“Où qu'c'est qu't'es encore allé te draler?” s'écria Anastazia avec cet horrible accent polonais qui nous donnait aussitôt envie de repartir d'où on venait.
En
vacances chez Oncle Hubert, je passais jusqu'au soir le plus clair de
mon temps à draler autour de la ferme à la recherche de quelque coup
pendable... de toute manière, l'Oncle ne disait rien bien au contraire
puisqu'il ne disait rien.
Cette
fois-ci la chasse aux gueurnouilles m'avait mené de mares en buissons
au point que j'étais couvert de gratte-culs accrochés à mes
vêtements et une course forcée dans la rivière m'avait gaugé au point
que mes chaussures en bâillaient comme les crocodiles du Nil de
mon livre de sciences...
J'étais là sur le seuil de la cuisine, le coutias d'une main et ma
gueurnouille dans l'autre quand l'Oncle est arrivé de sa sieste. Il faut dire qu'il était déjà cinq heures.
J'avais
dû y aller un peu fort avec ma “bête”, l'agaçant un bon moment du
bout de mon tiau avant de lui porter quelques estocades puis le coup
de grâce; c'est pourquoi elle était en piteux état et déclencha le rire
inimitable de l'Oncle!
“Faut-y pas être un beusenot pour déniaper un crapiau comme ça!”
s'esclaffait il en se tenant le ventre.
Habituellement un beusenot est un niais mais venant de mon Oncle c'était
comme un petit nom amical, du moins je le prenais comme tel depuis ma naissance.
“Qu'est ce que tu veux que j'fasse de ton crapiau?” demanda
Anastazia en tordant la bouche de dégoût.
Interloqué
je regardais ma “bête”, sa peau pustuleuse et ses gros yeux
éteints; c'est vrai que comme ça elle ne ressemblait pas aux
fricassées de cuisses de gueurnouilles à la crème qu'Anastazia nous
mijotait quand on en avait assez de son bortsch aux
haricots.
Ainsi ma vaillante gueurnouille était un vulgaire crapiau! Dans la bagarre,
je m'étais mépris sur l'adversaire et je sentis me monter le rouge au front!
Demain tout le village - peut-être même toute la côte de Nuits - saurait
que j'avais pris un crapiau pour une gueurnouille!
Je tentai quand même une manoeuvre pour amadouer notre
cuisinière:
“Avec quelques grosses tarteuffes que je plucherai moi-même... et ta
sauce à la crème, ça sera tout pareil”
A coup sûr je venais de blasphèmer car Anastazia était passée subitement de
la blancheur slave au rouge vineux: ”Pareil? Vindiou! Tu m'embistrouilles! Jamais tu m'feras cuisiner un machin comme ça!”
Comme Oncle Hubert riait toujours, je changeai de tactique.
“V'la t'y pas une belle occasion d'ouvrir un de tes Pouilly-Fuissé, mon
Oncle?”
Je crus un instant avoir fait vibrer sa corde sensible mais Anastazia y
mêla un puissant vibrato qui m'ôta tout espoir de déguster mon crapiau:
“Sors d'ici avec ta bestiole! Vous viaunez tout autant l'un que l'autre
à m'en donner le virot!!”
Comme elle me promettait une frottée pour faire bonne mesure, je déguerpis
avec ma bestiole, suivi par l'Oncle qui riait toujours.
Il ne me restait plus qu'à me débarrasser de cette chose et de ma honte
avec...
“Attends donc, beusenot!” tonna Oncle Hubert en posant sa grosse
patte sur mon épaule “on s'en servira pour appâter à l'étang... demain, j't'emmène à la pêche”.
Jamais une de mes hontes ne se mua si vite en fierté.
déniaper (déchirer)
draler (passer son temps dehors)
embistrouiller (déranger)
frottée (fessée)
gaugé (mouillé)
gratte-cul (fruit de l'églantier, poil à gratter)
Pouilly-Fuissé (Blanc, cépage chardonnay)
tarteuffe (patates)
tiau (bâton)
viauner (sentir mauvais)
virot (mal au coeur)
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