De
tous les anniversaires de famille,
c'est sans conteste les quarante ans de l'Oncle Hubert qui firent
date à jamais dans l'histoire de notre village bourguignon.
A cette époque l'Oncle avait depuis longtemps ramené par le train sa
polonaise Anastazia - mon père disait par l'arrière-train et sans crier gare - et nous avions fini par adopter cette opulente
slave au mollet humide et à l'oeil galbé ou le contraire, au fort
accent qui s'évanouissait après quelques rasades de wodka
et qui portait avec grâce le costume traditionnel ainsi qu'un nom en ski à cause du climat continental,
mais je crois bien avoir déjà raconté tout ça en 2012.
Bien
qu'Oncle Hubert soit né en
février - un Verseau porteur d'aligoté comme il aimait à dire - il
décida qu'il soufflerait cette année ses quarante bougies fin octobre.
Comme
tout le monde s'en offusquait
il prétexta que tous les restes solides et liquides de la saint
Vincent tournante de Gevrey - qui tomberait en octobre de cette année
1960 - lui feraient faire de sérieuses économies de
budget.
Il coupa court aux protestations en
concluant qu'il avait de toute manière quarante ans toute l'année et qu'on n'était pas à huit mois près!
Il
faut dire qu'il y avait deux cent
invitations à lancer et que cheu nous - peu importait qu'on vienne
de ripailler toute une semaine - on saurait faire honneur aux restes.
Par
peur de manquer, Anastazia avait
prévu de mitonner quelques bortsch à la betterave, quelques bortsch
aux champignons ainsi que quelques bortsch aux patates - ici on dit aux treuffes - et aussi pas mal de szarlotka
vanille-chantilly pour digérer.
Tous ceux qui avaient déjà eu
l'occasion de goûter à sa wodkaz à l'herbe de bison ne se faisaient aucun souci quant à la digestion.
Nous
les chiards n'avions eu droit
qu'à sa liqueur de miel et c'était déjà bien assez à l'âge où on ne
nous laissait faire chabrot que pour les grandes occasions.
Il fallut donc patienter jusqu'en
octobre.
Les
préparatifs devaient se faire en
très grand secret mais c'était sans compter sur quelques poivrots
qui vendirent la mèche, pas la mèche qu'on allume dans les barriques
pour les assainir, une plus sulfureuse encore: sur le
fromage, l'Oncle prévoyait de servir aux invités le nectar dont tout
bourguignon rêve en secret, l'orgasme garanti dans la bouche et le nez,
un premier millésime de la Romanée-Conti 1952, une
légende, une utopie!!
Il
entra dans une colère noire en
apprenant la fuite; les berlodiaux eurent beau jurer qu'ils
n'avaient pas cafté, que c'était des menteries, la surprise était
éventée.
Pour
nous autres beuzenots, une fuite
de Romanée-Conti n'était qu'une fuite de plus parmi tout ce qui se
répandait au fil des vendanges et des paulées mais l'Oncle Hubert ne se
remit jamais de cette
félonie...
Le
précieux nectar - dont on ignorait
comment l'Oncle aurait bien pu se le procurer - fut sans doute
réservé à d'autres orgasmes et on se contenta - le mot est faible - des
restes du Clos de Vougeot miraculeusement réchappés de notre
saint Vincent...
Je ne m'étendrai pas sur les en-cas
polonais qui n'eurent pas le succès qu'ils méritaient, les “Lala Lala Lalalalalère des bans bourguignons, le gâteau aux quarante bougies qui mirent le feu aux nappes brodées de l'aïeule
et la frottée que je pris pour avoir sifflé un fond de wodka!
Bref, je réalisai soudain qu'il
faisait chaud pour la saison.
J'avais
attrapé le virot mais j'eus
le temps d'apercevoir Anastazia debout sur la table exécutant une
cracovienne au pas chassé qui me rappela bougrement le galop de notre
cheval lancé dans les vignes lorsqu'il avait été piqué par
les taons!!
Pour finir, Vindieu je dirai que je
dormis comme jamais je n'avais encore dormi.
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