Publié aux Impromptus littéraires avec les 4 mots et la phrase imposés
Depuis que son mari
avait été élu chorège par décision
du Conseil municipal pour le concours de tragédie grecque
d’Issy-les-Moulineaux, madame Dugenou la concierge ne vivait plus ou plutôt
elle vivait à l’heure d’Eschyle et de Thémistocle soit quinze bons siècles
d’écart.
Je l’avais baptisée
madame Dugenou car c’est dans cette position ambiguë que je l’avais toujours croisée pour ne pas dire enjambée
dans l’escalier en partant à mon travail.
Dans son bel
enthousiasme et par souci du détail le mari l’avait obligée à chausser des
cothurnes ce qui lui faisait une belle jambe pour passer la serpillière!
Car un va-et-vient
incessant d’artistes amateurs et de va-nu-pieds animait l’immeuble du
rez-de-chaussée jusqu‘au “ciel“, le dernier étage où s’entraînait la troupe
composée à la hâte.
Par le judas de sa
loge Madame Dugenou crut reconnaître tour à tour les serveurs du Café de la
Paix, un contrôleur du RER, un chargé de clientèle de l‘agence Picsou, le
bedeau de la paroisse saint Benoît et même une besogneuse du quai Stalingrad à
la crinière flavescente et au
décolleté bien rempli.
Calfeutrée dedans sa loge, la concierge priait en vain pour que cesse ce marathon de satyres beuglants
et de bacchante dépoitraillée. Son mari ne l’appelait-il pas maintenant Hélène
dans ses nuits au sommeil agité ?
Elle l’aurait bien
envoyé se faire voir chez les grecs mais Monsieur Dugenou était devenu
intouchable au propre comme au figuré, il avait pris la grosse tête: c’est
qu‘il montait la guerre de Troyes, et
non pas la guerre de Troie car ses origines champenoises venaient de ressurgir
sous la forme de bouffées d’orgueil qui lui donnaient le teint rubicond et
l’oeil pétillant du créateur investi d’une haute mission.
Dorénavant le Maître
ne portait plus que socquettes Olympe et slips Athena.
Pour monter une telle
tragédie, monsieur Dugenou se perchait dès le matin à califourchon sur une haute chaise d’arbitre empruntée au club de
tennis voisin; de son perchoir il dirigeait sa troupe hétéroclite au rythme
désordonné d’un absentéisme sauvage et au gré des vocations contrariées…
Dans l’escalier qui
mène à la gloire, la belle Hélène – j’appris plus tard qu’elle se prénommait
Raymonde – chaussée de ses cothurnes s’échinait de plus belle.
“Je vois bien
que nous ne sommes, nous tous qui vivons ici, rien de plus que des fantômes ou
que des ombres légères“ déclamait celui-là même dont elle
décrottait les traces boueuses sur les marches.
“La parure des femmes,
femme, c'est le silence“ clamait un autre quand elle se retenait
de crier “Essuyez vos pieds, Bon Dieu!“.
Et dire que la copropriété unanime avait rejeté toute idée
d’un ascenseur!
Un acteur peu scrupuleux osa même : “Un jour suffit pour faire monter ou descendre toutes les fortunes
humaines“ sous les applaudissements de la troupe conquise.
C’en était trop!
Monter ou descendre… telle n’était plus la question, elle
fit son choix.
Raymonde Dugenou dite Hélène
quitta sur le champ ses cothurnes pour des chaussures plus adaptées à la fuite
et apposa ce petit mot sur la loge – non sans avoir hésité sur l’accent
circonflexe – à l’attention de son mari:
Je quitte Issy
pour Pâris.
Adieu
La guerre de Troie était officiellement déclarée.
Monsieur Dugenou chercha vainement Hélène pendant huit ans
dans le 16ième rue Giraudoux où ils avaient vécu autrefois…
Pourquoi diable quitter ici pour Paris? Il cherche encore la
réponse
"A gare de Troie, elle bisse et fait blabla" célèbre phrase parue dans tous les journaux du surlendemain. Un fait divers raconté de plume de conquérant ! Bravo Vegatimus (non disputandum).
RépondreSupprimerMerci Anne !
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