Publié aux Défis Du Samedi d'après l'oeuvre de Colin Thompson
On se
souvient que Blanche qu'on appelait Cappuccetto Rosso était partie
chercher ingrédient ou deux pour sa marâtre afin de confectionner
ce fameux masque de beauté de Cesare Frangipani à base de
frangipane et de beurre en pot.
Chemin
faisant et après bien des péripéties - ces histoires
abracadabrantes qu'on raconte aux enfants pour les empêcher de
dormir - elle arrive en vue d'un bien étrange patelin.
Avisant une
femme assise là, elle s'approche, bien décidée à se rancarder sur
ledit patelin quand la vieille l'apostrophe (avec deux points et des
guillemets) : “Commence par t'essuyer les pieds avant de monter au
village, petite!”
Blanche
examine ses pantoufles - cadeau de sa great-mother-fucker dont la droite est
en verre et la gauche en vair pour ne pas les confondre - mais la
vieille insiste: “J'ai fait les marches hier au dépoussiérant
Please et je ferai pas ça tous les jours!!”
“Qui
es-tu, la vieille pour m'apostropher ainsi?” s'étonne Blanche.
“Apprends
que je suis concierge de mon état, petite... en quelque sorte en
état de marches. Je sais tout, je raconte tout car mon domaine c'est
ce patelin en escalier”.
Blanche est
rassurée d'avoir rencontré celle qui va enfin l'aider à trouver
ingrédient ou deux pour sa marâtre.
“Et
comment fait-on pour arpenter le patelin?” demande Blanche.
“C'est
facile” ricane la vieille “dès que tu auras pris la première
marche, tu verras la marche à suivre”.
“Euh...
c'est bien gentil mais la première marche est trop haute pour une
petite fille” fait remarquer Blanche.
“C'est
toujours comme ça la première fois, petite et puis tu n'as pas les
bonnes chaussures” gronde la vieille “quitte tes pantoufles de
verre pour des chaussures de marche!”
“Et où
trouverai-je des chaussures de marche?” s'inquiète Blanche.
“Chez le
marchand de chaussures de marche” répond la vieille sans se
démonter.
Dans les
contes, ceux qui se démontent ne se remontent pas et c'est pourquoi
les contes finissent par disparaître.
“Et où
trouverai-je un tel marchand?” insiste Blanche.
“Je vais
te montrer” chuchote la vieille concierge sur le ton de la
confidence “laisse moi ouvrir la marche”.
Précédant
Blanche, la vieille ouvre en effet la marche - la première comme il
se doit - celle munie d'une petite porte de magasin de chaussures de
marche.
“Y'a
quelqu'un dans le giron?” crie la vieille.
Pour les
novices, le giron est employé dans la formule de Blondel pour
déterminer le confort d'un patelin en escalier, ce dont on se fiche
royalement pour tous les patelins à plat.
Un petit
homme - suffisamment petit pour se tenir debout dans la contremarche
- sort du giron.
“C'est
pour quoi?” marmonne t-il d'une voix lasse.
“A ton
avis?” répond la vieille “Tu t'es encore levé du mauvais pied,
petit homme?”.
“Non...”
dit-il en soupirant” c'est à cause de cette marche funèbre... ce
matin on enterrait ma femme”.
“Première
nouvelle” s'étonne la vieille concierge qui d'ordinaire n'ignore
rien des évènements du patelin.
Déformation
professionnelle oblige, le petit homme dévisage les pantoufles de
Blanche.
“J'ai
encore jamais vu ça” dit-il, ébahi “des pantoufles de verre et
de vair”.
“Ce ne
sont que des loups-bouquetins” précise Blanche.
“Si tu
lisais un peu les contes, petit homme tu ne serais pas surpris”
reprend la vieille” Trouve donc des chaussures de marche pour cette
petite”.
Blanche est
fin prête:”Et maintenant, que vais-je faire... de tout ce temps
que...”
“Qu'est-ce
que tu nous chantes?” coupe la vieille “paie et partons d'ici”.
Comme
Blanche n'a rien pour payer elle refile un Bécaud au petit homme, au
risque d'enfreindre les bonnes manières propres aux contes.
“Et
maintenant?” reprend-elle, un peu vénale et bien plantée devant
les marches.
La vieille
soupire:”C'est pourtant fastoche. Il suffit que tu montes en
marche!”
Blanche a
un mouvement de recul: “Monter en marche? Mais c'est interdit”
La vieille
la regarde, incrédule:”Ca fait quarante ans que je fais ça. Et vu
qu'on n'a pas encore inventé l'escalator je ne vois pas comment on
pourrait faire autrement, à part monter en marche dans un sens et
descendre en marche dans l'autre sens!”.
Blanche
lève les yeux vers l'improbable sommet. Les cheminées des
maisonnettes vapotent tranquillement. Une belle végétation rampe le
long du limon en une large courbe qui vire à droite, comme dans tous
les patelins de droite.
« Tu
es à une heure de marche, en marchant bien » lui chuchote la
vieille sur ce fameux ton de la confidence qui caractérise les
vieilles concierges.
“Et je
trouverai la frangipane et le beurre en pot?” s'inquiète Blanche.
Dans les
contes, on réserve souvent un espace pour le soupir d'espoir des
enfants.
(Espace)
“Sans
doute” répond la vieille sur un ton rassurant avant d'ajouter:
”sinon, ce sera pour une autre fois... ou une autre Il était une
fois”
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