est pourtant lui qui sut me donner la passion du vélo, à l'époque où pour moi la petite reine n'était encore que cette accordéoniste rousse à la robe virevoltante et prénommée Yvette, qu'un troupeau de pédaleux suant et malodorant suivait sans relâche mais à bonne distance par peur d'écraser ses canards.
Il fallait voir Oncle Hubert exhiber fièrement ses mollets en forme de bouteilles de Perrier - bien qu'il ne jurât que par la Kro - ainsi qu'un morceau de dossart arraché en haut du col de Peyresourde à un certain (il disait Iop en sautant sur une selle imaginaire) Zoetemelk.
Tous ces noms étrangers me faisaient rêver et je découvrais qu'au delà de nos contreforts bourguignons vivaient des gens qu'on nommait des néerlandais, des suédois, je dirai même des extra-terrestres, bien avant qu'Armstrong n'aille pédaler sur la lune!
Je passerai allègrement sur ses expériences douteuses et vite avortées comme la lutte Gréco romaine inspirée par la vogue des filles de Saint-Germain-des-Prés, la nage avec palmes (peu académiques à son goût) et les raquettes à neige dont il chercha longtemps la petite balle jaune!

Il terminait toujours le récit des ses exploits par sa marotte, le twirling bâton qu'il avait découvert en la personne de Philomène, un quintal (pourtant il n'y a pas de féminin pour quintal) emmaillotée, ambidextre aux poignets vigoureux qui exerçait aux Twirleuses de Baigneux-les-Juifs et dont la moustache naissante mettait notre oncle dans tous ses états.
On ne saura jamais ce qui de la pilosité ou de la vigueur du poignet de Philomène fit naître en Oncle Hubert cette tocade pour les Pom-Pom girls, car le quintal était marié et le mari lui ôta toute envie d'approfondir la discipline!

“Une femme dans chaque stade” fut sa devise et brisa aussi toutes ses ambitions.
Si - de là-haut - il pouvait voir aujourd'hui ce calendrier des Vieilles Couennes du stade “cramponnés” à une passion qui ne s'éteindra pas il dirait haut et fort, malgré son aversion pour ce ballon pas assez rond à son goût:”Allez les petits!” et surtout “Allez les petites!”