lundi 17 septembre 2012

L'ISO 10664 fait un mort

 
Sur le thème : Une heure avant de mourir...
 
Je n'aurai pas une seconde à perdre ni même un dixième de seconde. Pourquoi faire un cadeau d'une seconde à la Vie qui ne veut plus de moi?
Je prendrai le minuteur que je règlerai sur 60 minutes, non plutôt 57 car je sais par expérience - vu la noirceur des pizzas et la dureté des oeufs - qu'il a toujours pris des libertés avec les minutes, même quand ses piles sont neuves.
D'ailleurs par sécurité je vais changer les piles avec celles que j'emmagasine dans le troisième tiroir à gauche du meuble de cuisine, avec les cure-dents, les fèves en porcelaine des galettes des rois, des échantillons de parquet stratifié et toutes mes bougies d'anniversaire.
C'est ballot, j'aurais eu 98 ans demain, non... 99, enfin quelle importance.
Mais comment ça quelle importance? J'essaie de mettre toutes les chances de mon côté pour vivre au mieux ces 59 dernières minutes et je me plante sur 12 mois de ma vie, une bévue de 365,2425 jours! J'espère que celui qui gravera la date sur ma tombe ne fera pas la même erreur sinon je pourrais bien revenir lui parler du pays!
Où ai-je mis ces foutues piles? Je dis foutues piles pour les piles neuves que je ne trouve pas mais les piles foutues je les garde aussi, c'est plus fort que moi.
 
Je prendrais bien celles du réveil-radio que je ne mets jamais en marche puisqu'il y a bien longtemps que je ne me soucie plus ni de l'heure du réveil ni des informations.
La trappe des piles du réveil-radio résiste, forcément - j'ai jamais pu dire forcément sans un rictus - mais mes réflexes reviennent vite: le vieux singe ne se fera pas avoir une dernière fois par une trappe aux vis à tête Torx!
Rien qu'à prononcer le mot Torx - je voudrais vous y voir avec un dentier du siècle dernier - on sent toute la fourberie qu'a mis son inventeur à créer cette tête de noeud pour clé hexalobulaire interne!
Rien à foutre de leur norme ISO 10664! J'empoigne mon brave couteau de cuisine, l'Office de 9 cm qui coupe si bien, celui qui fait des miracles à Master Chef et qui me sert surtout à dévisser les vis Torx.
Je sais que ça finit toujours pareil: dans 30 secondes je vais faire des taches rouges jusqu'à l'armoire à pharmacie - 2ème tiroir à droite, celui qui coince - où se trouve en principe la boîte qui aurait dû contenir entre 30 et zéro petits pansements extensibles et hypoallergéniques impossibles à déplier et qui vous font saigner deux fois plus.
Quand j'étais gamin, le spectacle du cochon qu'on égorge, ficelé sur une échelle et gueulant comme si on l'égorgeait m'a toujours horrifié, mais le vieillard aguerri que je suis saigne en silence, serre les dents - pas trop fort avec un dentier du siècle dernier - et contemple son raisin (*) qui va encore couler, voyons voir... 42 minutes d'après mon facétieux minuteur.
 
J'ai toujours eu du mal à coaguler, l'hémostase en déroute parait-il et un jeu de plaquettes à faire mourir de rire les gars de chez Midas. On m'a souvent dit que j'avais une thrombine pas comme les autres et que j'aurais pu être second rôle dans les films de Dracula.
Du coup j'aimerais bien savoir si je serai vide avant 42 minutes? Tant pis, je m'offre le luxe de perdre 30 secondes à calculer.
Putain! Ça pisse pas mal: si j'ai toujours mes 7 litres de sang dans le corps, à raison de 2 gouttes à la seconde et 15 gouttes au millilitre, je serai vide dans 15 heures donc bien après ma mort!
Mais alors je ne vois pas l'intérêt d'une hémorragie post-mortem et risquer de me blesser avec ce couteau en ouvrant la trappe du réveil-matin pour y prendre ses piles, ni de changer celles du minuteur, ni même de le régler sur... sur combien déjà?
37 minutes.
Je commence à trouver le temps long.
 
C'est toujours pareil quand on se fixe une échéance et j'ai toujours eu horreur des échéances: le dernier jour de déclaration des impôts, la veille du jour de ramassage des poubelles, le jour du passage à l'heure d'hiver, le jour de la fête des pères, des mères, des grand-mères, des voisins, celui de la fête des morts qui d'ailleurs tombe toujours le lendemain de la Toussaint...
Au fait, y doivent m'attendre impatiemment là-haut... ou pas.
 
 
(*) le mien, c'est du Gevrey-Chambertin 100% Pinot noir, siou plait

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