Publié au Défi du Samedi sur le thème de l'urinoir
L'endroit
est froid, épuré, aseptisé aussi n'y vais-je que quand j'en
éprouve le besoin.
Le
lieu est quasiment désert à part ces deux vieux que j'appelle des
vieux à débit immédiat et qui secouent sauvagement leurs bourses
en quête d'une ultime liquidité.
Moi
j'ai terminé de déposer les miennes depuis longtemps; j'étais
pressé de me débarrasser de ce fardeau accumulé au fil des heures.
On
dirait qu'ici tout le monde est pressé – certains triturent on ne
sait quoi dans leur poche – il y en a même qui vous bousculeraient
malgré les restrictions de proximité pour vous prendre la place.
On
nous serine qu'en cette période d'incertitude ça ne sert à rien de
thésauriser et que garder ça sous son matelas ou dans l'armoire
sous une pile de draps ça n'est pas très sain …
Qui
possède encore une pile de draps de nos jours ?
Ici
un écriteau signale fort à propos qu'il ne faut pas en mettre à
gauche ; j'ajouterais qu'il ne faut pas en mettre à droite non
plus.
Où
tout ce flot s'en va t-il ? Quelqu'un s'est-il déjà posé la
question ?
Et
je ne parle pas des grosses commissions pour lesquelles il est prévu
des endroits fermés à l'abri des indiscrétions … et des
jalousies.
En
posséder trop c'est louche, ça sent mauvais.
On
est là pour satisfaire un besoin naturel quelle que soit notre
position religieuse – debout ou accroupi – notre couleur de peau
– uriblanc ou urinoir – ou nos penchants politiques – gauche,
droite ou centre – ou quel que soit notre sexe, même s'il y a des
accès distincts pour éloigner les hommes des femmes.
Autour
de moi les deux vieux se sont vidés et repartent en bouclant leur
coffre à ceinture et bretelles, calculant déjà leur prochaine
échéance sur l'échelle prostatique …
Un
autre écriteau signale qu'il ne faut rien jeter d'autre qui pourrait
freiner le débit et la bonne marche de l'institution.
Heureusement
dans l'agence que je fréquente assidûment il y a Huguette qui
veille à la bonne marche de l'institution.
Avec
elle, pas besoin d'écriteau. Il suffit de lire dans son regard pour
savoir si on a bien fait ou fait de travers, ou fait à moitié.
Huguette
a le regard intraitable des gens assermentés, elle veille sur La
Populaire du Grand Ouest située Place de Bourse (ça ne s'invente
pas) où elle officie du lundi au samedi.
Si
l'on n'est pas pressé on peut lire au dessus de la porte d'entrée
et en lettres d'or «Pecunia non olet » ce qui veut dire
L'argent n'a pas d'odeur ; il faut dire que Huguette n'est pas
avare de désodorisant.
Ah
elle pourrait vous en raconter des histoires, des incivilités des
empêcheurs de déposer, des excités de tout poil, des barjos de la
bourse.
Elle
pourrait vous montrer comment on vire les petits branleurs avec un
« C'est pas la banque du sperme, ici» bien senti ! C'est
qu'elle s'y connaît en virement, Huguette.
Elle
pourrait vous parler des voyeurs qui parient à celui qui a le plus
gros pécule, des exhibitionnistes du découvert, des tordus de la
main levée, de ceux qui émargent avant de sortir – laissant leur
signature à la postérité des lieux – des amateurs de compte
joint qui se retrouvent chez les dames sans parler des échangistes
et de ceux qui se vengent contre la porte, comme des chiens après la
fermeture de l'agence.
Les
mauvaises langues disent que Huguette pratique des actes sous sein
privé mais moi, je l'ai surtout vue faire le ménage et la police et
puis son patron le receveur Vespasien parait plutôt tyran que
souteneur.
Si
je devais ne faire qu'une critique au sujet de cette agence ça
serait qu'il y manque des toilettes, mais ça n'engage que moi.
bon, j crois que je vais aller pisser un coup !
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