Le
Palais de l'Empereur est si vaste qu'un homme ne peut parcourir
toutes les pièces en l'espace d'une seule vie.
Des
parties entières du Palais sont négligées et abandonnées et se
mettent à mener une existence étrange, indépendante.
La
grande salle d'audience que nombre d'ambassadeurs ont renoncé à
fréquenter a perdu tout écho, au point qu'on a dû la rebaptiser
Chambre Sourde.
Le
visiteur imprudent n'y restera d'ailleurs pas plus de dix minutes,
vite incommodé par le bruit assourdissant de ses valves cardiaques,
celui du flot sanguin dans ses vaisseaux et tous les bruissements des
cloportes et des araignées tissant leurs toiles au plafond.
On
y entend l'inaudible, un filet d'air dans ses poumons, le bruit de
ses ongles qui poussent, jusqu'au souffle du temps qui passe... sans
compter les Pssst d'un gardien muet pressé de fermer.
La
salle des Citations - contrairement à la Chambre Sourde - résonne
et raisonne en permanence, tellement que c'en est pénible...
finalement comme la Chambre Sourde.
On
y entend - venant d'un juke-box à citations de 1783 - des citations
célèbres comme celle de l'Empereur:”Moi, Empereur... Moi,
Empereur... Moi, Empereur... Moi, Empereur...” et bien d'autres
comme celle de l'Impératrice et que les spécialistes en citations
traduisent par:”Range ta chambre!”.
A
deux heures de marche plus loin - soit trois cent deux consoles, cinq
colonnes à la Une et vingt mille niches - se dresse la grande
Bibliothèque, devenue l'Hippodromus depuis qu'on en a vendu les
trois cent mille ouvrages pour en faire un haras de chevaux de
courses.
Dans
le bruit des sabots et du souffle des naseaux fumants, on peut y voir
se mesurer des Rossinante, Tornado et autres Crin-Blanc et Etalon
Noir bien que les paris y soient formellement interdits.
Un
disc-jockey - platiniste préposé aux électrophones - y créée une
ambiance flamenca des plus torrides: salsa du démon, rumba dans
l'air, tango-tango, etcætera
et bien d'autres encore.
A
trois nuits de marche dans un Palais qui en compte mille et une - en
suivant des yeux les deux étoiles qui forment un bout de la
casserole de la Grande Ourse - on arrive naturellement et fatigué à
la Porte du Levant numérotée '21'.
Un
homme-sandwich portant l'inscription 'le Valet Noir' - ou Black Jack
- ne laisse aucun doute sur la nature de ce lieu de perdition.
Devenu
le rendez-vous incontournable des mathématiciens et de financiers
véreux, le '21' encaisse chaque soir à ses tables de jeu des
millions de patacas destinés à sécuriser des lieux où personne ne
pénètre jamais faute de temps.
On
y joue aussi au Hachi-Hachi parmentier, au Koï-Koï carpé et au
Mille-Et-Une bornes, entourés de discrètes hôtesses en tenue de
camouflage maki-sushi.
Quant
à la salle des Gardes elle est gardée de l'extérieur par de grands
chiens jaunes à gueule baveuse et qui répondent tous - quand ils en
ont envie - au joli nom de Sesame.
Elle
est si bien gardée qu'on n'y trouve rien à part un astronomique
trousseau de clés et quelques osselets d'un antique squelette qu'il
serait vain aujourd'hui de vouloir faire expertiser, le dernier
expert ayant lui aussi été dévoré.
Compte-tenu
de leur durée, les visites guidées du Palais ont lieu une fois par
an sous la conduite du dénommé Mathusalem pour un itinéraire
improbable nommé “le petit bonheur”.
Aléatoire,
l'itinéraire dépend du tirage au sort des clés de l'astronomique
trousseau situé dans la salle des gardes et donc sévèrement gardé.
La
salle des Médecines - anciennement salle des Tortures - est
spécialisée dans le traitement des morsures par chien jaune à
gueule baveuse. Elle n'est ouverte qu'une fois par an, tout comme le
bureau des visites guidées.
On
y traite tous les mordus sans distinction au moyen de deux
médications issues d'une pharmacopée ancestrale: le Placébo et le
Placémoche.
Que
dire des jardins suspendus et des parterres par terre, des bosquets
massifs et des massifs tout court, des canaux et artères, des
cryptes et labyrinthes, des cascades et rocailles, des allées et
venues, des fontaines et des puits-c'est-tout, livrés aux caprices
d'une nature envahissante et que 2512 jardiniers payés en hyène
tachetée ont fui comme la peste de Justinien en 541...
alors
nous n'en dirons rien.
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