samedi 25 avril 2020

Pecunia non olet

Publié au Défi du Samedi sur le thème de l'urinoir



L'endroit est froid, épuré, aseptisé aussi n'y vais-je que quand j'en éprouve le besoin.
Le lieu est quasiment désert à part ces deux vieux que j'appelle des vieux à débit immédiat et qui secouent sauvagement leurs bourses en quête d'une ultime liquidité.
Moi j'ai terminé de déposer les miennes depuis longtemps; j'étais pressé de me débarrasser de ce fardeau accumulé au fil des heures.
On dirait qu'ici tout le monde est pressé – certains triturent on ne sait quoi dans leur poche – il y en a même qui vous bousculeraient malgré les restrictions de proximité pour vous prendre la place.
On nous serine qu'en cette période d'incertitude ça ne sert à rien de thésauriser et que garder ça sous son matelas ou dans l'armoire sous une pile de draps ça n'est pas très sain …
Qui possède encore une pile de draps de nos jours ?

Ici un écriteau signale fort à propos qu'il ne faut pas en mettre à gauche ; j'ajouterais qu'il ne faut pas en mettre à droite non plus.
Où tout ce flot s'en va t-il ? Quelqu'un s'est-il déjà posé la question ?
Et je ne parle pas des grosses commissions pour lesquelles il est prévu des endroits fermés à l'abri des indiscrétions … et des jalousies.
En posséder trop c'est louche, ça sent mauvais.
On est là pour satisfaire un besoin naturel quelle que soit notre position religieuse – debout ou accroupi – notre couleur de peau – uriblanc ou urinoir – ou nos penchants politiques – gauche, droite ou centre – ou quel que soit notre sexe, même s'il y a des accès distincts pour éloigner les hommes des femmes.
Autour de moi les deux vieux se sont vidés et repartent en bouclant leur coffre à ceinture et bretelles, calculant déjà leur prochaine échéance sur l'échelle prostatique …
Un autre écriteau signale qu'il ne faut rien jeter d'autre qui pourrait freiner le débit et la bonne marche de l'institution.

Heureusement dans l'agence que je fréquente assidûment il y a Huguette qui veille à la bonne marche de l'institution.
Avec elle, pas besoin d'écriteau. Il suffit de lire dans son regard pour savoir si on a bien fait ou fait de travers, ou fait à moitié.
Huguette a le regard intraitable des gens assermentés, elle veille sur La Populaire du Grand Ouest située Place de Bourse (ça ne s'invente pas) où elle officie du lundi au samedi.
Si l'on n'est pas pressé on peut lire au dessus de la porte d'entrée et en lettres d'or «Pecunia non olet » ce qui veut dire L'argent n'a pas d'odeur ; il faut dire que Huguette n'est pas avare de désodorisant.

Ah elle pourrait vous en raconter des histoires, des incivilités des empêcheurs de déposer, des excités de tout poil, des barjos de la bourse.
Elle pourrait vous montrer comment on vire les petits branleurs avec un « C'est pas la banque du sperme, ici» bien senti ! C'est qu'elle s'y connaît en virement, Huguette.
Elle pourrait vous parler des voyeurs qui parient à celui qui a le plus gros pécule, des exhibitionnistes du découvert, des tordus de la main levée, de ceux qui émargent avant de sortir – laissant leur signature à la postérité des lieux – des amateurs de compte joint qui se retrouvent chez les dames sans parler des échangistes et de ceux qui se vengent contre la porte, comme des chiens après la fermeture de l'agence.

Les mauvaises langues disent que Huguette pratique des actes sous sein privé mais moi, je l'ai surtout vue faire le ménage et la police et puis son patron le receveur Vespasien parait plutôt tyran que souteneur.
Si je devais ne faire qu'une critique au sujet de cette agence ça serait qu'il y manque des toilettes, mais ça n'engage que moi.

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