samedi 28 mars 2015

En avant, marche (Suite)

Publié aux Défis Du Samedi d'après l'illustration


La chose et les haricots géants




“Et je trouverai la frangipane et le beurre en pot?” s'inquiète Blanche.

(Espace réservé au soupir d'espoir des enfants)

“Sans doute” répond la vieille sur un ton rassurant avant d'ajouter: ”sinon, ce sera pour une autre fois... ”
L'escalier qui vire à droite, comme dans tous les patelins de droite n'en finit pas de monter et de tourner comme une vis sans fin, au point que Blanche en a usé ses chaussures de marche jusqu'à la trame, surtout la gauche qui parcourt plus de chemin que la droite d'après la fameuse loi de Dahut.
“Quelle camelote” râle t-elle en regrettant amèrement ses pantoufles de verre et de vair.
En chemin elle voit débouler trois fusées - Three, Little et Pigs - les trois petits gorets de retour de chez le roi Merlin où ils sont allés chercher de quoi ignifuger leur dernière baraque.
“Pourquoi courez-vous ainsi?” leur demande Blanche.
Three ne s'arrête pas et crie: “Demande à Little!”
Little ne s'arrête pas et crie: “Demande à Pigs!”
Si les deux premiers dévalent les marches quatre à quatre, Pigs descend seulement trois à quatre à cause d'une patte folle et parce que c'est lui qui porte le bidon de trente litres de produit ignifugeant.
“Pourquoi cours-tu ainsi?” lui demande Blanche en l'arrêtant.
Pigs la regarde, interdit: “Tu... tu verras bien quand tu seras là-haut” et il s'apprête à déguerpir comme si le grand méchant loup était à ses trousses.
“J'aime pas les cachotteries” insiste Blanche “surtout dans les contes, alors dis-moi ce que vous avez vu là-haut!”
Pigs est verdâtre, limite avarié et suant le gras.
“Ben mon cochon” lui dit Blanche “t'es pas beau à voir. C'est si terrible que ça là-haut?”
Pigs est décomposé façon sauté de porc aux olives: “Là-haut... y'a... un truc... y'a un farfadet!!”
Blanche éclate de rire: “Un farfadet? Déjà, l'autre jour c'était une meuf au bois dormant qui s'était faite planter avec une saloperie de quenouille... avant c'était un poucet qui avait fauché ses Boulutins à un ogre endormi! Vous fumez quoi comme substances, les gorets?”
“Moque-toi bien” répond Pigs “Qui vivra verrat!” et il détale trois à quatre en grognant.
“Un farfadet” plaisante Blanche en reprenant son chemin “et pourquoi pas un spectre ou un fantôme?”

L'escalier s'arrête au bout d'un moment - tout comme les contes - et c'est normal.

(Espace appelé palier et réservé à Blanche et aux enfants pour reprendre leur souffle)

L'escalier débouche dans une grande forêt de haricots magiques, celle-là même que les frères jumeaux Petit-Jean-comme-derrière et Gros-Jean-comme-devant étaient allés voir pousser l'an dernier aux Défis Du Samedi...
Les haricots grimpants ont si bien grimpé qu'ils cachent le ciel et forment une masse ténébreuse et inquiétante pour les couards et les pleutres mais pas pour Blanche.
Blanche y pénètre, serpentant entre les bouquets de Mangetout - Contender et Fins de Bagnols - les rames à écosser - Crochus de Montmagny - et les Coco paimpolais: “Nom d'un canard” plaisante t-elle pour dissiper une légère crainte “y'a de quoi faire du cassoulet pendant mille et une nuits, ici!”

A cet instant une chose rougeoyante, presque écarlate surgit et s'agite devant elle en vociférant: “Du cassoulet? Comment qu't'es chelou, bouffonne!”
Surprise par ce langage cavalier, Blanche monte sur ses grands chevaux: “D'abord qui es-tu, chose écarlate?”
La chose s'agite de plus belle: “J'suis Alice du pays des vermeils! Et toi?”
“Moi, je suis Blanche mais on dit aussi Cappuccetto Rosso ou encore Petite cape rouge ou bien Petit...”
“Zyva, comment tu m'vénères! J'le crois pas qu'tu serais une rouge comme mézigue?” interrompt la chose.
“Euh... peut-être” avance Blanche, toute rouge.
“J'te vanne, bouffonne mais j'te kiffe un peu quand même. C'est quoi ton taff?” demande la chose.
Blanche explique: “Euh... je cherche ingrédient ou deux pour ma marâtre... de la frangipane et un pot de beurre pour son masque de beauté et...”
“Sa race! Tu jactes trop, bouffonne! Et pis tu trouveras kedal ici” ricane la chose.
“Qu'en sais-tu?” réplique Blanche, courroucée.
“T'as deux-de-tension ou quoi? Sérieux, c'est Lewis Racol - mon daron - qu'a fait tous ces trucs de ouf! C'est stylé, zarbi, trop mortel, y a un lapin blanc, un chat filozophe, un lézard ramoneur, une chenille foncedé mais y'a pas les ingrédients que tu cherches, bouffonne” répond la chose en s'agitant de plus belle.
Blanche est déçue mais pas résignée: “Et en cherchant bien?”
“Laisse béton, bouffonne” réplique la chose “T'as deux options, pas trois: la prem's c'est qu'tu retournes d'où tu viens... la deuze c'est qu'on ferme le conte!”

“Fermer le conte?” s'exclame Blanche “tu n'y songes pas! Il y a ici des lecteurs qui espèrent! Et puis ça va causer des frais”
La chose explose de rire et vire incarnat: “Des lecteurs? Ca c'était avant! Tu retardes d'un siècle, bouffonne! Today c'est Podcast, Blog et Streaming... les trois petits cochons qui gèrent la sphère numérique. Si tu kiffes ça, j'peux t'les présenter”
Blanche est désespérée, partagée entre rebrousser chemin sur ses chaussures usées et clôturer le conte sans préavis...
Ah si seulement sa great-mother était là pour la conseiller, la rassurer.
La chose cramoisie a disparu comme par enchantement, alors s'adossant à une grande rame à écosser - un tartan d'Edimbourg - Blanche s'endort, submergée par tant d'émotions.

(Espace de repos de Blanche, des lecteurs et de Vegas sur sarthe)





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