J'écris sous la torture et ça me plait. Parce que j'aime les contraintes, parce que "même grasse, la risette du Mans n'a jamais fait de mal à personne" et parce que "Ne rien dire, nuit gravement à la santé"
jeudi 19 avril 2012
Cafard
Ah les salopards! Immense et rugueux celui-là, à croire qu'ils l'ont conçu pour nous ôter tout espoir de passer de l'autre côté.
Jusqu'à présent aucun ne me faisait peur... le dernier en date c'était celui qu'on sautait gaiement chaque soir avec les potes du 3ème Bataillon des Marines pour aller voir les filles après le couvre-feu.
Je me souviens aussi de leurs petits seins pointus et de leur drôle de babillage mais on se foutait de leurs chinoiseries; on n'était pas là pour parler et elles non plus.
J'ai beau pousser, ça bouge pas, c'est froid et y a comme une âcre odeur de sueur de tous ceux qui ont dû pousser dessus avant moi.
"Hé toi!! Viens me faire la courte!"
Lui, tout le monde l'appelle le zombie. Il a son mur à lui dans sa tête, et qui l'empêche de voir celui-là. C'est pas un zombie qui m'aidera à passer de l'autre côté, là où l'air est pur et l'horizon infini.
Va falloir que je me démerde tout seul, comme d'hab... enfin, autrefois y avait Johnny.
Bien avant ces murs et toutes ces conneries que j'ai pu faire pour passer le temps et qui m'ont mené ici, je grimpais sur celui de l'école avec l'aide de mon pote Johnny.
Pour moi un pote c'était avant tout un gars qui pose pas de questions et qui a du souffle et des épaules solides pour la courte!
Le mur de parpaings nous séparait, nous les garçons de la cour des filles pour nous priver du spectacle de leurs nattes blondes et de leurs jambes nues qui tricotaient sur la marelle à nous en faire pleurer les mirettes... comme si c'était mal de regarder.
D'ailleurs les filles trouvaient pas ça mal sinon elles auraient moins ricané en se balançant des coups de coude.
Bien souvent ça finissait au piquet, le front baissé contre celui - gris et poisseux - du bureau de l'instit, à compter pendant une heure les lames du vieux parquet poussiéreux où s'aventurait parfois une fourmi inconsciente.
Ah j'en ai écrasé des fourmis, plus par dépit que par méchanceté. J'ai jamais été méchant, un peu brutal à ce qu'ont dit les juges mais pas méchant.
Ici, y a pas de fourmis mais des cafards et vu qu'ils sont plus nombreux que nous, on leur fout la paix. C'est aussi pour ça qu'y sont plus nombreux et de toute façon on n'a plus de semelles à nos chaussures.
Je me demande bien ce qu'ils peuvent trouver à bouffer ici à part nos semelles. J'ai lu que ça peut vivre un mois sans boire et sans bouffer et que ça vit encore deux jours après avoir été décapité!
Aucune importance, ici c'est moderne... ils ont la chaise électrique.
Souvent je voudrais être l'un d'eux - cafard, blatte ou cancrelat - pour franchir le mur vers l'autre vie, et je me dis que même s'il y a pas de femelles cafard de l'autre côté, je serais sacrément heureux.
Cafard mais libre.
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