Trois jours avant le Critérium des Vieux Clous, l'oncle Hubert ne dormait plus au point que sa polonaise lui imposait de faire chambre à part.
Non
pas à cause de l'enjeu de l'épreuve mais
parce qu'il abusait de cette wodka frelatée dont Anastazia avait le
secret et qui le mettait dans un état second pour ne pas dire troisième!
Trois
jours avant, les biclous sortaient
religieusement du grenier, enveloppés de ces toiles d'araignées
tissées tout l'hiver et qui font le prix des vieilles choses et couverts
d'une copieuse couche de rouille aux ravages plus ou moins
irréparables.
Mais
pour leur redonner un semblant de
jeunesse l'oncle avait ses recettes infaillibles, des secrets
hérités de la Baltique et d'Anastazia: un verre d'huile pour le
dérailleur, un verre de wodka, un verre de graisse rouge pour la
chaîne, un petit verre de wodka, un demi-verre d'huile pour le
pédalier, un grand verre de wodka...
Pour tenter d'assouplir le vieux cuir des
selles il les frottait avec un demi-verre de wodka et s'enfilait le reste sans sourciller.
A ceux qui s'inquiétaient de le voir
s'acharner sur des roues plus voilées qu'une fatma il répondait entre deux verres qu'il en connaissait un rayon!
Quand
bien même il dut finir le troisième
vélo - cramponné au guidon - et la dernière bouteille de Zubrowka
désespérément vide, il mettait un point d'honneur à bichonner nos
montures, persuadé que l'un d'entre nous remporterait l'épreuve
et le premier prix tant convoité: un caddie garni du Mammouth de
Bouze-lès-Beaune.
La
bataille était rude pour ne pas hériter
du dernier vélo dont les patins de freins copieusement huilés, la
selle branlante, les garde-boue tordus et le guidon de guingois nous
garantissaient un séjour prolongé au poste de
secours!
Tout
au plus le meilleur vélo préparé dans
les toutes premières effluves d'alcool tenterait de porter haut les
couleurs de la famille puisqu'il avait distingué en son temps un
lointain ancêtre sacré roi de la pédale et surnommé 'Gros
braquet' comme l'attestait un médaillon imitation bronze planté pour l'éternité sur la cheminée du salon.
Sa
mission accomplie, l'oncle Hubert
s'octroyait une sieste de soixante douze heures entrecoupée de
remontants - bière au jus de framboise et liqueur de miel - de telle
manière qu'en dix ans de compétition on ne le vit jamais sur la
ligne d'arrivée.
D'un
autre côté, nos piètres résultats se
passaient amplement de sa présence et nous évitâmes ainsi les
quolibets de celui qui mettait en jeu chaque année son honneur et son
foie au service du plus noble des
sports...
De
toutes ces merveilleuses années, chacun
retiendra une chose à jamais gravée dans nos mémoires: si notre cher
oncle était le maillon faible dans cette chaîne que nous formions mes
cousins et moi, l'Oscar de la meilleure descente lui
revenait incontestablement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire