Souvent
les jolis contes naissent par un calme matin de printemps, et ce matin
là
était tout à la fois calme, tranquille, doux et serein et c'est tout
car son auteur n'avait pas assez de mots pour décrire une telle
quiétude.
Ce matin était si calme qu'on se serait cru le soir et qu'on aurait
presque pu entendre péter une vache du haut de son alpage, ce qui aurait
amplement couvert le bruit des mouches velues et
dévolues à voler autour d'elle.
Pour toutes ces raisons, Eole s'ennuyait à mourir bien qu'il fut dieu
grec et qu'un dieu grec, comme Demain, ne meurt jamais; pas un soupçon
de vent, pas la plus petite brise ni le moindre bulletin
d'alerte météo en prévision, et Dieu sait s'il était à l'écoute de
toutes les chaînes, même les montagneuses. Il y avait dans l'air, un je
ne sais quoi... non, je ne sais vraiment pas quoi.
Au bord de la dépression, il lui vint soudain une idée lumineuse comme
en ont tous les dieux qui s'ennuient et qui ont des idées lumineuses,
et puisque le mercure stagnait pitoyablement dans son
baromètre, il décida de réunir tous ses vents pour en faire un
orchestre symphonique qui jouerait à sa gloire.
Comme il était perfectionniste de son métier, il releva ses manches à
air et commença à rattrouper ses fidèles outils nécessaires au dosage des
éléments:d'abord la grande échelle de Beaufort que lui
avait toujours envié Vulcain le chef des pompiers;puis la girouette
malicieuse et ses points cardinaux qui étaient au nombre de quatre à
cette époque; il y ajouta une rose des vents... pas pour la
vue mais pour l'odeur, car il était aussi un peu responsable des
odeurs comme celles de terre brûlée du Connemara ou du sable chaud du
beau légionnaire...
Et puis vint le moment délicat du recensement de ses troupes et
l'attribution d'un rôle à chaque élément; il gonfla les joues, car s'il
ne l'avait fait, qui d'autre aurait pu le faire... et il
cria: "Dans la famille des cordes, je demande les alizés" réveillant
les premiers sur sa liste alphabétique qui prirent place sans souffler
mot; vinrent s' y joindre les zéphirs, puis les
zéphyrs, avec un i grec, ainsi que la risée dont tout le monde se
moqua, puis simoun et sirocco les cousins maghrébins qu'il avait choisis
pour le fun. A ce propos, il avait écarté le foehn dont la
tyrolienne convenait mal aux symphonies.
Pour les bois dont on fait justement les flutes, il convoqua tour à
tour les bourrasques traversières, les rafales et les grains qui
veillaient, auxquels il ajouta le Chocolatero bien moins connu
mais bien plus exotique. Quant au chinook venu des Rocheuses, il
apporterait son accent au cor anglais.
Vint le tour des cuivres dont on fait les cuivres, qu'il composa des
aquilons-trompettes, mistrals à coulisses et moussons, et il faillit
ajouter blizzard mais se ravisa, le trouvant d'un abord
trop glacial pour faire un cuivre.
Restait à fourbir les percussions qu'il forma des vents d'autan,
immortalisés par Clark Gable, auxquels il ajouta les cyclones-timbales
et les typhons; il allait falloir les tenir ces gaillards !
pourtant il y ajouta la mousson pour sa constance et sa force.
Son orchestre finissait par avoir fière allure, en rangs
impeccablement alignés sur l'équateur: il dut tempêter pour calmer une
dispute entre la harpe-alizé et un zéphir à qui le rôle de premier
violon avait donné la grosse tête, mais après les avoir menacés tous
deux d'une corvée d'éolienne, le grand calme revint dans l'orchestre. La
distribution des partitions jeta un froid dans le
groupe, mais quand Eole eut expliqué que le quattro stagioni n'était
rien d'autre que les quatre saisons de Vivaldi, un immense soupir
s'éleva et ramena calme, tranquillité, douceur et sérénité et
c'est tout en ce beau matin de printemps...
Les répétitions allaient pouvoir commencer, nonobstant la vache de
l'alpage et ses flatulences, mais c'est une autre histoire, m'étant
promis de placer un nonobstant en fin de
compte.
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