Publié au Défi du Samedi sur le thème du Yoyo
Depuis
le temps qu'il jouait avec sa toupie en bois de tilleul – un toton
qu'il avait tété et suçoté quand il était bébé – Niam
s'ennuyait grave dans la grotte familiale et son unique jouet avait
fini par faire un trou dans la lourde table faite de « grès et
de force » comme disait le père en grommelant ...
Le père,
l'oncle et les grands frères de Niam partaient chaque matin à la
chasse à l'aurochs – perdant ainsi leur place – pour rentrer
brecouilles le soir tandis que la mère s'éreintait à piler des
céréales à longueur de temps en attendant le retour pitoyable des
branquignols.
Quant à tata Yoyo, la tante grincheuse et
moustachue affublée d'un grand chapeau à grelots ne cessait de
chantonner la même rengaine qui faisait 'ding ding di gue ding' en
mâchonnant une peau de bison pour tenter de l'assouplir.
Il était grand temps que Niam se trouve un nouveau jouet car il était hors de question qu'il emprunte une des deux souillons de sa petite sœur France, des poupées qu'elle avait baptisées – Dieu seul sait pourquoi – de Cire et de Son.
Niam sortit un pied de la grotte pour aller-voir là-bas-s'il-y-était mais il n'y était pas et comme il s'ennuyait toujours aussi ferme il emprunta la piste de terre en promettant de la rendre à son retour.
Il passa devant la grotte de la voisine que sa mère appelait curieusement la Pétasse sans s'y arrêter car elle n'avait parait-il que des jouets pour les grands et pas mal de gestes obscènes aussi.
Plus loin il tomba justement sur les deux fils Pétasse occupés à pêcher des grenouilles-taureau avec du fil de chanvre et une sorte de moulinet en bois de moulinet … mais brecouilles eux aussi, ils lâchèrent leurs gaules en pestant pour aller bander leurs arcs à bonne distance de Niam.
Resté
seul Niam entreprit de démonter le petit moulinet en bois de
moulinet d'une des gaules et y enroula patiemment le fil de
chanvre.
Ayant attaché le fil à son petit doigt – celui qui
lui prédisait une trouvaille de génie – il projeta le moulinet au
loin et lui imprima malencontreusement un mouvement de va-et-vient
qui le fascina au plus haut point.
Il exécuta bientôt quelques figures acrobatiques et finit par en faire un magnifique sac de nœuds.
La sérendipité aidant, le yoyo était né et il le baptisa ainsi en pensant au va-et-vient rengaine des mandibules de sa tata sur la peau de bison …
Serrant son sac de nœuds contre lui tel un trésor, Niam reprit la piste de terre et la rendit comme convenu avant de remettre les pieds dans la grotte pour exhiber son nouveau jouet à la famille rassemblée.
Apprenant que l'objet venait de chez les Pétasse, le père fit semblant de monter sur ses grands chevaux de Przewalski – un nom à coucher dehors comme beaucoup d'animaux à l'époque – et déclara qu'il se devait de le rapporter à la voisine en mains propres et séance tenante, ce à quoi la mère répondit qu'il n'était pas question de séance tenante ni d'aucune autre séance non plus.
Si à cette époque on avait plutôt l'habitude de traîner les femmes par les cheveux pour leur apprendre la politesse, la mère de Niam ne s'en laissait pas conter ; les grands frères acnéiques ayant ricané un peu trop fort, la mère les envoya se coucher sans manger après quoi elle servit la soupe à la grimace, le plat traditionnel des grandes occasions comme celle-ci.
Niam récupéra son cher sac de nœuds et cette nuit-là il eut beaucoup de mal à dormir.